Manifestation contre la réforme des retraites, Halloween, opération contre les rodéos urbains… À Strasbourg, les « caméras installées sur des aéronefs » font désormais partie de l’arsenal de maintien de l’ordre. Mais la préfète du Bas-Rhin utiliserait-elle excessivement les drones ? C’est la question soulevée par trois avocats strasbourgeois dans un recours en référé liberté contre un nouvel arrêté préfectoral autorisant l’usage de drones pour surveiller le Marché de Noël. Les juristes ont déposé ce recours mercredi 22 novembre devant le tribunal administratif de Strasbourg.
« Une violation de plusieurs libertés fondamentales »
Les avocats Vincent Tallinger et Myriam Hentz ont leur cabinet dans le centre-ville de Strasbourg. Spécialisés en droit des étrangers, les deux conseils craignent que les images filmées par les drones puissent servir à identifier des personnes sans-papiers pour ensuite contrôler leur identité. « Une grande partie de notre clientèle n’a pas de titre de séjour et vient dans notre cabinet pour régulariser sa situation », précise Me Hentz :
« Avec la mise en place de ces drones, on craint que nos clients soient dissuadés de nous voir, à cause de risques accrus de contrôles d’identité, qui impliquent éventuellement une retenue administrative pouvant aller jusqu’à un placement en centre de rétention administrative. Ce qui nous dérange, c’est qu’on n’a pas de précisions sur l’utilisation des données. Que va-t-on dire à nos clients s’ils nous demandent si c’est plus risqué de nous voir avec des drones qui surveillent le centre ? »
Julien Dupont est le troisième requérant dans cette procédure. Habitant hors de la Grande Île, le Strasbourgeois met en avant la scolarisation de ses enfants dans le centre-ville pour attaquer le fait que les écoliers pourraient aussi être filmés par les drones lors de la récréation.
L’audience fixée jeudi 23 novembre
Présidente de la section strasbourgeoise du Syndicat des Avocats de France (SAF), Nathalie Goldberg compte intervenir dans la procédure pour « démontrer la violation de plusieurs libertés fondamentales ». L’avocate invoque deux arguments. Le premier s’appuie sur une « violation du droit à l’image, du respect de la vie privée, du droit d’aller et venir et du secret professionnel » par le recours aux drones. Le second s’attaque à une surveillance jugée « disproportionnée » :
« L’arrêté autorise le déploiement de drones pendant un mois sur une amplitude horaire extrêmement longue (du 25 novembre au 23 décembre inclus, de 11h30 à 21h, NDLR). Près de trois millions de personnes sont susceptibles d’être filmées. Or il n’y a pas de doctrine d’emploi : qui va voir les images ? Qui contrôle leur utilisation ? De plus, on ne sait pas pourquoi c’est plus pertinent d’avoir des drones à grand angle. Enfin sur l’information du public, l’arrêté préfectoral dit que la population est suffisamment informée grâce à des publications sur les réseaux sociaux et dans les médias. Sauf qu’il y a trois millions de touristes attendus, et aucune information en langue étrangère dans l’espace public. »
À Rouen, le tribunal administratif a déjà suspendu un arrêté préfectoral autorisant l’usage de drones dans le cadre d’une manifestation contre un projet de contournement routier début mai 2023. Le magistrat estimait que, en l’état de l’instruction, le préfet « ne justifie pas (…) de la nécessité de recourir à des caméras installées sur des aéronefs ».
L’audience est prévue au tribunal administratif de Strasbourg jeudi 22 novembre à 9h. Selon Me Nathalie Goldberg, la décision du juge devrait tomber « rapidement » mais rien ne garantit qu’elle interviendra avant le début du Marché de Noël.
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