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Pour la mémoire de Cyril, sans-abri noyé en février, sa mère en quête de vérité

Plus de six mois après la disparition de Cyril, un sans-abri strasbourgeois, sa mère cherche à rassembler des éléments sur les circonstances de sa mort, dans l’espoir de se reconstruire. Mais qui s’intéresse au décès d’un sans-abri ?

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« Tant que je ne sais pas ce qui s’est passé, ce sera dur de faire mon deuil. Je le ressens de plus en plus ». Six mois après le décès de Cyril, 27 ans, sa mère Isabelle cherche toujours à savoir ce qu’il s’est passé. Assise sur une chaise à l’Hôtel de la rue, elle raconte en détail leur relation. Le regard fixe, elle évoque leurs derniers échanges et les souvenirs douloureux liés à sa disparition. Dans le petit bureau, la porte fermée, une bénévole prend des notes pour savoir comment l’aider juridiquement et avec les administrations.

Disparition début février

Cyril Ledermann a arrêté de lui donner des signes de vie dans la matinée du mercredi 5 février. « On s’appelait une heure par jour », se souvient Isabelle.

Ce jour-là à 18h35, une personne tombe seule dans l’Ill près des Halles, sans pouvoir être secourue à temps. Elle n’est jamais retrouvée. Au matin du 2 mars, le corps de Cyril est repêché dans l’Aar, à hauteur du parc des Contades. Le même matin, Isabelle se rendait au commissariat de Schiltigheim pour faire une « déclaration de disparition inquiétante ». Suite à la description d’Isabelle, la police la redirige vers le commissariat central à Strasbourg. Cyril est formellement identifié.

« D’après le policier et la personne à la morgue, le corps a séjourné un bon moment dans l’eau ». Jusque-là, Isabelle n’avait pas fait ce rapprochement entre Cyril et cette noyade, car la personne disparue le 5 février correspondait à « un homme d’une quarantaine d’années », selon la description des témoins.

Une des dernières photos de Cyril. (doc remis)

La thèse du suicide ou de l’accident ne convainc pas sa mère, ni ses proches. « Il a peur de l’eau et ne savait pas nager. On logeait un moment dans un squat nommé le Village du second souffle, près du lac de la Ballastière à Hoenheim et même quand il était alcoolisé, il ne s’en approchait pas », raconte Edson Laffaiteur, le fondateur de « l’Hôtel de la rue » et ancien sans-abri qui a côtoyé Cyril. Ses proches se demandent s’il y a eu un règlement de comptes près du centre commercial.

Sans nouvelle de l’enquête, Isabelle, 48 ans, cherche à comprendre. « Depuis son décès, je suis sous anti-dépresseurs », raconte l’habitante de Schiltigheim, mère de quatre autres jeunes adultes. Elle n’a pas souhaité donner son nom de famille ou apparaître en photos.

Dans sa quête de vérité, la principale difficulté est de ne pas avoir accès à tous éléments. Elle n’a pas pu consulter le rapport d’autopsie. Pas plus que les images des caméras de surveillance. Contacté, le parquet de Strasbourg en charge de l’enquête n’a pas donné suite à notre sollicitation. Isabelle a en revanche pu voir le corps de Cyril à la morgue : « Je le revois tous les jours. Il avait ses habits et son visage était vert ». Isabelle multiplie les demandes, jusqu’à écrire à l’Élysée. « Beaucoup de gens qui l’ont côtoyé dans la rue veulent savoir, mais c’est à la famille de mener les recherches » poursuit-elle.

À la rue depuis ses 16 ans

Cyril Ledermann a quitté le domicile familial strasbourgeois à l’âge de 16 ans, dans un contexte familial tendu. Il gardait contact avec sa mère, divorcée, et venait parfois loger chez elle. C’était le cas à l’automne 2019 pour plusieurs semaines. Mais certaines rechutes dans son addiction à l’alcool rendait parfois les relations difficiles. Le 14 février, dix jours après son décès, le jeune homme devait être incarcéré plusieurs mois à la maison d’arrêt de Strasbourg, pour des faits de violences conjugales commises dans le nord de la France. Il s’agissait de sa deuxième condamnation pour de tels faits. Il était père d’un enfant de 4 ans, aujourd’hui sous la garde d’une précédente compagne à Strasbourg.

Cyril pendant son adolescence. (doc remis)

Sur ses doigts, Cyril portait depuis peu un tatouage « Fuck love ». Les huit lettres, quatre sur chaque main, apparaissaient sur ses phalanges lorsqu’il fermait les poings. Isabelle espère que ce signe distinctif évoque des souvenirs à ceux qui l’ont croisé les dernières semaines avant son décès. La mère attend toujours un appel, un témoignage qui aiderait à comprendre les circonstances de la mort de son fils.

Cyril portait des tatouages sur ses mains (photo Fb)

Cyril avait aidé au fonctionnement de « l’Hôtel de la rue » à Koenighsoffen lors de l’ouverture en juillet 2019. Il a quitté les lieux suite à des difficultés de cohabitation. Par la suite, il a aussi vécu au squat Bugatti à Eckbolsheim, ou à l’éphémère squat Saint-Aloïse à Neudorf début janvier 2020. Sa mère ne sait pas exactement quel était son dernier lieu de vie. Il avait notamment trouvé attache dans un lieu à Hautepierre. « Il passait les trois quarts de son temps dans ce quartier, où il avait des amis proches ». Un autre très bon ami vivait à Mutzig, où Cyril avait passé le nouvel an. Il vivotait grâce à des petits boulots de quelques jours.

Cyril a grandi en Alsace. Il revenait du nord de la France. (doc remis)

Appels aux témoignages et à la solidarité

Cyril a été incinéré en mars, pendant le confinement. Une cérémonie avec quelques proches s’est tenue le 9 juin. Ses cendres ont été dispersées dans un cimetière de la Robertsau. Sa mère doit encore régler une partie des frais aux pompes funèbres. Il lui reste 1644€ à régler sur 2850€. Isabelle rembourse à raison de 100€ par mois et a reçu quelques dons individuels, mais cherche à récolter les fonds via une cagnotte Leetchi. Début septembre, elle est retournée pour la première fois se recueillir au cimetière.

Depuis la fin de l’été, Isabelle occupe une partie de son temps en aidant à l’Hôtel de la rue, une manière de poursuivre son engagement pour les sans-abris. Dans ses petits appartements, elle avait déjà hébergé plusieurs personnes à la rue par le passé : « J’ai aidé beaucoup de personnes, notamment des femmes. Certains m’appelaient la “maman de la rue”. »


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