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La question du ministre alsacien

Le suspense est à son comble. On saura enfin demain si, oui ou non, le premier gouvernement du quinquennat de François Hollande comptera dans ses rangs un ministre alsacien. A Strasbourg, les élus PS montent au créneau pour maintenir cette tradition, symbolique politiquement et utile aux intérêts de l’Alsace. A droite, on assure que, de toute façon, un ministre alsacien socialiste ne sera pas très représentatif des intérêts régionaux. A découvrir aussi, notre infographie qui liste tous les ministres alsaciens depuis 1946.

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Alain Fontanel est l'un des ministrables socialistes alsaciens. (Photo M.M.)

C’est une tradition, même si tout ceux qui ont occupé la fonction symbolique d’Alsacien au gouvernement, jurent ne pas avoir été choisis que pour leur origine. Depuis 1946, rares ont été les années durant lesquelles l’Alsace n’était pas représentée au conseil des ministres (voir notre infographie en bas d’article). « Une nécessité historique » il y a 60 ans, un « symbole encore aujourd’hui », analyse Philippe Breton, sociologue et professeur à l’Université de Strasbourg :

« Après les conflits qui ont marqué la première moitié du XXe siècle et les allers-retours de l’Alsace entre la France et l’Allemagne, la nomination d’un ministre alsacien symbolise le rapprochement de l’Alsace et de la France. C’est une façon de signifier le lien. Bien sûr, cette continuité de la tradition est renforcée quand la majorité est à droite, comme une reconnaissance de l’engagement à droite de la région. »

Pour lui,un gouvernement socialiste sans Alsacien serait une erreur :

« Si François Hollande ne nomme pas de ministre alsacien, ce sera très mal perçu. Surtout après le faux pas sur le Concordat. Et ce sera exploité aux élections législatives par les candidats de droite sur le mode « Hollande va lâcher l’Alsace ». A tel point que s’il nommait un ministre alsacien d’ouverture [ndlr : comme Nicolas Sarkozy l’a fait en 2007 avec l’Alsacien Jean-Marie Bockel, ce qui avait choqué les sympathisants et élus UMP à l’époque…], ce serait plus apprécié que s’il ne nommait personne… »

Catherine Trautmann, Alain Fontanel ou…

Pas sûr. Néanmoins, au PS en Alsace, on joue à fond la carte de la traditions pour s’assurer une place au soleil. Quatre ministrables étaient ou sont sur les rangs : le maire de Strasbourg Roland Ries, qui a déjà dit qu’il n’irait pas, son adjoint aux finances, l’ambitieux quadra Alain Fontanel, une des deux candidatures les plus crédibles avec celle de Catherine Trautmann, ex-ministre de la culture du gouvernement Jospin (1997-2000). Enfin, le nom d’un représentant de la société civile – entendre un non-professionnel de la politique – est évoqué, celui du gynécologue obstétricien et conseiller municipal de la majorité, Israël Nisand (le frère aîné du maire de Schiltigheim).

Depuis une semaine, les tractations vont bon train. Les élus strasbourgeois influents à Paris font valoir des arguments symboliques, mais surtout politiques, en faveur du maintien de cette tradition, qui a perduré même quand l’échiquier politique national a basculé à gauche (voir infographie). Un élu socialiste, qui n’a pas souhaité être nommé, remarque:

« Hollande a fait une bourde sur le Concordat, il va fermer Fessenheim, il laisse tomber le GCO… Si en plus l’Alsace n’était pas représentée au gouvernement, ça permettrait à la droite de faire courir le bruit que l’Alsace est sanctionnée pour avoir « mal » voté ! Et avoir des conséquences dommageables aux législatives. On pourrait aussi en pâtir aux sénatoriales, alors que la gauche n’a qu’une courte majorité au Sénat, voire même remettre en cause l’implantation de la gauche à Strasbourg ! »

L’épouvantail ultime. Autant dire que les socialistes alsaciens sortent l’artillerie lourde pour justifier de leur présence au gouvernement. Mais à quel poste ? Et pour faire quoi exactement ? Car c’est peu de dire que les portefeuilles raflés par les Alsaciens ne sont pas toujours très prestigieux : la Sécu (Zeller), les personnes âgées et handicapées (Trautmann, Braun), les anciens combattants (Bord, Hœffel), l’agriculture (Pflimlin) ou les collectivités locales (Hœffel, Richert)… Les Alsaciens sont plus souvent secrétaires d’Êtat que ministres, et surtout, on ne leur confie jamais de ministère régalien (justice, intérieur, affaires étrangères, finances, défense). François Loos, ministre délégué au commerce et à l’industrie de juin 2002 à mai 2007 (gouvernements Raffarin et Villepin), fait part de son expérience, et pose en préalable :

« D’abord, j’ai été nommé ministre parce que j’étais président du Parti radical, pas parce que j’étais alsacien ! Il se trouve que j’étais le seul alsacien quand j’étais ministre… Mais tous les présidents n’ont pas à cœur de nommer un ministre représentatif de l’Alsace. Quand Sarkozy a choisi Bockel, il ne l’a pas choisi pour faire plaisir aux Alsaciens. Parce que s’il l’a fait pour ça, ça n’a pas marché ! »

Il raconte :

« En conseil des ministres, quand un dossier touchant l’Alsace était abordé, on se tournait vers moi pour me demander ce que j’en pensais. Le ministre alsacien (même si ce n’est pas un titre) va forcément être un porte-parole de sa région – c’est vrai aussi pour d’autres régions, mais pas pour toutes. La plupart des ministres ont dans leur cabinet un conseiller en charge des « affaires réservées », c’est à dire qui touchent à la région d’implantation du ministre, hors de la compétence de l’administration de son ministère. Mon rôle a aussi été de réunir et de faire passer des messages auprès des Alsaciens de Paris, ces décideurs influents qui s’intéressent à l’Alsace. C’est important pour ce « lobby », mais aussi pour les acteurs de la vie locale ici en Alsace, d’avoir un interlocuteur au gouvernement. Pas sûr en revanche qu’ils s’adressent de la même façon à Catherine Trautmann ou Alain Fontanel s’ils deviennent ministres… »

Les ministres alsaciens moins présents à Paris

Sur la nature des portefeuilles proposés aux Alsaciens, François Loos, aujourd’hui président de l’Ademe et vice-président du Conseil régional d’Alsace, analyse :

« Je pense que si les Alsaciens n’ont pas de ministère régalien, c’est parce que ce sont des élus de terrain qui ne vivent pas à Paris plus de deux ou trois jours par semaine. Souvent les ministres les plus importants sont très parisiens, leurs enfants vont en classe ou étudient à Paris, leur activité est tournée principalement vers la politique nationale. Ce n’est pas notre cas. Et c’est aussi pour ça que nous sommes très bien élus. »

Le président du Conseil régional Philippe Richert, ministre des collectivités territoriales pour quelques heures encore, est du même avis :

« Les Alsaciens sont très décentralisateurs, plus en retrait que d’autres hommes et femmes politiques qui gravitent autour des présidents. A certaines périodes, on a hypertrophié le côté parisien au détriment du terrain, en nommant des dizaines de ministres d’Ile-de-France ou des gens qui n’avaient pas les compétences pour exercer leur fonction. »

Concernant la nécessité pour l’Alsace d’être représentée au gouvernement :

« Je ne pense pas que ça ait un effet de ne pas nommer de ministre alsacien. Ce n’est pas déterminant pour la population, qui ne l’identifie pas forcément… »

Fin du suspense demain mercredi, à la lecture de la liste des nouveaux ministres par le secrétaire général de l’Elysée, Pierre-René Lemas, issu de la même promotion Voltaire à l’ENA que François Hollande.



#Alain Fontanel

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