« C’est la plus grosse ressource d’eau potable d’Europe et ils vont nous la détruire », dénonce Elio, gilet jaune et habitant de Buhl dans le Haut-Rhin. Samedi 23 septembre, il s’est rendu à Wittelsheim à l’appel des mouvements écologistes Extinction Rebellion, Les Soulèvements de la Terre et Destocamine. La revendication : sortir les 42 000 tonnes de déchets toxiques des galeries des mines de potasse d’Alsace placées entre 1999 et 2002 à 400 mètres sous la nappe phréatique.
Après avoir refusé pendant 20 ans de sortir ces déchets ultimes, dont certains sont contaminés au cyanure, à l’arsenic ou encore à l’amiante, le gouvernement a décidé mardi 19 septembre de les confiner pour l’éternité avec des barrages en béton, estimant qu’il est devenu trop risqué de les extraire. Un jugement contesté par des experts géologues et des entreprises spécialisées. Sur la place de la mairie, environ 300 personnes se réunissent. Des militants du syndicat agricole de la Confédération paysanne préparent des tartes flambées.
« On n’est pas assez nombreux »
Sur une estrade, des représentants d’associations écologistes, des élus locaux de la Nupes comme le député strasbourgeois Emmanuel Fernandes (LFI) ou le conseiller départemental Damien Fremont (EE-LV) et des habitants des environs dénoncent « le scandale de Stocamine ». Mais parmi les manifestants, beaucoup se désolent de n’être pas plus nombreux.
« C’est incroyable le peu de gens qui se bougent là-dessus. Ce n’est pas une zone très militante ici, c’est pour ça que l’État se permet ça », estime Myriam, qui vient de Mulhouse. « 98% des gens étaient contre le confinement lors de l’enquête publique. On est à Wittelsheim, c’est une zone reculée ici, ils s’en foutent à Paris, c’est pas leur eau alors ils ne nous écoutent pas », abonde Elio.
Julie, 24 ans, habite à Vieux-Thann :
« J’avoue que c’est la première fois que je manifeste contre Stocamine. J’en ai beaucoup entendu parler dans ma jeunesse, mais je ne comprenais pas tout et je pensais que ce problème allait se régler. Quand j’ai vu que le gouvernement avait décidé d’enfouir les déchets, je me suis dit que je devais venir. »
Une jeune membre d’Extinction Rebellion Strasbourg remarque qu’il est difficile de mobiliser sur un sujet aussi technique :
« Il y a un travail de vulgarisation mené par des collectifs militants, notamment sur les réseaux sociaux. Mais si on fait juste des rassemblements comme ça, clairement, ça ne suffira pas. Il faut installer un vrai rapport de force, faire des blocages. Mais on n’est pas encore assez nombreux. »
Venus de Fribourg et de Karlsruhe en Allemagne, Adam, Ayla, Feile et Julie ont entendu parler de Stocamine grâce à l’antenne strasbourgeoise d’Extinction Rebellion. Même s’ils habitent dans un autre pays, ils se sentent concernés par cette décharge souterraine : « On a la même nappe phréatique, notre eau sera aussi polluée », lance Ayla : « Ce que fait le gouvernement français nous semble incroyable. »
Des Allemands contre Stocamine
Pour Adam, au vu de la détermination du gouvernement français à enfouir les déchets, l’une des solutions pourrait être que des dirigeants allemands fassent pression sur le président de la République française, Emmanuel Macron : « Peut-être qu’ils sortiraient les déchets pour ne pas avoir d’incident diplomatique ? », se demande Adam en haussant les épaules.
Ayla et Julie, sont militantes au parti de gauche allemand Die Linke. Elles expliquent que des membres de leur organisation essayent de mobiliser le gouvernement fédéral allemand pour que ce dernier se saisisse du sujet. Même discours pour Tommy, d’origine hollandaise, qui s’insurge que « tous les pays traversés par la nappe phréatique rhénane » ne puissent pas participer à la décision sur Stocamine.
Axel, Krista et Andreas, membres du Bund, une association environnementaliste allemande comme Alsace Nature, sont présents et rappellent qu’ils manifestaient déjà contre Stocamine dans les années 90, quand l’État présentait le projet. Axel s’insurge :
« On a toujours dit que ce n’était pas le bon endroit pour installer une telle décharge. Nous sommes en colère parce que ce que nous redoutions le plus s’est produit. Au départ, ils disaient qu’ils allaient sortir les déchets, l’attitude du gouvernement français est absurde ».
Corentin, habitant de 24 ans de Pfastatt, prend le micro : « On n’est pas dans la start-up nation comme disait l’autre (Emmanuel Macron, NDLR) ? On a les robots pour sortir les déchets ! » En descendant de l’estrade, il se confie sur le « traumatisme » qu’a été pour lui la découverte de la menace de Stocamine sur l’eau potable :
« Quand t’es gamin, on te dit de ne pas jeter des déchets par terre. Et là ce qu’ils font, c’est juste horrible. Ils assument qu’ils vont polluer l’eau. »
Les manifestants devant la mine
Des gendarmes encerclent tout le rassemblement. Un hélicoptère survole la place, au-dessus de manifestants éberlués par l’impressionnant dispositif des forces de l’ordre. Alors que la manifestation déclarée touche à sa fin vers 14h, un militant prend la parole pour suggérer une « déambulation pacifique ». Une centaine de personnes se mettent en route vers l’entrée de la mine de potasse, quelques kilomètres plus loin, avec une marionnette de démon qui tient des déchets toxiques en guise de banderole de tête. À l’aide de bombes de peinture, des tags hostiles au confinement des déchets sont inscrits sur des arrêts de bus et des panneaux publicitaires.
« On va déstocker Stocamine ! », suggère une manifestante, non sans humour. Mais après une marche de près d’une heure, des gendarmes positionnés devant l’entrée de Stocamine empêchent leur ambitieuse mission. Tout à la fin de la manifestation, des agents plaquent une personne au sol et gazent à l’aide d’une bombe lacrymogène les militants qui protestent, avant de laisser partir le militant interpellé. Les manifestants se dispersent un peu avant 18h.
Selon un communiqué du ministère de la Transition écologique, l’arrêté préfectoral autorisant le début des travaux de confinement devrait être publié au courant du mois de septembre.
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