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Mars soupçonné d’être à l’origine d’une pollution du miel à Ribeauvillé

Des résidus sucrés de M&M’s produits par Mars à Haguenau ont été butinés par des abeilles dans une usine de recyclage près de Ribeauvillé. Résultat : les apiculteurs de la région ont découvert dans leurs ruches un miel bleu et gras, invendable. Ils attendent une indemnisation d’Agrivalor, l’entreprise chargée du retraitement de ces déchets, ou de Mars. Mais les négociations traînent, un apiculteur a saisi la justice aujourd’hui.

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Les colorants se sont retrouvés dans les alvéoles des ruches à proximité de l'usine d'Agrivalor (doc remis)

Mi-août, une vingtaine d’apiculteurs autour de Ribeauvillé découvrent que des alvéoles dans leurs ruches sont remplies d’une substance bleue et sucrée (voir photo ci-dessus). L’un d’entre eux, André Frieh, président de la fédération haut-rhinoise des apiculteurs, constate en passant près de l’usine de méthanisation flambant neuve d’Agrivalor que des containers stockés dehors laissent accessible une substance sucrée, dont les abeilles raffolent en cette saison. André Frieh se rend à nouveau sur place avec Philippe Meinrad, directeur d’Agrivalor, le 20 août. Celui-ci lui explique qu’il s’agit de résidus issus de la production des M&M’s par Mars Chocolat à Haguenau. Agrivalor a procédé dès le lendemain au nettoyage des containers et à leur stockage à l’intérieur mais le mal est fait : les abeilles sont entrées en hibernation avec ce « miel bleu » dans leurs réserves, trop gras pour elles.

Du coup, les apiculteurs sont inquiets. Combien d’abeilles auront survécu au printemps ? En plus de la perte de leur miel produit en 2012, ils craignent de voir mourir leurs colonies, et pour certains, les reines. Pourra-t-il y avoir une récolte en 2013 ? La majorité de ces apiculteurs sont des retraités, ajoutant la production d’une trentaine de ruches à leurs revenus, soit entre 2 et 10 000€ par an selon le nombre de ruches installées. Les apiculteurs provoquent une réunion avec des responsables d’Agrivalor et de Mars dans l’espoir d’obtenir une indemnisation à l’amiable. Une première réunion a lieu le 9 octobre (voir le compte-rendu ci-dessous, notez le paragraphe savoureux sur les médias) :

Tout semble aller dans le bon sens mais lors d’une seconde réunion, en novembre, les positions sont plus tranchées. Le représentant de l’assurance d’Agrivalor indique que l’entreprise s’est conformée en tout point à son cahier des charges et que par conséquence, aucune indemnisation n’est envisageable par l’assurance. Quant aux représentants de Mars, ils ne sont plus présents. De son côté, Philippe Meinrad d’Agrivalor a reçu le chiffrage des apiculteurs et le trouve trop élevé. Le montant n’a pas été communiqué mais sur la base des éléments fournis lors de la première réunion, il devrait se situer sous les 100 000€ pour les 235 ruches concernées.  Pas de quoi mettre Mars sur la paille, mais pour Agrivalor, jeune PME dépendant du tarif de rachat de l’énergie produite par EDF, la situation est plus tendue.

Expertise judiciaire demandée

L’un des apiculteurs, André Rutschmann, craint que les négociations ne s’enlisent. Or il a besoin de relancer sa production au printemps, s’il ne veut pas perdre le travail de sélection des abeilles qu’il a mené depuis trente ans. Il décide de confier l’affaire à la justice :

« La justice c’est pas mon fort, il vaut mieux laisser ça à ceux qui connaissent. Il faut voir qu’au ton employé lors de la dernière réunion, j’ai compris qu’ils nous menaient en bateau… L’un d’entre eux a même dit que c’étaient les abeilles qui sont venues elles-mêmes sur le site d’Agrivalor. Il veut qu’on leur mette une laisse ? Ça fait cinq mois que j’attends et rien ne bouge, je n’ai même pas une réponse nette. Et sans argent, je ne pourrai pas relancer ma production car il faut remplacer les ruches, les rayons, la cire et acheter de nouvelles reines… Je suis allé voir mes ruches, et je constate que très peu d’abeilles sont encore présentes à l’extérieur. Je crains le pire pour le printemps. »

Son avocat, Me Antoine Bon, va demander aujourd’hui à la justice de désigner un expert indépendant, dans le but d’établir les responsabilités. Il précise :

« L’action entreprise ne met pas fin à la conciliation, bien au contraire. Nous préférerions éviter un procès mais nous sommes obligés de réagir et de passer à la vitesse supérieure, mon client ne peut plus attendre. »

De son côté, André Frieh du syndicat des apiculteurs du Haut-Rhin, avoue être un peu gêné par la tournure des événements :

« Nous avions des négociations en cours avec Agrivalor, très régulieres. Désormais, tout est gelé en attendant les conclusions de la justice. On en saura plus au printemps sur l’étendue des dégâts mais j’ai bien peur qu’on n’ait pas d’autre choix que de détruire les colonies, ne serait-ce que pour éviter la propagation des sous-produits de Mars auprès d’autres colonies d’abeilles. J’espère que tout ceci va rapidement se décanter parce que s’il faut attendre cinq ans pour qu’une décision finale soit rendue… « 

Le miel bleu est invendable (doc remis)

Agrivalor et Mars ayant demandé le renvoi de l’affaire, elle ne devrait pas être plaidée aujourd’hui devant le tribunal de Colmar. Pour Mars d’ailleurs, cette procédure leur est étrangère. L’entreprise, qui a beaucoup investi sur son ancrage local et sur sa politique de valorisation des déchets, voit d’un mauvais œil que ses produits phares soit associés à cette affaire. L’entreprise l’a fait savoir à Agrivalor, laquelle répercute le courroux de Mars quand on leur pose des questions :

« Nous travaillons à une solution avec les apiculteurs. Nous n’avons rien de plus à dire ».

Circulez, y’a rien à voir. Quant à Mars, aucun responsable n’a été « disponible », selon le service de presse, pour répondre à nos questions. La direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des personnes (DDCSPP) a envoyé un inspecteur chez Agrivalor, comme l’explique son directeur-adjoint Jean-Dominique Bayart :

« En tant qu’installation classée pour la protection de l’environnement, Agrivalor doit respecter une clause générale selon laquelle son activité de transformation de déchets agricoles en énergie ne doit pas nuire à l’environnement. Mais cette situation n’a pas été anticipée dans les textes plus précisément, elle est d’ailleurs inédite en France. Dès que nous avons eu connaissance de cette affaire, nos services ont diligenté une inspection, dans le but de s’assurer que le trouble à l’environnement était terminé et que des mesures avaient été prises pour que ça ne recommence pas. »

Et pour tous ceux qui se posent la question : Jean-Jacques Apt, autre apiculteur touché, a goûté le miel bleu. « Ce n’est pas bon », selon ses dires.


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