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La médiathèque Malraux, havre de paix des demandeurs d’asile

Plus de 1 700 demandeurs d’asile se sont présentés l’an dernier à Strasbourg. Les centres d’accueil n’ont que 600 places. Du coup, d’autres services publics prennent en charge une partie de l’accueil de ce public, dont les médiathèques. Reportage à Malraux, havre de paix pour ces personnes en transit permanent.

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Médiathèque Malraux (Photo Yellowstar / FlickR / cc)

Dans les centres (CADA), les demandeurs d’asiles attendent. Ils attendent encore et encore. L’administration française a besoin de 18 mois en moyenne pour accorder, mais la plupart du temps refuse, le statut de « réfugié ». Dans les CADA, des animations et des sorties sont parfois organisées à destination des quelques 600 demandeurs d’asile qui y sont hébergés à Strasbourg. Mais comme ils ont été 1 700 à débuter cette démarche en 2013, beaucoup n’y ont pas accès. Ceux là vivent leur attente dans des institutions publiques qui offrent des distractions, des lieux qui deviennent, à leur tour, des salles de transit dans un provisoire qui dure.

Musique et Internet à la médiathèque Malraux

Médiathèque Malraux, mardi après-midi, il est 14h et les portes s’ouvrent enfin. Impatients, des petits groupes de personnes se faufilent avec hâte vers les ordinateurs et les guichets pour recevoir les casques qui leur permettront de regarder la télé, comme ce jeune couple de Yougoslaves qui vient tous les jours, dès l’ouverture. D’autres se dirigent vers la salle « musique » pour y choisir un CD et l’écouter, confortablement assis. Certains se sont dit bonjour et ont échangé quelques mots, à l’entrée de la médiathèque, mais chacun vaque à ses occupations une fois à l’intérieur.

Sachet plastique à la main, faisant office de valise de fortune : chargeur de téléphone, courrier de la préfecture et brosse à dents, Ali (tous les prénoms ont été changés), un Pakistanais de 22 ans, est un habitué des lieux. Il est dehors depuis 8h du matin, depuis que l’ami qui l’héberge est parti travailler. Débouté il y a une semaine, il entreprend un recours mais il sait pertinemment qu’en attendant, un simple contrôle au faciès pourrait le ramener à la case départ. Hésitant, il raconte :

« Les journées sont terriblement longues, à attendre… Rester dehors toute la journée, c’est risqué et puis mon ami ne veut pas de contrôle de la police à la maison. Je vais dans des bibliothèques, ça fait passer le temps et je vois des gens qui font des trucs, qui sont occupés. J’aime bien aller sur Internet pour regarder des clips et parler à des gens. On trouve tout sur Internet, c’est bien ! J’étais étudiant au Pakistan, j’étudiais les mathématiques mais j’ai dû partir, il y a des problèmes de religions et d’éthnies là-bas, ce n’est pas facile quand on n’est pas dans la bonne case. Mais ici aussi, c’est dur. Après le voyage, j’ai pensé que ça serait plus simple mais en fait, non. Des fois, je ne sais plus trop si je suis content ou non, mais… en même temps c’est moins dangereux ici. Je m’ennuie quand-même beaucoup. C’est dans une association pour les demandeurs d’asile qu’on m’a dit où je pouvais aller la journée. On m’a dit qu’à Malraux, je pourrais m’occuper et que personne ne m’embêterait. Parce que dans certaines associations, il y a des publics vraiment bizarres… Et puis, on est encadrés pour tout. Ici, je passe inaperçu, j’aime bien. »

Les bibliothécaires ont l’habitude de voir défiler ce public en quête d’occupation journalière, après des nuits parfois passées dehors. L’un d’eux raconte :

« Ils sont nombreux à venir pour avoir accès à Internet et à la télévision. L’abonnement est gratuit. C’est aussi pour ça qu’on propose plus de chaînes étrangères. Avec le papier de demandeur d’asile (le récépissé de la préfecture suffit) ceux qui le désirent peuvent souscrire à un abonnement pour emprunter des livres à 4,20 euros (même tarif que pour les étudiants, ndlr). Pour faire les abonnements d’ailleurs, ce n’est pas toujours évident comme la plupart ne parle pas un mot de français et pas forcément anglais. Je pratique beaucoup le « langage des signes » ! Ce sont principalement des adultes isolés qui viennent ici passer leurs journées. Mais nous ne sommes pas là pour nous substituer au social et c’est aussi ce qu’apprécient certaines personnes : ne pas avoir à parler, être avec d’autres personnes et pas toujours dans « l’entre-soi ». Nous ne rencontrons, en général, aucun problème à laisser chacun vaquer à sa guise et les brèves altercations qui ont pu avoir lieu étaient plutôt dues à des personnes en état d’ébriété, pas à des demandeurs d’asile spécifiquement. »

Apprendre à gérer l’oisiveté

Il fait beau ce jeudi et Vincent n’a pas envie de rester enfermé alors il attend dehors. Il s’est allongé sur un banc, devant la médiathèque mais ne tient pas vraiment en place. Parfois, il griffonne des notes sur un bloc-notes, s’assoit, s’allonge à nouveau, enlève et remet sa capuche sans cesse. Il a froid, « dans mon pays, il fait tellement plus chaud ici, c’est l’horreur » sourit-il. Vincent vient d’un pays d’Afrique dont il taira le nom, probablement francophone. Il n’a pas très envie de parler, a la sensation de ne faire que cela depuis qu’il est arrivé, « toujours devoir justifier de tout et raconter son histoire » dit-t-il, un peu agacé. Il se plaint tout de même de ce temps qui ne passe pas, comme « suspendu sur un fil au-dessus du vide »:

« Chaque jour, il faut trouver une activité. C’est angoissant de ne pas savoir quoi faire, en attendant une réponse. Moi, j’ai rencontré des gens ici (à la médiathèque Malraux, ndlr), on parle peu mais c’est bien de croiser des visages familiers. S’il y a un coup dur, on sait qu’on peut appeler ces gens-là, ça fait une petite famille. Et puis comme ça, on se dit qu’on n’est pas les seuls dans ce qui nous arrive. On peut aussi parler avec nos amis qui sont restés au pays sur Internet. Et puis, c’est beau, regardez comme c’est grand, dedans, il y a des fauteuils pour se reposer parce que les nuits, des fois, elles sont dures et puis de la musique… Moi, ça me permet de m’évader. Heureusement qu’il y a des endroits comme ça, où on se sent en « sécurité ». Mardi, c’était écrit que ça ouvrait à 14h parce qu’il y avait une grève. Ben, j’ai eu peur de pas savoir quoi faire si ça n’ouvrait pas. Ça m’a un peu paniqué. »

La politique de l’attente

Les demandeurs d’asile ont deux droits : celui de scolariser leurs enfants et d’être soignés. Une circulaire promulguée en 1991 leur interdit de travailler. Une mesure qui se veut  dissuasive pour les « faux » réfugiés et qui rend visible un glissement d’une politique de l’immigration vers celle d’un encadrement plus strict des demandeurs d’asile. Un psychologue du pôle de coordination et de soins psychiatriques de l’Epsan, rue de Berne, qui accueille des demandeurs d’asile en souffrances psychiques explique cet accueil, placé sous le prisme de l’attente :

« Les symptômes de stress post-traumatique sont toujours les mêmes : maux de tête, insomnies, cauchemars, troubles anxio-dépressifs et cognitifs (problèmes de mémoire, d’attention et de concentration par exemple). Certains vivent très mal l’inactivité. L’attente renforce ces symptômes et ajoute à la difficulté de se protéger sur le plan psychique. Se pose aussi la question de la déstructuration de l’identité :  ils sont placés dans un entre deux, entre intégration et exclusion, la peur et le soulagement. C’est de retrouver un cadre protecteur et des repères dont ils ont besoin. »

« La rue, c’est le danger des contrôles d’identité »

A Casas, (collectif d’accueil aux solliciteurs d’asile à Strasbourg), une association qui vient en aide aux demandeurs d’asile, les quatre salariés travaillent avec près de 200 bénévoles. Ensemble, ils planchent sur près de 500 dossiers de demandeurs d’asile et autant de recours en cas de refus de l’Ofpra. Ils suivent près de 1 000 demandeurs d’asile chaque année. La responsable de Casas, Pascale Adam-Guarino précise le rôle de son association  :

« Casas a été créée pour pallier les carences de l’État. Nous tentons de les aider à survivre en attendant, on paie des repas quand on le peut, on aide à écrire les lettres de motivation pour l’Ofpra, on propose aussi des cours de français avec des bénévoles. Mais c’est vrai qu’ils doivent apprendre à se débrouiller seuls et prouver leur ingéniosité, parfois à leurs risques et périls. Ils ne sont pas réellement poussés dans ce sens là et doivent agir de leur propre chef, que ce soit pour apprendre la langue ou rencontrer des gens. Forcément, pour gérer cette attente au quotidien, ce n’est pas évident, surtout pour les déboutés qui auront plus de mal à se confier et à faire confiance. La rue, c’est le danger des contrôles d’identité, le froid l’hiver et l’errance. Mais certains prennent le risque de sortir, pour faire quelque chose. »

L’écrivain irakien Chawki Abdelamir écrivait ces quelques mots sur cette attente mortifère :  « Le réel exil commence lorsque le présent est confisqué. Quand on est condamné à rêver le temps d’avant et attendre l’avenir. »


#Demandeurs d'asile

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