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Dans le mouvement étudiant, un noyau dur de syndiqués et beaucoup « d’apolitiques »

Près de 500 étudiants se sont relayés à l’Université de Strasbourg pour organiser les manifestations et les blocages contre la sélection pour l’accès aux études supérieures. Un mouvement aux visages divers, composé d’un noyau dur d’environ 70 étudiants syndiqués et politisés, de gauche, et des étudiants qui se définissent comme « apolitiques mais mobilisés. » 

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« Des étudiants syndiqués ? Oui, il y en a, mais très peu. Le mec là-bas fait partie de l’Unef (Union Nationale des Etudiants de France, un syndicat classé à gauche, proche du Parti socialiste), » désigne de la main un étudiant qui souhaite rester anonyme, lors d’une assemblée générale sur le campus de Strasbourg. « Il y a aussi les anti-spécistes de ce côté-là, indique Eva, 25 ans, étudiante en Master d’Histoire. Ils ont un côté anarchiste et écolo. »

Une dizaine d’étudiants arborent des foulards rouges aux couleurs du Parti communiste, lors des rassemblements organisés sur le campus. (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)

Dans la foule d’étudiants réunis régulièrement lors des assemblées générales à l’Université de Strasbourg, on peut apercevoir une dizaine de foulards rouges aux couleurs du Parti communiste, mais aussi des étudiants à capuches noires et keffieh, qui se revendiquent plutôt de la gauche radicale ou du NPA. Certains sont plutôt à classer parmi les anarchistes, ou « mouvance arnacho-autonome » comme disent les policiers. Certains cumulent les casquettes, mais les étudiants habitués des assemblées générales sont au fait des orientations politiques de leurs camarades.

Eva, étudiante en Master d’Histoire, soutient la mobilisation étudiante mais n’est pas syndiquée. (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)

Pourtant, tous décrivent le mouvement étudiant comme « apolitique. » C’est aussi l’avis d’Eva :

« Il y a des membres de l’AESH (Association des Etudiants en Sciences Historiques) qui se rendent aux rassemblements, mais à titre personnel. J’ai été informée par le biais des réseaux sociaux et du comité de lutte. Au Palais universitaire, il n’y avait pas vraiment de casquette politique. Il y a aussi bien des Jeunes communistes que des anarchistes, mais ils ne sont pas nécessairement syndiqués. De manière générale, le mouvement de protestation n’est affilié à aucun parti politique, bien que penchant à gauche. »

Jade, étudiante à l’Université de Strasbourg, non syndiquée, a participé aux blocages sur le campus. (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)

Jade, 20 ans, a participé à l’installation des barricades lors de blocages précédents, mais elle non plus n’est pas syndiquée. Les étudiants qui le sont ont surtout des compétences en terme d’organisation, selon elle :

« Il n’y a pas vraiment de leader au sein du mouvement. Les gens politisés sont plutôt des référents, car ils ont des compétences en communication et savent comment s’organiser. »

A chaque AG, quatre ou cinq étudiants modérent les débats et font les décomptes des votes. Ici, les étudiants attendent la prochaine proposition. (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)

Pour Jérémy Sinigaglia, maître de conférences en science politique à l’Université de Strasbourg, la revendication de « l’apolitisme » est fréquente lors des manifestations étudiantes. Il analyse le phénomène :

« On peut y voir la classique crainte de la “récupération” du mouvement par les organisations politiques, et donc aussi un certain discrédit des élus, même si, de fait, quand les étudiants se mobilisent, ils font de la politique… C’est aussi parfois une stratégie pour attirer le plus grand nombre. Enfin, on peut le lire comme une peur des “étiquettes”, et de ce que cela supposerait en termes de limitation de son autonomie, de sa capacité à penser par soi-même : il y a l’idée qu’il faudrait rentrer dans un moule, ou adhérer à l’ensemble du programme d’une organisation. »

Une minorité d’étudiants syndiqués

S’ils sont minoritaires, avec environ 30 à 40 membres en tout sur les 500 personnes qui manifestent régulièrement, les étudiants syndiqués sont pourtant de ceux qui se font le plus entendre lors des assemblées générales.

Jeudi 19 avril, l’assemblée générale a élu 5 représentants pour participer à la coordination nationale étudiante qui va se réunir à Paris. L’un d’eux est membre du NPA, deux se défissent comme anarchistes et deux autres ne sont encartés nulle part.

« Expliquez les arguments en faveur du vote pour et du vote contre ! » s’écrit lors d’une AG Jude Colin, 21 ans, à l’occasion du vote sur l’occupation de l’Elysée par les étudiants mobilisés de toutes les facultés françaises, il y a deux semaines. Ce à quoi la foule réagit par des cris : « Pas besoin, on a d’autres points à voter ! ». L’étudiant en première année de sciences politiques, jean et veste de survêtement, est membre de l’Unef. Il décrit l’influence parfois indirecte du syndicat étudiant dont il fait partie, au sein du mouvement :

« Beaucoup d’étudiants passent par notre syndicat sans pour autant être encartés, par ce qu’ils ne veulent pas payer les 20€ de cotisation à l’année. Nous avons quand même environ 300 cartes de l’Unef sur le campus. Nous fédérons certaines associations qui regroupent les étudiants étrangers de Strasbourg, ou les étudiants musulmans de France. »

Des étudiants membres des quatre syndicats de l’Université sont en général présents lors des assemblées générales. (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)

Robin fait partie du collectif jeunes salariés de la CGT, parmi six ou sept autres étudiants du campus. S’il est assez discret lors des rassemblements, il a des revendications particulières comme « un statut spécial pour les étudiants qui travaillent en plus de leurs études. »

Mais c’est surtout le Solidaires Etudiants Syndicats de Lutte (SELS) qui a le poids le plus important au sein du campus, avec une vingtaine d’étudiants mobilisés lors des manifestations, selon Guillaume, 18 ans, en licence de Maths-Infos. Le jeune homme « a déjà milité durant les élections présidentielles, même s’il s’agit de sa première année d’adhésion ». Comme la majorité des étudiants présents, il manifeste  au sujet de la réforme sur la sélection, afin de « préserver les acquis sociaux, qui sont en train d’être retirés ».

Un dialogue avec l’administration qui passe par les syndicats

Les logiques syndicales permettent en tout cas d’établir le dialogue avec l’administration de l’Université, et parfois avec les forces de l’ordre. Julia, 23 ans, en Master de STAPS (sports), décrit les liens de l’Afges (Association fédérative générale des étudiants de Strasbourg) avec l’administration :

« Fin janvier, nous avons par exemple obtenu l’augmentation du nombre de places à l’Université, ou plus de tutorats pour les étudiants. Nous pensons que sur le long terme, le travail du mouvement passe pas une construction avec le conseil d’administration de la fac. »

Parfois, le personnel de l’Université syndiqué constitue également un interlocuteur. Pour Nicolas Poulin, ingénieur-chercheur et membre de Sud-Education Alsace, « Solidaires Etudiants » est « le pendant de son syndicat chez les étudiants » :

« Nous jouons aussi parfois un rôle de médiation, entre les étudiants et le personnel de la DALI (direction des affaires logistiques internes), dépêché par l’Université, ou avec la police lors de l’occupation au Palais universitaire. Il s’agit d’être sûr qu’un espace de dialogue puisse s’établir des deux côtés, sans que chacun voit l’autre comme un ennemi et sans bien sûr influencer les décisions des étudiants. »

L’Université est défavorable à la poursuite des blocages. (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)

Un dialogue pourtant parfois compliqué selon lui :

« L’Université a un peu le même discours que celui du Premier ministre, celui de dire que les étudiants sont manipulés par des groupuscules d’extrême-gauche. Dans les faits beaucoup d’étudiants ne sont pas encartés. Je trouve aussi que c’est une manière d’infantiliser les étudiants, comme s’ils n’étaient pas capables de faire la part des choses. »

Un autre syndicat étudiant fait entendre sa voix, cette fois pour contester le blocage : l’UNI (Union nationale universitaire, classé à droite). Ses membres ont été exclus des assemblées générales à la suite d’un vote la semaine dernière. Dans les faits, ils se rendent toujours aux rassemblements, mais en prenant rarement la parole au microphone.

Les étudiants politisés, noyau dur du mouvement

S’ils ne sont pas tous syndiqués, les étudiants au cœur du mouvement sont en tout cas pour un bon nombre (autour de 30% selon les dires des étudiants) politisés.

Camille, 21 ans, veste à capuche noire, cheveux longs et tee-shirt à l’inscription « liberté » se revendique de l’ultra-gauche. Il décrit la lente montée en puissance du mouvement de protestation :

« Les premières assemblées générales se sont tenues il y a deux ou trois mois. Au début, il n’y avait que 100 à 150 personnes. Puis le mouvement prend de l’ampleur grâce aux blocages, qui constituent une nouvelle stratégie de lutte. C’est aussi un bon moyen pour que les gens qui vont en cours viennent s’informer, parler, débattre et donner leur opinion. »

Militant du NPA (Nouveau Parti anticapitaliste), jean élimé, casquette et keffieh autour du cou, Arpad, 20 ans, prend, lui, deux à trois fois par assemblée générale la parole au microphone :

« Nous qui sommes politisés ne sommes pas nécessairement les lanceurs du mouvement. Tous les étudiants doivent pouvoir s’exprimer, ont un même droit à la parole, qu’ils soient syndiqués ou non. C’est cela, notre ligne politique. »

Après les assemblées générales, les étudiants se réunissent dans la pelouse devant le Patio pour jouer de la musique, pique-niquer ou échanger sur leurs idéaux politiques. (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)

Des étudiants du Comité de Lutte Anti-Speciste et humain (CLASH) se rendent aussi régulièrement aux AG. Rose, 21 ans, décrit les actions de son collectif, « anarchiste, et qui refuse l’exploitation animale » :

« Nous sommes un mouvement libertaire, contre le système politique en général mais nous défendons le service public face à un gouvernement ultra-libéral. Même si ce n’est pas parfait, nous avons le droit a un minimum de choses gratuites. Nous sommes une petite quinzaine à militer sur le campus et cinq ou six à nous rendre aux rassemblements. »

Les « ultra-gauche » trop extrêmes ?

Au sein même de l’AG, des dissensions existent, comme le décrit Colin Jude, membre de l’Unef :

« J’ai peur que le comportement de certains étudiants en lutte ne discrédite le mouvement. Une quinzaine d’étudiants ont tendance à imposer des votes qui n’étaient pas à l’ordre du jour, en élevant la voix plus que les autres. »

En AG, une liste de propositions est établie pendant les débats, avant le passage au vote. Les étudiants peuvent s’abstenir, ne pas prendre part au vote, voter pour ou contre. (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)

Pourtant Arpad se défend de tout extrémisme :

« On nous catégorise comme étant de l’ultra-gauche, alors que nous sommes de l’extrême-gauche. L’ultra-gauche, c’est un truc de la police. »

Une poignée de personnes non étudiantes mais engagées en politique participent aussi aux débats, mais affirment rester en retrait. C’est le cas de Tonio Gomez, retraité de 63 ans, et militant du NPA :

« Je suis là au nom de la convergence des luttes, pour assurer les étudiants de mon soutien. Mais ils n’ont besoin ni de mes conseils ni de mon appui pour mener leur combat. »

Tonio Gomez n’a lui-même jamais été étudiant. Ce retraité de 63 ans travaillait pour le CROUS. (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc

Aux AG, des étudiants… mais pas seulement

Aux AG, des forces administratives ou politiques tendent à graviter autour des étudiants. Loïc Branchereau, des Jeunes avec Macron (JAM), dit « venir rendre des comptes sur le terrain à la Ville et au député Bruno Studer ». Une petite dizaine d’étudiants de la JAM se rendent aux rassemblements, notamment pour voter contre les blocages.

Des membres de la DALI (Direction des affaires logistiques internes) se rendent aussi aux AG pour « s’assurer que les assemblées se déroulent dans le calme, intervenir en cas de besoin, et veiller à la sécurité des bâtiments », selon l’un d’eux.

Louis, lycéen, prend la parole en AG. Sur le microphone utilisé par les étudiants, des autocollants de la jeunesse communiste et du PCF. (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)

Enfin, une poignée de lycéens et d’étudiants fraîchement diplômés se retrouvent parmi les « étudiants en lutte ». C’est le cas de Julien, en service civique, étudiant l’an dernier à l’Université de Strasbourg :

« Je suis libertaire mais pas encarté. On ne parle que du moyen d’action qui est le blocage, mais le fond de la lutte et intéressant. Je milite aussi contre le GCO (Grand Contournement Ouest). Je crois que l’université ne doit pas rester fermée sur elle-même mais brasser large et rester ouverte à tous. »

Julien était jusqu’à l’an dernier étudiant à l’Université de Strasbourg. Aujourd’hui, il est en service civique, mais se rend aux AG. (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)

Joss travaille dans l’informatique et se rend régulièrement sur le campus. Il décrit sa vision des rassemblements étudiants :

« Ce sont avant tout des gens brillants qui mènent la lutte. Ce sont 70 personnes au-dessus du lot, qui osent agir, sont cultivés et ont des convictions. C’est triste que le président de l’Université ne soit pas là à ma place, pour discuter avec ces étudiants et s’en rendre compte par lui-même. »

Le mouvement prend de l’ampleur. Quelques étudiants qui ne venaient par aux AG s’y rendent depuis les blocages. (Photo ES / Rue89 Strasbourg / cc)

Et puis il y a les curieux et les indécis, comme Vincent, veste de costume et barbe rousse, étudiant en musicologie, venu à deux AG, un peu par hasard :

« Si je suis venu c’est un peu par curiosité. Mais je vais rester pour voter contre les blocages. Les gens sur le campus ont un peu l’impression d’un deuxième mai 68, qu’il suffirait d’une étincelle pour mettre le feu aux poudres, notamment parmi les étudiants politisés. Mais dans les faits, je ne suis pas sûr que la fuite de gaz ait eu lieu. Ces rassemblements, de ce que j’ai pu en voir, m’ont tout l’air d’être très pacifiques. »


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