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Milo Rau assène son théâtre du réel au Maillon

Le Maillon accueille les 2 et 3 décembre Mitleid – Die Geschichte des Maschinengewehrs, autrement dit Compassion – L’histoire de la mitraillette, du metteur en scène suisse Milo Rau. Créée en janvier 2016 à la Schaubühne de Berlin, la pièce met les Européens que nous sommes face à leurs contradictions – et leurs responsabilités – en ce qui concerne le sort des réfugiés et la guerre civile au Congo. Entretien avec un homme qui nourrit le théâtre de son indignation.

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C’est bientôt Noël. Novembre a été rude. Le froid est mordant et la tentation grande de se laisser aller à fermer les yeux pour oublier un peu la fureur du monde. Avec Mitleid – Die Geschichte des Maschinengewehrs, Milo Rau ne nous fera pas ce plaisir. Son théâtre ne parle que de cela : les conflits, les rapports de pouvoir, la haine dans les grandes arènes géo-politiques. Ici deux femmes prennent la parole pour mettre en lumière le lien complexe des Européens à la compassion.

Ce n’est pas vraiment des réfugiés ou des victimes de la guerre civile congolaise dont on nous parle ici, mais bien de nous. Une pièce à mi-chemin entre la psychanalyse et le manifeste, qui pose la question : que peut le théâtre ? Et que pouvons-nous ? Rue89 Strasbourg a interrogé Milo Rau sur sa démarche théâtrale, son militantisme et sa façon de s’adresser aux spectateurs.

Milo Rau (Photo Thomas Müller / Document remis)

Rue89 Strasbourg : D’où viennent le titre et le sous-titre de la pièce ?

Milo Rau : La compassion est peut-être la question la plus anciennement traitée au théâtre, celle de la catharsis. Comment peut-on être touché par le destin d’un autre, qu’on le voie sur scène, dans les médias ou ailleurs? C’est une question politique et esthétique. Elle est incarnée dans la pièce par une grande actrice, Ursina Lardi. Elle parle de la compassion, mais aussi de son impossibilité à la ressentir. C’est lorsque l’histoire de la pièce part vers le Congo qu’on va comprendre d’où vient son traumatisme, son manque de sentiment.

« C’est toujours celui qui a les mitraillettes qui gagne. »

Le sous-titre, L’histoire de la mitraillette, fait référence à Dogville de Lars Von Trier. On y explique que c’est toujours celui qui a les mitraillettes qui gagne. L’histoire de la pièce commence en 1994 avec le génocide au Rwanda, puis l’armée Tutsie entre au Congo pour rechercher la vengeance. Le côté qui a les mitraillettes change. C’est un point de vue très pessimiste sur l’histoire humaine.

La situation au Congo semble capitale pour vous. Comment l’avez-vous découverte ?

La première fois c’était quand j’ai commencé à travailler sur ma pièce Hate Radio, en 2010. J’ai alors passé quelques mois au Rwanda. J’ai fait une reconstitution d’une radio génocidaire où les génocidaires étaient joués par des survivants du génocide. Ce renversement de la situation était extrêmement intéressant. Hate Radio a beaucoup tourné en France – mais pas à Strasbourg je crois.

« J’ai vu beaucoup de choses »

Plus tard je suis revenu au Congo de l’Est pour Le Tribunal sur le Congo. J’y ai passé beaucoup de temps en 2014 et 2015. C’est une région totalement déstabilisée depuis 20 ans, juste après le génocide. Il y a une guerre civile, une guerre économique aussi. Six millions de morts. C’est une situation qui m’a beaucoup touché, qu’on retrouve dans MitleidCompassion. J’ai été témoin d’un grand massacre, par hasard, de déportations de masse par les grandes entreprises de coltan et d’or. J’ai vu beaucoup de choses. C’est pour ça que j’ai voulu créer Le Grand Tribunal sur le Congo au Congo, et ensuite à Berlin.

« Mitleid – Die Geschichte des Maschinengewehrs » (Photo Daniel Seiffert)

Qu’est-ce que la situation au Congo raconte de la société occidentale ?

Il y a une très belle citation de Karl Marx qui dit que si on veut connaître la vérité au sujet de notre société bourgeoise en Occident, il faut aller dans les colonies. C’est ça que le Congo est pour l’Europe. Le livre Congo, une histoire de David Van Reybrouck montre bien cette histoire parallèle de l’Europe à travers le Congo.

« Le problème des Congolais, c’est qu’ils ont toujours eu ce dont nous avions besoin »

Le problème des Congolais, c’est qu’ils ont toujours eu ce dont nous avions besoin : des esclaves, du caoutchouc, du coton, de l’or, même de l’uranium. Ils ont tout ! C’est leur richesse qui fait le côté sombre de notre propre histoire. Le Congo est complètement influencé par les besoins économiques de l’Europe -qui est un continent très pauvre en matières premières. C’est ça qui fait du Congo un pays tellement important, et tellement dans la merde depuis plus de 100 ans maintenant.

Votre théâtre est-il militant ? Un appel à l’action ?

Certaines pièces sont des appels à l’action, d’autres, comme Civil Wars, sont plutôt des descriptions déprimantes… [rires] Dans CompassionMitleid, il y a un appel à l’action mais aussi quelque chose de sinistre, de très dur, qui glace les gens. L’activisme dans le théâtre est plutôt quelque chose d’indirect. C’est par l’émotion et par l’histoire que quelque chose, peut-être, se déclenchera chez le spectateur.

Consolate Sipérius dans « Mitleid – Die Geschichte des Maschinengewehrs » (Photo Daniel Seiffert)

« Une zone post-conflit », vraiment ?

Le théâtre est-il politique ?

Oui, si l’on regarde la politique comme le fait de montrer des antagonismes qui ne sont pas visibles dans le vie quotidienne. Si tu vas au Congo de l’Est, par exemple, même si tu es témoin de massacres et de déportations, tout le monde va te dire : « c’est une zone post-conflit. » Une pièce de théâtre, ou un film, ou un tribunal, doit montrer que la guerre existe, pourquoi elle existe et comment. Montrer ces antagonismes c’est peut-être aussi montrer notre culpabilité à nous.

En quoi vos études de sociologie influencent-elles votre théâtre ?

Il y a beaucoup de façons d’être sociologue. Ce que j’ai appris, par exemple avec Bourdieu, c’est de rentrer dans les situations desquelles on parle. Ce n’est pas une sociologie théorique, comme le marxisme par exemple, c’est une sociologie où l’on essaie de vivre aux côtés de ceux dont on parle. C’est presque de l’ethnographie en fait, au sens politique du mot. Cela veut dire que si tu veux être boxeur tu dois apprendre à boxer. C’est pour ça que pour moi la recherche a toujours sa place dans la mise en scène.

« Le besoin du réel est crucial pour mon travail »

Je développe cette recherche avec les acteurs, on y travaille ensemble, comme pour le texte. On voyage. Si on parle du Congo, on y va, si on parle de la route des réfugiés, on suit cette route. Il y a bien sur aussi beaucoup d’autres choses de l’ordre fantasmagorique qui apportent d’autres dimensions dans la mise en scène. Mais en terme de méthodologie, le besoin du réel est crucial pour mon travail.

Vous êtes pessimiste ?

Je dis souvent que je n’ai pas d’illusions mais que j’ai de l’espoir. Je suis un pessimiste stratégique. [rires] C’est peut-être une façon d’arriver quand même à un autre endroit qui est mieux que celui de départ. L’optimisme et les illusions ne donnent pas beaucoup de sens à l’art. D’ailleurs quand on regarde l’histoire du théâtre la plupart des sujets sont tout à fait sinistres. Le conflit est à la source de la création dramatique.

Que diriez-vous à des spectateurs pour les convaincre de venir voir votre spectacle ?

Je dois avouer que je n’y ai jamais pensé ! CompassionMitleid est une pièce impressionnante. Avec des actrices formidables. C’est la raison pour laquelle moi je vais au théâtre, pour faire une expérience. Je vous invite à venir la faire avec nous.


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