Produit de la scène indépendante New Yorkaise des années 90, Aronofsky a bien tenté de faire le grand pas vers des films de studios, vers des œuvres destinées à séduire une large audience. Mais Noé ou The fountain n’ont résulté qu’à de vastes malentendus. Mother ! se trouve donc être l’œuvre d’un cinéaste qui assume d’être en marge, qui invite pour mieux rejeter, avec, dans le cas présent, un film qui n’a rien d’aimable.
Jennifer Lawrence interprète le rôle-titre, cette mère, toute dévouée à son auteur de mari. Brisé, exsangue, il rechigne à écrire. Alors, elle rebâtie, pierre par pierre, sa maison détruite par le feu. Elle donne et se néglige. Il prend et la néglige.
Angoisse partagée
Le casting (J-Law, Bardem, Michelle Pfeiffer et l’indispensable Ed Harris) et le sujet semblent promettre un film centré sur les atermoiements d’un couple. Mais Mother ! n’est pas un mélodrame familial, pas plus que le récit d’une romance contrariée.
L’irruption du couple plus âgée, soudaine, incohérente, folle, fait déjà dévier l’œuvre après seulement quinze minutes de métrage. Les personnages annexes s’immiscent dans le récit comme dans un rêve. Leur présence s’impose au spectateur comme elle s’impose au personnage principal dont nous épousons les perceptions.
Aronofsky n’offre ainsi aucun répit à son actrice. Elle semble être de tous les plans, champ comme contre-champ. Le caméra épouse ses expressions, surprend ses soupirs dans un cadre resserré et avec un tressautement permanent. L’environnement sonore participe au caractère profondément anxiogène du film. Les sons disparates, violents, viennent oppresser les protagonistes.
Le cinéaste américain nous plonge donc avec infiniment de talent dans la psyché d’une femme, d’une mère. Pour ceux qui voient un lien entre son film et les personnages mis en scène par Polanski, de Répulsion à Rosemary’s Baby, il laisse planer un confortable doute, jusqu’à une rupture définitive dans le récit.
Father, plutôt que Mother
La valeur de Mother ! tient peut-être à son audace. Le film s’accommode de l’inconfort et se rassure en assumant sa valeur matricielle. Comme toute œuvre passionnante, il va provoquer une foule d’interprétation. Mais on peut aisément se risquer à écrire que le cœur du film tient bien plus au personnage du père qu’à celui de la mère.
Les références bibliques s’amoncèlent, d’Abel et Caïn au fils offert en pâture et sacrifié par l’homme, en passant par l’irruption de faux prophètes. Le personnage de Javier Bardem est, de manière quintessentielle, le créateur. Il peut être auteur ou poète. Il construit un univers, offre une pensée et un message en héritage à la foule et y gagne des fidèles. Sa compagne, le personnage éponyme joué par Jennifer Lawrence, transporte la plus grande part d’humanité.
Elle parait réelle, tangible, émue, quand les autres personnages sont des figures surréalistes. Et c’est elle, pourtant, qui fera obstacle au Père, en se dissociant, en trouvant refuge dans les flammes tel Lucifer, l’ange déchu.
Aronofsky semble ainsi proposer une variation sur le thème de la création ou, en l’état, de la re-création. Avec malice, avec fougue et sur un ton provocateur, il fait du créateur un monstre d’égo, dévoré par son propre succès, trahi par celle qui a accompagné la construction de son monde.
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