Depuis 2016, les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (HUS) sont en plan de retour à l’équilibre (PRE). Ce PRE a conduit à déstabiliser gravement les services de soins, à décourager les personnels et à déshumaniser la relation patient-soignant, tout cela mettant en danger la qualité des soins et donc la vie des patients.
Un long combat pour plus de moyens
En juin 2016, un collectif de 120 médecins des HUS (dont 28 chefs de service) s’est constitué pour dénoncer ce plan de retour à l’équilibre. En octobre 2018, ce collectif a manifesté devant l’ARS pour exiger des moyens supplémentaires qui n’ont été au final que peau de chagrin (un scanner pour les urgences et 1,5 million d’euros). En juillet 2019, le collectif et tous les syndicats des HUS ont porté une menace de grève qui a conduit à des
promesses qui n’ont jamais été tenues. Enfin, en février 2020, 40 médecins des HUS ont démissionné de leurs fonctions administratives rejoignant ainsi l’appel du Collectif Inter Hôpitaux créé au niveau national.
En mars 2020, l’épidémie de covid-19 a révélé la capacité des équipes médicales à s’organiser dans l’urgence pour la prise en charge d’une vague de patients extrêmement soudaine et massive et ce, malgré la situation catastrophique des HUS (150 postes d’infirmières et aides-soignants non pourvus, 15 lits de réanimation fermés faute de personnels, etc…). Cette organisation solidaire des équipes médicales s’est faite de façon
spontanée et incroyablement efficace aussi bien à l’échelle régionale que nationale.
Le personnel a souffert
Néanmoins, si l’épidémie s’éloigne progressivement, personne ne peut ignorer le stress vécu par tous les personnels. Les soignants en particulier ont craint d’être infectés et d’infecter leur famille. Ils ont aussi dû s’adapter à des tâches difficiles et pour lesquelles ils n’avaient ni préparation ni formation. L’exemple le plus marquant est celui des infirmières recrutées dans les unités de réanimation, nombre d’entre elles provenaient d’autres secteurs de soins et leur formation en réanimation a dû être réalisée en quelques jours seulement.
Personne n’ignore l’insuffisance des moyens mis à notre disposition pour lutter contre ce type d’épidémie (masques, blouses, respirateurs, etc..). Le transfert des patients vers le Luxembourg, la Suisse, l’Allemagne en est la preuve manifeste. Si nous n’avions pas pu transférer ces patients, alors nous n’aurions pas été en mesure de prendre en charge tous les patients. Nous aurions été contraints de faire des choix douloureux. La nécessité de reporter toutes les activités de chirurgie lourde en est une autre, sachant que ce report constitue une perte de chance réelle pour ces patients.
Un retour à l’identique inacceptable
Aujourd’hui, il n’est donc pas acceptable que nous retournions à une politique vis-à-vis de l’hôpital public, identique à celle précédant l’épidémie Covid-19. Pour deux raisons :
- d’une part la situation aux HUS est critique compte-tenu des manques chroniques de personnels et de matériels, cette situation mettant en péril la vie des patients,
- d’autre part de nouvelles épidémies (grippe, 2ème vague de coronavirus…) vont probablement faire leur apparition dans les prochains mois
Le CHU est la clé de voûte du système sanitaire en France. Aussi dans cette lettre, nous souhaitons faire des propositions pour l’Hôpital Public qui doit se reconstruire non pas demain mais dès aujourd’hui. Nous souhaitons ainsi revenir au meilleur de la qualité des soins mais aussi de la recherche et de l’enseignement, indissociables, et qui caractérisent les
missions des Hôpitaux Universitaires.
Problème de gouvernance
Les HUS sont un bel exemple du paradoxe à la Française et des incohérences de la gouvernance en fonction de la personnalité des Directeurs et des missions qui leur sont confiées. En effet, de 2008 à 2016, le Directeur général (DG) de l’époque n’a jamais évoqué la notion de « déficit » aux HUS. Bien au contraire, il a construit le Nouvel Hôpital Civil, mis en route les chantiers de l’hôpital Hautepierre 2 et de l’Institut de Cancérologie de Strasbourg (ICANS), constituant ainsi une dette d’emprunt significative mais nécessaire. À l’arrivée du nouveau DG, du jour au lendemain, les HUS étaient en déficit et devenaient le plus « mauvais élève » de France avec 30 millions d’euros de déficit annuel. Il fallut donc supprimer des lits, du personnel… Tant et si bien qu’aujourd’hui les projets engagés par le DG précédent sont en dysfonctionnement permanent, les personnels à bout de force et l’attractivité de l’hôpital public réduite à néant.
La responsabilité d’un établissement comme les HUS ne peut donc être laissée à un seul individu qui ne connait pas le métier de soignant, ni l’organisation d’un service de soins. Encore moins quand la seule préoccupation de cet individu est de réduire les dépenses de santé dans son établissement, quoi qu’il en coûte sur le plan sanitaire et humain pourvu que les objectifs financiers soient atteint. Ces derniers sont souvent les seuls garants de sa future promotion dans une autre institution publique et souvent au bout de 4 ans, quand nous, les médecins restons plus de 20 ans dans la même institution.
« Nous revendiquons une gouvernance par équipe »
De ce fait, nous revendiquons aujourd’hui une gouvernance par une équipe constituée par un médecin, (nommé Directeur Général) élu par la communauté médicale des HUS (et non par le gouvernement) en co-direction avec des directeurs spécialisés dans leurs domaines (directeur économique, directeur des ressources humaines, etc… et nommés par le Ministère).
Cette équipe s’appuiera :
- sur la Commission Médicale d’Etablissement (CME) (et son Président) qui deviendra une instance décisionnaire et non plus consultative. C’est au niveau de la CME que les grandes orientations de l’Hôpital seront entérinées sur proposition de l’équipe de Direction. Les membres de la CME auront donc un rôle majeur dans l’évolution de leur structure hospitalière.
- Sur une représentation des personnels para-médicaux qui participeront ainsi au processus décisionnel
- Sur une représentation des usagers issus des associations de patients ou de personnes volontaires.
Pour un budget adapté aux évolutions réelles des activités
Il n’y a pas de mode de financement idéal pour un hôpital. La raison principale est que dans un hôpital, on transforme des unités monétaires (euros) en « unités de vie », dont la valeur reste indéterminée. Mais pour rassurer ceux qui ne connaissent que les chiffres, cette valeur pourrait être mesurée. Soigner un patient permet de le réinsérer dans la société, il
redevient un travailleur (pour les plus jeunes) produisant des richesses (mesurables), et/ou un consommateur (quel que soit son âge) participant à la croissance (consommation et croissance mesurables). Contrairement à ce que pensent beaucoup de théoriciens de la finance, les soins ne constituent pas un investissement à perte, ni pour l’individu ni pour la société.
De ce fait, un budget prévisionnel doit être établi sur l’activité et ce budget doit être constamment adapté aux besoins : augmenté si les besoins augmentent, diminué si les besoins diminuent. L’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) doit être fixé en fonction des évolutions réelles des activités.
Néanmoins, adapter le budget aux besoins ne veut pas dire dépenser à tout-va. La mise en place d’un Plan de Retour à l’Equilibre a eu le seul avantage de faire prendre conscience aux médecins que l’on pouvait réduire les frais de fonctionnement (actes de biologie, radiologie, réduction de la
durée moyenne de séjour…) sans porter préjudice à la qualité des soins, sous réserve de ne pas dépasser certaines limites. De la même façon, nous avons bien conscience que multiplier les actes diagnostiques n’améliore pas la qualité des soins ni le pronostic des patients.
Des indicateurs de « performance » nécessaires
Il est donc nécessaire de maintenir des indicateurs de « performance » pertinents qui restent à définir, non pas pour contrôler l’activité des médecins ou fixer des objectifs de réduction des dépenses, mais pour aider les responsables d’unités à optimiser leur organisation et les stratégies de prise en charge des patients.
Une prise de conscience des médecins sur la nécessité de réaliser une médecine pertinente au moindre coût s’est déjà opérée depuis longtemps.
Il est pertinent de donner une délégation de gestion financière même partielle aux pôles ou aux services. Cela positionnera les responsables d’unités et les équipes dans un état de responsabilité directe dans les dépenses de fonctionnement et cela donnera plus de souplesse dans les organisations.
Pour « la création de services tampons »
La loi Hôpital Patient Santé Territoire de 2009 a conduit à l’organisation des Hôpitaux en pôle. L’organisation en pôle peut-être pertinente pour certaines spécialités (Pôle Chirurgie orthopédique et traumatologie, Pôle médico-chirurgical cardiovasculaire) mais totalement inadaptée pour des spécialités qui n’ont pas de point commun. De ce fait, les pôles doivent être maintenus uniquement pour ceux qui le souhaitent et pour lesquels il y a un réel bénéfice à rapprocher les activités.
Les objectifs capacitaires des HUS doivent être revus à la hausse et les lits fermés doivent être ré-ouverts. Le mécontentement des services d’urgence est en grande partie lié au manque de lit d’aval avec des médecins urgentistes qui passent trop de temps à chercher des lits et des patients qui restent en attente prolongée sur des brancards. Ce manque de lit d’aval est permanent tout au long de l’année mais en période d’épidémie il devient problématique. En effet, depuis 4 ans, pendant la période hivernale (qui dure 5 mois en Alsace), la Direction demande aux services de médecine et de chirurgie de réserver des lits d’aval pour les urgences, en réduisant l’activité programmée s’il le faut, alors même que ces services sont déjà en difficulté permanente, avec des listes d’attente de patients conséquentes et des admissions urgentes directes.
Pour faire face à ces incohérences dans la gestion des lits, outre la restauration capacitaire des HUS, nous proposons la création de services tampons qui pourront être armés ou désarmés en fonction de l’évolution des épidémies.
Pour un « pool de remplacement de personnels paramédicaux »
L’adaptation des personnels au niveau d’activité des unités est fondamentale pour maintenir la qualité des soins et les rapports humains entre patients et soignants, mais aussi pour éviter la surchauffe ou le burn-out.
Les départs en retraite, en formation et les arrêts maladies ou maternité doivent être remplacés instantanément. De ce fait, un pool de remplacement de personnels paramédicaux doit être constitué à la hauteur nécessaire pour éviter le rappel des soignants sur leurs RTT, congés, WE et d’éviter que les soignants se retrouvent dans des services qu’ils ne connaissent pas, ceci générant stress et démotivation.
De la même façon, les postes médicaux nécessaires au fonctionnement d’une unité de soins ou transversale doivent être créés en temps réel et non pas sur des prospectives qui restent aléatoires dans le temps et qui constituent un facteur de découragement pour les plus jeunes. Ces créations de postes doivent bien sûr être évaluées par la communauté médicale en fonction des niveaux d’activité mais aussi des futurs projets définis par la CME.
Pour un Hôpital Public attractif
L’attractivité de l’Hôpital Public est mise à mal depuis des années par les gouvernements successifs.
- Pour les personnels paramédicaux :
L’exemple est celui du salaire annuel des infirmières françaises qui est classé au 28ème rang des pays de l’OCDE. Si l’épidémie de Covid-19 a montré le professionnalisme des soignants titulaires qui se sont lancés dans la bataille sans se poser de question, et la générosité des soignants en formation (élèves-infirmières, étudiants en médecine) qui n’ont pas hésité à rejoindre les rangs des titulaires pour les aider, elle a aussi entraîné une démotivation supplémentaire des plus jeunes pour les carrières de santé et surtout dans l’hôpital public. Travailler dans des conditions difficiles et en plus risquer sa propre vie et celle de ses proches n’est plus envisageable aujourd’hui.
Restaurer l’attractivité de l’Hôpital Public (HP) sera donc une épreuve longue et difficile et, dès aujourd’hui, il faut arrêter toutes les mesures qui conduisent à la désertification des HP et mettre en place les mesures contraires.
Les mesures à mettre en place sont :
- L’augmentation des salaires des personnels paramédicaux (Infirmières, Aide-soignant, kinésithérapeute, manipulateurs radio…) au-delà de la moyenne de l’OCDE
- L’attribution de primes à l’embauche
- L’attribution de primes pour les infirmières des secteurs les plus exposés (urgences, réanimations, infectiologie, gériatrie)
- Le paiement de la totalité des heures supplémentaires
- La titularisation rapide (après un an de période d’essai)
- Favoriser l’accès à la formation professionnelle
- L’aide au logement pour ceux ou celles qui arrivent d’autres régions.
Aujourd’hui, les difficultés de recrutement de soignants sur le marché tiennent uniquement au manque d’attractivité des HP. Les soignants diplômés choisissent en effet d’autres secteurs d’activité (libéral, EHPAD, laboratoires privés…). Outre la restauration de l’attractivité des HP, il faut augmenter le nombre d’inscription dans les écoles d’infirmières en multipliant l’aide financière aux études et ce, à travers des contrats garantissant l’embauche en HP.
- Pour les personnels médicaux :
Si les praticiens hospitaliers acceptent de gagner deux fois moins que leurs collègues installés en libéral, c’est parce que l’hôpital public offre certains avantages (48 heures de travail par semaine, encadrement sécurisant, innovations en CHU, enseignement des plus jeunes, recherche universitaire) et donc une certaine qualité de vie professionnelle et privée.
Mais au fil du temps, ces avantages se sont réduits sensiblement (augmentation du nombre de garde, dérive du temps médical vers du temps de gestion administrative, etc…) et les difficultés d’organisation liées au manque de personnels et de matériels ont largement contribué au départ des jeunes praticiens du public vers le secteur privé. Là encore, si
beaucoup de jeunes praticiens aiment l’hôpital public, tout est fait actuellement pour les décourager d’y rester. Restaurer l’attractivité médicale de l’HP est donc un défi à relever rapidement, sous peine de voir involuer ou disparaître certaines spécialités.
Les mesures urgentes à prendre sont :
- Revaloriser les salaires des praticiens hospitaliers pour réduire les écarts de revenus entre le secteur privé et le secteur public.
- Maintenir la masse critique des praticiens de sorte que les temps de travail soient respectés
- Restaurer le temps de travail médical, en reportant les charges administratives et organisationnelles vers des agents administratifs, des infirmières coordinatrices ou de pratique avancée,
- Rémunérer les heures de travail exceptionnelles.
Dans cette lettre nous proposons, nous les acteurs de terrain, les grandes lignes d’une réforme pour l’Hôpital Public. Comme on l’entend souvent, l’Hôpital Public est un bien précieux qu’il faut absolument préserver. La responsabilité de la sauvegarde de celui-ci incombe à tous, usagers, personnels soignants, élus et hommes politiques. Un Hôpital Public fort dans lequel chaque citoyen est soigné de la même façon avec le meilleur de la médecine et de la science, dans lequel les personnels sont heureux de travailler et dans lequel l’humanité fait partie des soins quotidiens, constitue le symbole d’une démocratie aboutie.
Par cette lettre, nous demandons votre soutien actif pour la sauvegarde de l’Hôpital Public.
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