Le 18 janvier, les équipes de l’Agence pour la surveillance de la pollution atmosphérique en Alsace (Aspa) ont remballé leurs appareils de mesures dans le centre-ville de Strasbourg. L’agence débute désormais l’analyse de la pollution atmosphérique, notamment aux particules (PM10) sur presque trois mois, afin de comparer la qualité de l’air pendant la baisse de circulation, du 4 au 23 décembre au centre-ville de Strasbourg, aux périodes précédentes et suivantes.
Début décembre, l’Aspa avait installé une station de mesures idoine, rue de la Fonderie, tout près du Christkindelsmärik. Mais elle s’est mise à enregistrer des pics de pollution inquiétants, autant que si elle avait été placée à proximité de l’A35… avant que les techniciens ne se rendent compte qu’à quelques mètres à peine, un camion de CRS s’était garé avec le moteur tournant en permanence.
Des conditions météorologiques favorables
L’étude de l’Aspa sur l’impact de la limitation de la circulation au centre-ville sur la pollution est attendue en février, mais d’ores et déjà, Emmanuel Rivière, directeur adjoint, prévient que deux autres facteurs risquent d’altérer la fiabilité de l’étude :
« Avant Noël, il faisait très beau, avec un temps sec. Mais après la période du Marché, on est passé à un temps froid et pluvieux. Or la pluie influe beaucoup sur les mesures de la pollution. Il faut aussi garder en tête que sur la durée de l’étude, on a eu 15 jours de vacances scolaires, et donc un impact inévitable sur le trafic routier qui peut biaiser les résultats. »
À ce jour, les données brutes de l’Aspa ne laissent pas entrevoir une amélioration nette de la qualité de l’air à Strasbourg en décembre.
« Les gens ont apprécié ces quelques semaines plus saines »
Pour le Dr Thomas Bourdrel, radiologue à la tête du collectif Strasbourg Respire et cycliste quotidien, c’est sûr, ses poumons ont moins souffert durant la période sans voiture :
« L’air était meilleur pour les bronches, de nombreux Strasbourgeois l’ont constaté. D’ordinaire, on observe plusieurs pics de pollution en novembre et décembre, j’ai l’impression que cette année le nombre a diminué. Mais il n’a pas fait très froid, avec un vent régulier : les conditions étaient favorables à une évacuation de la pollution. On attend maintenant que la Ville tire les enseignements de ces mesures. Ce qui est dommage, c’est que seuls les commerçants qui protestent se font entendre, alors que les gens ont apprécié ces quelques semaines plus saines. Mettre en balance la santé de quelques commerces et celle des habitants… Il ne devrait pas y avoir de tergiversations. »
Le radiologue comme le directeur adjoint de l’Aspa sont d’accord : un centre-ville sans voitures, ou du moins avec davantage de zones piétonnes, ça fait toujours du bien à l’air, même si une bonne partie de la pollution atmosphérique subie au centre-ville de Strasbourg est importée, et qu’une autre provient des systèmes de chauffage. Cependant, Emmanuel Rivière n’attend pas de son étude des résultats très différents :
« La Grande Île de Strasbourg est déjà tellement vidée de ses voitures qu’il est délicat de tirer des conclusions des restrictions liées à l’état d’urgence en décembre. C’est une mesure qui aurait eu un réel impact sur la pollution dans une ville avec un important trafic routier en centre-ville. La restriction due aux mesures d’urgences est la finalisation sur quelques pourcents d’un plan à long terme. »
« Comme un fumeur qui arrête, il retrouve l’odorat »
Néanmoins, la Ville aussi a constaté une amélioration de la qualité de l’air pendant ce Marché de Noël interdit aux voitures. Premier adjoint au maire, Alain Fontanel (PS) pointe cette anecdote :
« Nous avons reçu des rapports d’odeurs de poubelles, nous avons cherché d’où ça pouvait bien venir avant de se rendre compte qu’en fait, ces odeurs avaient toujours été présentes mais qu’elles étaient masquées par la pollution automobile en temps normal. Nous étions un peu dans la situation du fumeur qui arrête et qui retrouve l’odorat, même si on ne sait pas encore le quantifier plus précisément. Pour autant, ça nous pousse à avancer sur plusieurs pistes quant à la circulation en ville : éviter les rotations pour le stationnement, passer la rue des Juifs en en zone de rencontre, aménager les quais, etc. »
La Ville débute deux études pour que des bornes interdisent l’accès à la Grande Île aux voitures dès qu’il n’y a plus de place dans les parkings du centre. Alain Fontanel précise :
« Lorsqu’on s’engage rue du Vieux-Marché-Aux-Poissons pour aller au parking Gutenberg, s’il est complet, on est reparti pour un tour via la rue de la Division Leclerc. Et on a perdu 10 minutes pendant lesquelles on a pollué et occupé la voie publique. Donc on pense à ajouter une borne là où il y avait un contrôle d’accès pendant le Marché de Noël, à côté de l’Ancienne Douane, qui se soulèverait dès que le parking Gutenberg est proche d’être complet. »
Quant aux quais, la Ville débute une concertation sur le réaménagement des voies Finkwiller à Bateliers, au sud de la Grande Île, pour que la voiture y cède un peu de terrain au profit des habitants des quartiers de la Krutenau et de la Petite-France et que le patrimoine y soit mieux mis en valeur. Les travaux devraient débuter l’année prochaine pour s’échelonner jusqu’en 2019. Mais ces aménagements s’accompagneront de mesures spécifiques, comme le précise Alain Fontanel :
« Nous pensons à des restrictions temporaires de la circulation, le week-end à partir du samedi après-midi par exemple, ou pendant le Marché de Noël ou la Braderie… »
Adopter un plan d’action global
De son côté, Gilles Huguet, président de l’association Piétons 67, rapporte que ses adhérents ont apprécié de « récupérer » le centre-ville, sans voitures ni gaz de pots d’échappement, plus de sécurité et un air bien meilleur. Pour Gilles Huguet, c’est un signe d’une évolution des choses : les centre-villes ne sont pas adaptés à la circulation automobile et il appelle à renouveler l’initiative.
Stéphane Giraud, directeur de l’association environnementaliste Alsace Nature, rappelle lui que, si lutter contre les pics de pollution par de petites initiatives est important, l’essentiel reste d’adopter un large plan d’action contre la pollution émise par la circulation automobile :
« Il y a beaucoup d’autres facteurs en prendre en compte, notamment ce qu’on appelle la gestion du dernier kilomètre pour les livraisons. Lançons des tests ! On nous dit qu’il faudrait interdire le transit des poids-lourds aux heures traditionnelles des bouchons : mettons ça en place et jugeons de l’efficacité de ce type d’initiatives. »
Car si l’état d’urgence a servi à quelque chose, c’est bien à montrer qu’il est possible de réduire drastiquement la circulation au centre-ville de Strasbourg.
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