Elene accueille dans son salon, avec du thé chaud. Difficile de se rendre compte que son appartement fait partie d’un squat. Elle habite ici, avec ses trois enfants et sa mère, depuis le 25 décembre 2021. Sur la façade de ce vieux bloc de la Meinau s’alignent les entrées du 23, du 25 et du 27 rue de Bourgogne. Devant le parvis, un permis de travaux indique : « Démolition d’un immeuble de 54 logements », pour IN’LI Grand Est. Contactée, la société immobilière confirme être propriétaire des lieux, mais ne souhaite pas donner plus d’informations.
Nino, Salomé et Sopio vivent ici également. Tour à tour, ces mères de famille racontent leurs difficultés à trouver un toit. « Quand on appelle le 115 (le numéro de l’hébergement d’urgence), il n’y a jamais de solution », constatent-elles. Nino, dans un français parfait, explique que le lieu est squatté depuis décembre :
« Petit à petit, une centaine de personnes sont arrivées. Nous sommes presque tous géorgiens. Il y a deux familles arméniennes aussi. Beaucoup d’entre nous vivaient dehors avant. Moi, j’étais cinq mois dans ma voiture avec mes deux enfants avant d’arriver ici mi-décembre. »
Des appartements qui semblent habitables
Hillary, coordinatrice de la mission mobile de Médecins du monde, s’est rendue sur place à deux reprises, les 6 et 13 janvier :
« Nous avons rencontré 68 personnes dont 18 mineurs, des familles, des personnes isolées et des couples. Tous les habitants n’étaient pas là quand nous sommes passés. Sur les 27 appartements dans lesquels nous sommes rentrés, nous avons constaté des moisissures et de l’humidité dans deux d’entre eux. Nous n’avons pas fait d’étude approfondie, mais les 25 autres semblaient en bon état. »
La plus jeune fille d’Elene, Anastasia, n’a pas encore fêté son premier anniversaire. La petite dort dans une chambre voisine. Sesili, l’ainée, est scolarisée au collège Martin Schongauer, à Ostwald. Cette dernière assure : « On est bien mieux ici qu’à Hoenheim ! » Sa mère précise :
« Avec la pandémie, nous avons été logés dans un hôtel à Hoenheim. Fin décembre, on nous a dit que c’était fini, que nous devions partir. Nous n’avions pas de solution. Alors nous nous sommes installés dans cet appartement, parce que des amis vivaient déjà là et nous on dit de venir. »
« Qu’est-ce qui pose problème si on reste dedans ? »
D’après Nino, ce sont des habitants du quartier qui ont dit aux premiers squatteurs de l’immeuble qu’il était vide. Puis le mot est passé dans la rue. Koba, un homme qui habite au-dessus, entre dans la pièce et s’assoit sur un fauteuil, le sourire aux lèvres. Salomé commente : « Forcément, on se connait bien maintenant, on est voisins. » Elle reste pensive quelques secondes et ajoute :
« L’immeuble ne sert à rien. Qu’est-ce qui pose problème si on reste dedans ? La vie dehors traumatise les enfants et leur cause des problèmes de santé. »
Pour l’instant, l’électricité et l’eau fonctionnent. Les couloirs sont globalement propres et en bon état. Dehors, des sacs commencent à s’entasser autour des poubelles. La collecte des déchets n’est pas encore bien organisée.
Interrogée, la Ville dit ne pas être « engagée sur ce dossier pour l’instant ». D’après les habitants rencontrés, la police est déjà venue à deux reprises. « Ils ont toqué aux portes et ont posé des questions. On est beaucoup à avoir très peur d’être expulsés », témoigne Nino.
Une occasion pour la Ville de porter un projet d’habitat intercalaire ?
Hillary, de Médecins du monde, souligne que même si l’immeuble est en bon état, les conditions de vie en squat restent précaires :
« Avec Strasbourg Action Solidarité et les Vélos du Cœur, nous suivons ces personnes. Elles ont un toit, c’est bien, mais la peur de l’expulsion crée des incertitudes. C’est difficile à vivre. L’idéal serait que l’on intervienne aussi avec des partenaires institutionnels pour assurer l’accompagnement social. »
Justement, la mairie prône l’hébergement intercalaire : l’utilisation de bâtiments vides pour loger des personnes avant qu’ils soient réutilisés pour d’autres fonctions. Va t-elle se saisir de cette opportunité ? Il faudra aussi obtenir l’accord d’IN’LI Grand Est, propriétaire des lieux.
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