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Chercheurs et enseignants se mobilisent contre une future « précarité institutionnalisée » à l’Université

Depuis le début de l’année 2020, les personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche se mobilisent en amont de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR). Ils dénoncent un financement insuffisant de la recherche publique et un recours croissant à la contractualisation des effectifs.

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« La précarité, c’est déjà une réalité à l’université. Avec cette loi, on va bientôt l’institutionnaliser », déplore Nicolas Poulin, ingénieur de recherche et co-secrétaire du syndicat Sud Education Alsace. Depuis le début de l’année, représentants syndicaux et personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche multiplient les assemblées générales. La mobilisation porte sur la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche, qui devrait être présentée en avril.

« Labos en lutte », peut-on lire sur une banderole déployée dans la Maison des Sciences de l’Homme – Alsace (Misha) (Photo Kévin Gasser / Rue89 Strasbourg / cc)

Un risque de précarisation aggravée

Le personnel universitaire mobilisé est inquiet suite aux trois rapports préparatoires au projet de loi. Ils ont été remis le 23 septembre dernier au Premier ministre Edouard Philippe. Ces études constatent, chiffres à l’appui, « un système d’innovation français inefficace ». Parmi les solutions proposées : le recours à la contractualisation plutôt qu’à la titularisation des enseignants et chercheurs. La communauté académique dénonce une préconisation qui risque d’aggraver la précarisation de l’enseignement supérieur et la recherche.

En novembre 2019, l’inquiétude du milieu universitaire a grandi suite à la publication d’une tribune rédigée par le Président Directeur Général du CNRS Antoine Petit. Ce dernier y affirmait la nécessité d’une loi « ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne. »

Selon le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, cette future loi  vise à « redonner à la recherche de la visibilité, de la liberté, des moyens ». En 2016, la France a dépensé 49,5 milliards d’euros dans la recherche. Une somme inférieure à la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et en deçà de l’objectif de 3 % du PIB fixé par l’Union européenne.

Un besoin de financement stable, réparti librement

Pascal Maillard, secrétaire académique du Syndicat national de l’enseignement supérieur du SNESUP-FSU, regrette la stratégie de financement préconisée dans les rapports :

« On a besoin d’un refinancement annuel sur 10 ans, à hauteur de 3 milliards d’euros par an. Une enveloppe stable allouée aux laboratoires que chercheurs et enseignants-chercheurs se répartissent librement. Cette part récurrente n’a pas cessé de diminuer au profit des orientations de financement de l’Agence nationale de la recherche (ANR). »

Une compétition féroce pour les financements

Les chercheurs subissent une compétition féroce pour décrocher des financements par l’ANR. Selon les chiffres de l’Appel à projets générique de 2018, l’ANR ne répond positivement qu’à 15,1 % des appels à projets. Près de 85 % sont donc « retoqués », regrette Pascal Maillard :

« Depuis des années, les chercheurs passent plus de temps à chercher de l’argent qu’à chercher. Cela entraîne également un épuisement des tâches administratives des personnels dans les laboratoires et les composantes. »

La préconisation d’un financement plus important de l’ANR vise à augmenter ce taux de succès aux appels à projets entre 25 % et 45 %. Mais pour le secrétaire académique du SNESUP-FSU, le problème réside aussi dans les orientations de la recherche :

« Les appels à projets visent de plus à plus une recherche mise au service du secteur du privé, selon des thématiques imposées »

La Maison interuniversitaire des sciences de l’homme (MISHA) héberge plusieurs laboratoires mobilisés contre la LPPR. (Photo Kévin Gasser / Rue89 Strasbourg)

La contractualisation au détriment de la titularisation

Cette course au financement et à l’excellence « précarise le travail de recherche », affirme le co-secrétaire du syndicat Education Alsace. Les enseignants-chercheurs sont censés travailler un premier mi-temps pour l’enseignement et un autre mi-temps dédié à la recherche. Mais la réalité est tout autre, souffle Isabelle Hajek, maîtresse de conférences en sociologie :

« En plus de notre activité d’enseignant, nous dirigeons des licences ou des masters, nous faisons de l’ingénierie de formation. Nous sommes souvent obligés de faire de la recherche pendant les vacances et le week-end. Et ça personne ne le sait. »

« Une baisse importante des recrutements »

Autre constat établi par ces rapports : la « baisse importante des recrutements de chercheurs, enseignants-chercheurs et ingénieurs de recherche » et « une augmentation du nombre de contractuels financés sur projet ». Alice Debauche, maîtresse de conférences en sociologie à l’Université de Strasbourg, explique cette tendance par le recours aux vacataires et les heures supplémentaires réalisées par les enseignants titulaires. 

Selon le collectif de vacataires strasbourgeois Dicensus, « les enseignants vacataires ont donné 154 891 heures d’enseignement. Ceci équivaut à 790 postes de Maîtres de Conférences. Dicensus revendique la création de postes titulaires plutôt que le recours massif à des vacataires payés à un tarif inférieur au SMIC. »

Dans l’avant-projet de loi figure également la création de « CDI de mission scientifique », c’est-à-dire des contrats d’une durée de 6 ans maximum liés à un projet de recherche. Le co-secrétaire de SUD Education Alsace décrypte :

« Cela va être comme dans une agence d’intérim : ‘Désolé, mais le projet de recherche sur lequel était basé ton contrat s’arrête. Donc demain, c’est aussi fini pour toi !’ »

Antoine Petit, PDG du CNRS et co-auteur du rapport sur le financement de l’enseignement supérieur, a lui-même avoué en décembre la nécessité d’une loi « inégalitaire et darwinienne » dans une tribune publiée dans Le Monde. (Photo KG / Rue89 Strasbourg)

Le 5 mars, « L’université et la recherche s’arrêtent »

La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche Frédérique Vidal tente d’apaiser la mobilisation dans le milieu universitaire. Elle a ainsi annoncé une revalorisation salariale pour les jeunes chercheurs afin d’atteindre le double du Smic dès 2021. Une mesure « insignifiante » pour Pascal Maillard, qui rappelle que les premiers salaires des chargés de recherche et maîtres de conférences se situent aujourd’hui autour de 2000 euros net mensuel.

Sur le contenu de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche conserve le flou : « Ce ne sont que des rapports, à la fin, c’est le gouvernement qui choisira de retenir ou non telle ou telle proposition. »

Une grande journée de mobilisation nationale intitulée « L’université et la recherche s’arrêtent » est prévue pour le 5 mars. Syndicats, chercheurs et enseignants-chercheurs et étudiants manifesteront aussi leur mécontentement lors de la manifestation contre la réforme des retraites ce jeudi 20 février à Strasbourg. Le départ du cortège est prévu à 14h, place de la Bourse.


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