Malgré le soleil, le marché de la place Broglie n’est guère joyeux ce vendredi 4 novembre. Beaucoup de commerçants font grise mine et la plupart ont apposé sur les quelques 70 stands une pétition en faveur du maintien d’un marché au centre-ville en décembre. Beaucoup de clients se montrent réceptifs. Après deux jours, environ 2 000 signatures auraient été récoltées.
Dégager la place Kléber pour des secours
Le nœud du problème ? L’organisation du marché de Noël prévoit de dégager la place Kléber – la seule encore disponible – pour pouvoir y installer un hôpital de fortune à côté du grand sapin et des chalets des associations en cas d’attaque. Un espace déjà libéré lors de la grande braderie en juillet. Or jusqu’ici, les commerçants du marché de la place Broglie des mercredis et vendredis s’y installaient en décembre, puisque leur place habituelle est louée aux chalets des exposants du marché de Noël.
Si tous les détails du dispositif de sécurité ne sont pas encore arrêtés, il est clair que les mesures seront encore plus drastiques qu’en 2015. Une situation justifiée en conseil municipal par le maire Roland Ries (PS) par l’attentat de Nice du 14 juillet. On sait déjà que les marchés des places du Corbeau, de la gare et d’Austerlitz seront rapatriés dans la grande île, que les voitures devront quitter à 11h. Sur quatre ponts, des herses rétractables sont définitivement installées pour éviter toute intrusion de véhicule.
Faire place nette pour midi
Pour 2016, les commerçants non-sédentaires ont appris mi-octobre qu’ils sont priés de partir à 12h, contre 14h en temps normal pour l’alimentaire et 18h pour d’autres vendeurs. Dans ces conditions, beaucoup s’interrogent sur la pertinence de continuer à venir, mais aussi si l’argument sécuritaire n’est pas une manière d’évincer leurs stands du centre.
Jacques d’Auria, président du syndicat des commerçants non-sédentaires du Bas-Rhin estime que les marchés sont victimes de discriminations :
« On n’est pas contre la sécurité, ni le marché de Noël, au contraire ! Mais on ne comprend pas pourquoi il n’y a pas de risque terroriste avant 12h mais pas ensuite. »
La raison invoquée est l’affluence de touristes passée 12h, qui augmente le risque d’attaque. Jacques d’Auria poursuit :
« Les mesures de l’état d’urgence impactent seulement les commerçants non-sédentaires. Tous les chalets de Noël sont maintenus, les zones commerciales ou les boutiques du centre n’ont rien d’imposé. Les marchés sont là toute l’année pour les habitants. Strasbourg n’appartient pas qu’aux touristes. Alors qu’à Colmar c’est exactement l’inverse, les horaires ont été élargies. »
Question d’argent ? Question d’image ? Dans les rangs on s’interroge. « Nos stands ne sont peut-être pas assez chics pour eux ? », se demande une vendeuse de jus, gâteaux et plats à emporter. Ces doléances sont en tout cas comprises des clients, comme Nicole une habituée dans la file de son primeur, qui a signé la pétition :
« Je marche appuyée sur une canne ou mon cabas de course. J’habite près du tribunal, alors aller jusqu’à la place Kléber passe encore, mais ailleurs c’est trop loin. Le problème à Strasbourg c’est qu’il n’y a pas de marché couvert comme on aurait pu en faire à la Manufacture des Tabacs. »
Même écho chez Martine et son mari pourtant « très attachés au marché de Noël », mais qui ne comprennent pas pourquoi seul leur marché habituel est impacté.
La solidarité des commerçants mis à l’épreuve
Les enjeux ne sont pas tout à fait les mêmes chez les vendeurs de denrées alimentaires, qui ont une autorisation jusqu’à 14h et repartent parfois pour un marché de fin de journée et ceux d’habits, d’objets (dont les brocanteurs, libraires et fleuristes), mais aussi de nourriture à consommer sur place dont la clientèle est surtout présente après 12h. Pour ces premiers, la période de Noël correspond souvent à un trimestre de chiffre d’affaires, tandis que les mois de janvier à mars sont plus difficiles.
Amandine Mebs, marchande d’épices qui a repris un commerce familial estime que le marché de Broglie a pourtant déjà fait des efforts :
« L’an dernier, on a déjà accepté de ne pas venir les trois dimanches, ce qui constitue une perte importante. Les commandes ont été passées en septembre et octobre en pensant qu’on pourrait travailler normalement. Les salaires, il faut toujours les payer. »
La solidarité des commerçants est mise à l’épreuve, mais même chez les vendeurs de nourriture on parle de la situation aux clients ce vendredi. Car partir à midi veut dire remballer vers 11h et donc se priver de la clientèle de la pause entre 12h et 14h. Mais on ne préfère pas le dire trop fort, un marchand confesse que s’être exprimé dans la presse lui a valu des remontrances.
Aller au musée d’art-moderne ?
Du côté de la municipalité, on met les responsabilités sur le compte du préfet, qui irait même « parfois trop loin dans ses exigences » selon le maire en conseil municipal, bien que d’accord avec cette décision précise. La faute du préfet peut-être, mais cet été c’est bien le maire qui signait une tribune pour dire qu’il choisissait de maintenir les festivités à Strasbourg.
Parmi les contre-propositions de la Ville aux commerçants, celle d’aller place du musée d’art moderne. Guère satisfaisant car un marché se tient les mêmes jours à quelques mères rue du Faubourg national où certains commerçants de Broglie ont des employés là-bas. Ils se feraient concurrence à eux-mêmes et cela fait loin pour leurs habitués. Autre idée évoquée dans les allées, pouvoir s’installer place Kléber tous les jours de semaines pendant les soldes en janvier.
L’impression de ne plus être les bienvenus
Ces récriminations alimentent un sentiment diffus de mal-être des commerçants qui disent avoir du mal à trouver leur place à Strasbourg depuis quelques années : lors de la grande braderie leur nombre de stands avait été revu à la baisse ; en août, la brocante de Schiltigheim d’une journée avait été annulée au nom du maintien de la fête de la bière de quatre jours ; les prix de droits de place ont augmenté de 27% en deux ans sans amélioration notable ; il n’y a toujours pas de toilettes sur les marchés et les négociations à Hautepierre ont mis 18 mois à aboutir…
Dernier événement, à une semaine du vendredi 11 novembre (jour férié), aucune date de substitution n’est proposée. « On se se bat pas pour des privilèges, mais juste pour travailler, parfois de 5h à 20h dans le froid avec à peine un sandwich à midi », soupire Sekkal Boumedien co-président du syndicat :
« Avec Éric Elkouby (adjoint en charge des marchés entre 2008 et 2014 NDLR) il y avait des discussions tendues, mais ça ne restait que des mots. Depuis que c’est Robert Herrmann, on a l’impression que tout est fait pour qu’on parte. »
Des commerçants avaient choisi de faire activement campagne entre les deux tours pour la réélection la liste PS-EELV, suite à des engagements. Désormais, ils s’interrogent sur ce choix.
Une manif’ samedi, un rendez-vous obtenu
Ce début de fronde semble avoir fait bouger les lignes. Alors que des demandes de rendez-vous auprès du maire n’avaient eu aucune réponse depuis sa réélection il y a deux ans et demi, un coup de fil en fin de matinée apprend aux représentants qu’un rendez-vous sera possible lundi.
En attendant, la manifestation prévue place Kléber samedi après-midi est maintenue. Il est fort possible que le maire soit également interpellé lors de son passage au marché du boulevard de la Marne, dans le cadre d’une de ses « visites de quartier », prévue au Conseil des XV ce samedi 5 novembre.
Une semaine décisive
Présente ce jour au marché pour défendre Alain Juppé dans le cadre de la primaire de la droite, la sénatrice et cheffe de file de l’opposition municipale Fabienne Keller (LR) en profite pour noter les doléances des commerçants :
« Nous avons fait une question d’actualité au conseil municipal lundi dernier. Une sortie par le haut serait d’étendre l’heure de départ à 14h, voire 16h, car il n’y a pas la foule à cette heure là, qui vient surtout à la tombée de la nuit pour les illuminations. La population apprécie les marchés pour la proximité et la qualité des produits et on va évidement les soutenir. »
L’ensemble des mesures de restrictions et de sécurité sont encore en discussion au niveau de la Ville de Strasbourg et de la Préfecture. Mais l’inauguration étant programmée le vendredi 25 novembre, tout le monde est conscient que la semaine à venir va être décisive. Une présentation de l’édition 2016 à la presse est prévu mardi 8 novembre.
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