« On a rarement de vrais impacts avec la démocratie participative » résume René Leboëdec, habitant de la Meinau qui s’investit depuis 2014 dans les assemblées et conseils de ce quartier du sud de Strasbourg. Début 2022, il a participé à la concertation pour la rénovation du parc Schulmeister. Lors de trois réunions, entre quatre et six habitants sont venus proposer des aménagements au service des espaces verts de la Ville de Strasbourg. Ils ont obtenu la plantation d’arbres fruitiers, une signalétique indiquant les essences des plantes, ou la mise en place d’une table de pique-nique.
Mais lors de l’assemblée de quartier organisée le 22 mars à l’école élémentaire de la Meinau, quand l’agent de la Ville, chargé de la démocratie locale à la Meinau, a présenté le résultat de la concertation de ce réaménagement, cela paraissait éloigné des préoccupations de son audience. La majorité des 40 personnes présentes était peu intéressée par le parc et voulait plutôt dénoncer une surpopulation de rats, l’insalubrité et les prix élevés des logements sociaux ou les rodéos urbains…
« Beaucoup d’habitants sont ressortis frustrés de l’assemblée », se souvient René Leboëdec :
« Il aurait fallu que des représentants des bailleurs sociaux ou de la police soient présents. À cause de ça, beaucoup de personnes pensent que s’investir dans la démocratie locale ne sert à rien, que ça ne règle pas les vrais problèmes. Les gens veulent surtout parler aux élus, aux personnes qui prennent les décisions. »
Ce soir-là, l’élu chargé du quartier, Abdelkarim Ramdane, n’était pas présent. Une représentante de la direction du territoire accompagnait le chargé de la démocratie locale. Claude, qui a participé à l’assemblée, résume :
« On a pu rouspéter et on a vu à quoi ressemblent ces fonctionnaires, mais le but n’était pas vraiment de nous faire participer. »
Martin, présent pour la première fois à un événement de démocratie locale, tempère un peu :
« C’est bien d’avoir quelques renseignements et de pouvoir discuter. Par exemple, certaines personnes ont demandé de rouvrir le commissariat de quartier de la Meinau pendant l’assemblée et la direction du territoire a expliqué que c’était très cher, qu’il y avait trop peu de personnes qui venaient et qu’il était plus pertinent de tout mutualiser au commissariat du Neuhof. »
Mais lui aussi convient qu’il n’est pas vraiment possible « d’avoir un impact important avec ce genre de dispositif, à part sur de petites choses ». Pour Carole Ziélinski, adjointe à la maire de Strasbourg, en charge de la démocratie locale, l’objectif est pourtant exactement inverse. Elle assure que « les Strasbourgeois ont déjà été inclus dans des réflexions sur les politiques publiques », mais plutôt à l’échelle de Strasbourg que d’un quartier :
« Un groupe de citoyens (dix personnes tirées au sort parmi des volontaires, NDLR) s’est réuni de septembre à décembre 2021 pour émettre des propositions sur les tarifications solidaires des services publics. Nous allons aussi mettre en place un jury citoyen pour déterminer l’avenir du marché de Noël, qui sera automatiquement consulté. »
Pour l’instant, ces groupes de travail avec les habitants ont été mis en place, mais n’ont pas encore abouti à des décisions.
Nouvelle municipalité, nouvelle politique de démocratie locale
Sous les municipalités précédentes, comme partout en France, des conseils de quartier ont été organisés dans le cadre de la loi du 27 février 2002. Il s’agissait de volontaires qui devenaient des sortes d’intermédiaires pour faire le lien entre les habitants et les élus.
À la Meinau, le conseil de quartier était composé de 26 personnes. Certains ont assuré une permanence tous les jeudis matin pendant deux heures, pour que les habitants qui le souhaitent puissent exposer leurs problèmes. « Il y avait à peu près un habitant qui venait toutes les deux ou trois semaines », relate Jean-Luc Allenbach, ancien membre du conseil. Une réunion mensuelle ouverte à tous était programmée, mais elle réunissait surtout les membres du conseil, et souvent l’élu référent et les services de la Ville.
Après l’élection des écologistes à la municipalité fin juin 2020, ces instances ont été dissoutes pour mettre en place une nouvelle organisation. Des chargés de mission spécialement dédiés à la participation citoyenne ont été embauchés par la Ville et un comité de suivi constitué d’habitants, la plupart du temps des anciens membres des conseils de quartier, organise trois à quatre fois par an des assemblées de quartier ouvertes à tous. Elles sont censées aboutir sur des ateliers, des groupes de personnes qui se réunissent pour faire avancer des sujets concrets.
« Avant, on avait plus accès aux élus et aux services de la Ville »
Des anciens membres du conseil de la Meinau ont donc suivi la démarche et lancé trois ateliers de quartier intitulés « cadre de vie », « accueil des populations exilées » et « lieux de vie, lieux de rencontre ». Mais selon René Leboëdec, à l’origine de l’atelier cadre de vie, seulement entre deux et quatre personnes sont venues à chacune des premières réunions de ces ateliers.
Avec le thème « cadre de vie », René Leboëdec imagine que des Meinauviens pourraient exposer des projets d’aménagement pour améliorer leur environnement. Mais certains anciens membres des conseils de quartier, comme Jean-Luc Allenbach de la Meinau, sont très critiques sur la nouvelle organisation décidée par la municipalité écologiste :
« Avant, on avait plus accès à Mathieu Cahn (l’ancien élu référent de la Meinau, NDLR), il venait aux réunions du conseil de quartier. Et lorsqu’il y avait un nouveau projet d’aménagement, on avait les plans sous les yeux et on pouvait faire des contre-propositions.
Le conseil de quartier, c’était la garantie que des habitants soient au courant des projets comme des réunions étaient prévues spécialement pour ça tous les mois. Et on pouvait s’exprimer et communiquer dessus auprès des autres. Maintenant, je trouve qu’on n’a plus du tout notre mot à dire. Aux nouvelles assemblées, le sujet est fixé à l’avance. »
Chantal Cutajar était adjointe au maire jusqu’en 2020, avec l’ancienne municipalité, en charge de la démocratie locale :
« La dissolution des conseils de quartier a été très mal perçue par les anciens membres (21 d’entre eux ont co-signé une lettre ouverte pour dénoncer la situation, NDLR). Il y avait une progression et toute une réflexion autour de ce dispositif. Pourquoi ne pas avoir continué ce que nous faisions ? Nous avions une politique ambitieuse en la matière, avec notamment le pacte pour la démocratie rédigé en 2017. »
« Les conseils de quartier étaient peu suivis »
Carole Ziélinski, adjointe à la maire en charge de la démocratie locale, estime qu’il était nécessaire de changer de fonctionnement et considère que ce dernier est mal compris pour l’instant :
« Le but, c’est que les personnes décident elles-mêmes du mode de fonctionnement et de l’objectif des ateliers. Si elles veulent que des élus ou des fonctionnaires des services soient présents, c’est tout à fait possible mais elles doivent en faire la demande. Nous nous sommes basés sur le bilan des conseils de quartier 2019, qui étaient souvent peu suivis et réunissaient toujours les mêmes personnes. À la Meinau, ils étaient entre cinq et dix aux dernières séances. Lors de l’assemblée du 22 mars, une quarantaine de personnes étaient présentes, donc on observe un regain d’affluence avec ce nouveau format.
Les ateliers de quartier doivent permettre aux personnes qui en ont l’envie de s’investir sur le long terme, au moins dans une réflexion sur un sujet. Mais il est vrai que ces instances ne garantissent pas qu’il y ait un débouché concret à la fin. Il faut que les projets soient réalisables et en accord avec notre politique. »
« Je ne veux pas dire que c’était mieux avant »
Jean-Luc Allenbach reconnait que les impacts concrets de son conseil de quartier ont été très rares. Un seul exemple lui vient, même si lui n’était pas d’accord avec cette décision :
« Entre 2015 et 2018, lorsque l’avenue de Normandie a été réaménagée, avec une voie centrale dédiée aux bus, au départ, la Ville voulait couper les 250 arbres. Les autres membres du conseil ne voulaient pas qu’ils soient coupés. Ils ont réussi à en sauver 45 grâce aux négociations dans le cadre du conseil de quartier. »
Vincent Leport est aussi un ancien membre du conseil de la Meinau. Il mentionne qu’en 2012, sous l’impulsion du conseil, une réglementation claire a été établie afin de créer des zones de livraison et de stationnement pour le marché du jeudi matin, place de l’Île-de-France. Il a une vision moins négative du dispositif de la nouvelle municipalité :
« Je ne veux pas dire que c’était mieux avant. Ce qui manque le plus, c’est le sentiment que les services de la Ville étaient à notre disposition lors des réunions des conseils de quartier. Mais c’est surement possible de retrouver ça à travers les nouveaux ateliers si on le demande. C’est encore tôt pour juger. »
« Cela risque de prendre du temps »
Certaines démarches initiées par l’ancienne municipalité sont poursuivies par les écologistes. « Il n’y a pas du tout une volonté de faire table rase de ce qui a été fait avant mais d’améliorer certains points qui semblaient ne pas fonctionner », indique Carole Ziélinski. La Ville continue à organiser des concertations régulières sur des aménagements précis, comme pour le parc Schulmeister. Les informations sont disponibles sur un site internet dédié.
« Par exemple, à Cronenbourg, les habitants pourront construire avec les services le devenir d’une partie de la promenade des Arts et des Sports qui sera rénovée et dont les travaux sont prévus cet été », expose l’élue.
D’après elle, une troisième saison du budget participatif, qui permet aux habitants de proposer des projets, aura lieu prochainement, avec une enveloppe de deux millions d’euros. « Le calendrier n’est pas encore établi », précise-t-elle. Carole Ziélinski insiste sur le fait que la démocratie locale est en cours d’expérimentation : « Peu de personnes sont habituées à participer réellement, cela risque de prendre du temps avant que les habitants s’approprient massivement ces outils. »
Mais le caractère anecdotique des décisions prises dans les instances de démocratie locale est bien éloigné des envies de certains habitants. Non-informée de l’existence d’une assemblée de quartier, Kenza, la trentaine, fait par exemple partie des nombreuses personnes éloignées de ces dispositifs :
« Je pense qu’il y a beaucoup de gens découragés après toutes les promesses des élus qui n’ont jamais rien fait ensuite. On veut du concret. Je m’investirais si j’avais l’impression que ça peut vraiment changer quelque chose, mais là franchement j’ai d’autres problèmes et je n’ai pas le temps pour ça. »
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