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Mosquée Eyyub Sultan : rien ne va plus entre la préfète et la maire

Depuis son accord de principe à une subvention pour la mosquée Eyyub Sultan, le gouvernement règle ses comptes avec la municipalité sur Twitter. La Communauté européenne d’Alsace et la Région Grand Est refusent de soutenir le projet.

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Après le long débat, franc mais apaisé, du conseil municipal sur la mosquée Eyubb Sultan, la politique strasbourgeoise a pris une tournure surréaliste en quelques jours. Après le tweet dans la nuit de lundi du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin dénonçant la subvention de 2,5 millions d’euros à cette mosquée de la Meinau, puis l’annonce d’un contrôle de légalité mardi (directement par le tribunal administratif, plutôt que de laisser les services de la préfecture faire une première lecture), c’est au tour de la préfète du Bas-Rhin, représentante du gouvernement, de régler des comptes avec la majorité strasbourgeoise. Dans un communiqué publié mercredi, Josiane Chevalier a accusé la maire de Strasbourg d’avoir publié des « informations inexactes » et d’avoir oublié que l’État lui avait fait part de sa « préoccupation. »

Dernier épisode en fin de journée jeudi : dans un tweet, la préfecture du Bas-Rhin a sèchement répondu au premier adjoint de Strasbourg, Syamak Agha Babaei, d’être « frappé d’amnésie puisqu’il ne réalise pas que le contexte de 2021 est différent de celui de 2017. » Une attaque directe et personnelle, complètement inhabituelle pour l’administration d’État.

Parole préfectorale contre parole municipale

Jeanne Barseghian assurait mardi que ni le ministre de l’Intérieur, qu’elle a rencontré en tête-à-tête en janvier, ni la préfète, n’ont émis d’alerte particulière sur l’association Milli Görüş du Grand Est, ordonnateur du chantier. Et quand bien même il y aurait un « risque d’ingérence étrangère » prouvé, c’est à la sécurité nationale d’agir, pas à une municipalité qui n’a pas de service de renseignement. Ce sur quoi même son opposant Nicolas Matt (LREM), ancien élu en charge des cultes, s’accorde : « Il y a manifestement des niveaux d’information que nous n’avons pas », conçoit l’élu par ailleurs très critique de la gestion du dossier par les écologistes :

« Le dossier était clair, il n’y devait pas y avoir de financement en cours de route. Si la maire veut réviser ces règles qui ont 21 ans, elle est légitime, mais il faut d’abord en poser les bases ».

La préfète rétorque qu’elle a alerté Jeanne Barseghian « personnellement et à plusieurs reprises » que « les porteurs de ce projet ne partagent pas des valeurs républicaines ». Le tweet véhément, publié dans un second temps, révèle qu’il s’agirait d’échanges uniquement oraux « en tête-à-tête ». C’est alors que Syamak Agha Babaei devient la cible de la préfète, car dans l’après-midi, il a notamment indiqué aux DNA que Josiane Chevalier se fait le « relais d’un mensonge politique qui est celui de Gérald Darmanin » sur ces supposées alertes. Auprès de Rue89 Strasbourg, il tient des propos similaires :

« Je n’ai jamais vu l’État s’abîmer de cette manière. Peut-on utiliser la continuité républicaine de la sorte ? Des instances existent pour gérer la sécurité nationale. Nous n’avions pas de dossier avant, mais nous n’en avons toujours pas depuis. Peut-être avons nous été naïfs en pensant que tout le monde était de bonne foi, au gouvernement ou localement, dans ce dossier ».

Syamak Agha Babaei, premier adjoint à la maire de Strasbourg.

Il s’inquiète du « niveau de haine depuis les tweets de Darmanin » et des « menaces de mort » dont fait l’objet son équipe. Au sein du gouvernement, seuls les ministres Darmanin et Schiappa se sont exprimés sur ce dossier qui rencontre un écho national.

Président de la collectivité d’Alsace (CEA), Frédéric Bierry (LR) assure de son côté avoir bien reçu « des alertes » de Gérald Darmanin, en janvier, là-aussi lors d’un « tête-à-tête », le sujet ayant été amené « spontanément » par le ministre. L’élu bas-rhinois confirme que des échanges similaires ont aussi eu lieu « uniquement à l’oral » avec la préfète. Dans l’entourage du ministre, on indique que Milli Görüs « n’était pas l’objet du déplacement » et on ne confirme pas que le sujet ait été abordé ou non avec la maire.

Les « principes de la République » en travers

Si la préfète indique que « le contexte a changé depuis 2017 », c’est en réponse à l’argument de la « continuité républicaine, » brandie par les écologistes pour justifier une subvention demandée lors du mandat précédent. Ils rappellent que l’inauguration de la mosquée Eyyub Sultan s’était déroulée en 2017, en présence du préfet Jean-Luc Marx, du maire de Strasbourg d’alors, Roland Ries, de sa prédécesseur Fabienne Keller et du vice-premier ministre turc Bekir Bozdag. À l’époque, c’était interprété comme de la bienveillance, voire un soutien d’Ankara au projet.

Mais l’arrêt du chantier pendant plusieurs mois en 2019 a révélé une insuffisance de financements. Accompagné d’un fonctionnaire de la Ville de Strasbourg, Milli Görüs s’était alors tournée vers le Qatar. À l’époque en campagne pour les municipales de 2020, le candidat Alain Fontanel s’est rendu à la mosquée Milli Görüs, rappellent les DNA. Jean-Philippe Vetter a de son côté rencontré la communauté franco-turque avec son colistier turcophone David Saglamer lors d’une réunion à la Meinau, ainsi qu’à « la fête de la république laïque turque » au consulat. « Dans ces moments-là, on ne demande pas qui fréquente quelle association », précise Jean-Philippe Vetter. Même la nouvelle préfète a rencontré Eyub Sahin, délégué régional de Milli Görüş dans l’Est et par ailleurs élu président du conseil régional du culte musulman (CRCM) pour une convention sur… l’éducation à la sécurité routière. Les écologistes se demandent ce qui a changé depuis, puisque ces responsables étaient fréquentables.

Depuis, il y a le projet de loi « confortant les principes de la République », dit contre le « séparatisme religieux », promu par Gérald Darmanin. La loi est en cours d’examen. Ainsi est née une « charte de l’Islam de France ». Ce texte, qui contient des versets du Coran, a été rédigé par le Culte français des musulmans de France (CFCM), fédération de 9 branches de l’Islam désormais au bord de l’implosion. Des organisations telles Milli Görüş ne l’ont pas signée. Les élus de droite, LREM ou encore la maire de Paris Anne Hidalgo (PS) se réfèrent désormais à ce jeune texte pour disqualifier Milli Görüş comme étant hors du champ républicain, sur fond de tensions croissantes entre la Turquie et la France. « Le président de l’association Eyub Sahin travaille localement avec les autres représentants des cultes, mais les personnes passent et les structures restent. Il n’est pas concevable de voter un financement sans garanties claires sur les valeurs républicaines et la signature de la charte par le Milli Görüş », dit à ce sujet Alain Fontanel.

Enfin, Gérald Darmanin et la préfète accusent Milli Görüş d’être proches des Frères musulmans. Ce qui n’est « pas vrai du tout », selon Samim Akgönül, directeur du département d’études turques à l’Université de Strasbourg. « Ce sont des sunnites traditionalistes, qui représentent 25 à 35% des salles de prière turques en France, oui ils ont des causes communes avec le Ditib (l’islam officiel turc, ndlr), mais ils ont aussi des rivalités vis-à-vis du gouvernement turc », résume-t-il.

Dans l’entourage du ministre de l’Intérieur, on reconnaît qu’il n’y a pas de faits « caractérisés et répétés » pour enclencher une dissolution. Quant au recours devant le tribunal administratif de la délibération strasbourgeoise, il faudra prouver que Milli Görüş « ne poursuit pas un intérêt public local, a un objet illicite ou que ses actions sont contraires à la loi ».

Le financement de facto suspendu

À rebours des invectives en public, le dossier est pourtant en phase de temporisation. Une deuxième délibération devra être votée dans les prochains mois par la majorité. Le texte voté lundi renvoie à des vérifications du plan de financement.

La maire a aussi répété que des « engagements sur les valeurs républicaines » seront demandés, mais cela ne figure pas dans la délibération votée lundi, comme l’a souligné à raison la préfète. Si la loi sur le séparatisme est promulguée d’ici le vote, il faudra de toutes façons que Milli Görüş signe un « contrat d’engagement républicain » qui s’appliquera à toute association. Si Milli Görüş ne le signe pas, ce serait une potentielle porte de sortie pour la majorité écologiste.

Dans un tweet publié dans la journée du jeudi 25 mars, la Région Grand Est et la Collectivité d’Alsace ont annoncé « ne pas être favorables au financement » de la mosquée. Milli Görüş espérait que les deux institutions participent à hauteur de 8% aux coûts d’édification, comme pour lors de la construction de la Grande mosquée de Strasbourg (GMS). En outre, les prochaines élections régionales et départementales étant programmées fin juin, rien ne devrait être voté d’ici là, ce qui laisse du temps pour que la loi soit promulguée.

« On nous demande, mais à nous seulement, de ne pas recourir à des financements étrangers. On nous demande maintenant de ne pas recourir à des subventions prévues à cet effet », commente pour sa part Eyub Sahin, responsable du Milli Görüş Grand Est sur son compte Facebook.

« Avec un financement, on pensait avoir une porte d’entrée pour être plus regardant, alors que c’est un islam conservateur qu’on ne fréquente pas spécialement. Le risque dans ce climat désormais, c’est que cette communauté, qui concerne tout de même des milliers de fidèles, se renferme sur elle-même », redoute un élu écologiste.


#mosquée Eyyub Sultan

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