Plus de 6 000 personnes ont défilé mardi 16 juin à Strasbourg en soutien au personnel soignant. Après les rassemblements statiques depuis le déconfinement, notamment ceux de Black Lives Matter, la première manifestation avec tracé s’avère être la plus grosse mobilisation de 2020. Ces cinq dernières années, seule la journée du 5 décembre 2019 avec environ 10 000 participants a surpassé ce total.
Dans les rues de la capitale alsacienne, beaucoup de blouses ou de masques portés par les professionnels de santé. Les gilets et drapeaux multicolores des cortèges syndicaux, très présents lors des mouvements contre la réforme des retraites, étaient cette fois plus en retrait. Parfois sous les applaudissements des passants, plusieurs corps de métiers médicaux ont traversé la ville, dont un grand nombre d’infirmiers et infirmières.
« Tant que vous tenez debout, venez »
C’est le cas de Christian, infirmier du Samu depuis 20 ans dont les sept derniers aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) :
« La consigne ça a été, “tant que vous tenez debout, vous venez”. On a tenu cette crise de la Covid, mais on ne tiendra pas une deuxième comme ça. Les protections qu’on a eues sont venues d’entreprises privées et on les remercie. Donc on veut plus de moyens et ce n’est pas qu’une question de salaire, même si la revalorisation est justifiée si l’on se compare aux autres pays d’Europe. On est tous à se demander ce qu’on fera plus tard car on n’a pas choisi ce métier pour ces conditions. »
Hausse des rémunérations, augmentation de moyens humains et matériels, fin de la fermeture de lits… À l’heure des améliorations promises par le gouvernement, le fameux « Ségur de la Santé », les revendications sont claires et bien rodées. « Des choses que l’on dit depuis années », résume Laura, infirmière en soins intensifs en cardiologie au NHC depuis 8 ans.
Elle avait déjà manifesté il y a quelques années, mais voit son métier « se dégrader depuis ». « Environ 200 infirmières n’ont pas été remplacées cette année », ajoute-t-elle.
La délicate partition entre privé et public
Reste qu’un trouble a traversé une partie de la foule au départ quand le représentant de la CFTC a insisté sur la « défense de l’hôpital public ». Quelques minutes plus tôt, un énergique cortège venu de la clinique Rhéna avait électrisé la place Kléber. Ses membres ont montré leur désaccord avec cette séparation.
Certaines blouses arboraient l’inscription « public, privé = même combat ». C’est le cas de Maxime, infirmier à Rhéna depuis trois ans :
« Je suis allé dans le privé car c’est le premier employeur qui m’a répondu, mais public ou privé, nous faisons le même métier et voulons tous deux une revalorisation. On était mobilisés autant qu’eux. »
Les soignants des cliniques privées sont dans une situation délicate. Ils ne sont pour l’instant pas concernés par la prime exceptionnelle de 1 500€ annoncée par le gouvernement.
C’est aussi ce que disait plus tôt dans la matinée, Valérie Miranda infirmière et déléguée syndicale Unsa à la clinique Sainte-Barbe, rue du Faubourg-National. Son organisation tenait un stand avant la manifestation :
« Nous avons assuré un service public, donc on aspire à avoir la considération qui va avec. Du 22 mars à la mi-avril, tous les respirateurs ont été utilisés pour de la réanimation, alors qu’on n’en fait pas normalement. Ici, 41 lits étaient Covid pour 28 non-covid. Nous avons eu trois versions différentes pour le versement de la prime : par l’ARS, par la fédération hospitalière, par les établissements… On est dans le flou. »
Sit-in et slogans pour des néo-manifestants
Devant la cité administrative, un sit-in se met en place sur la large rue de Rome. Slogans et musique s’enchaînent. Une délégation de représentants y a rencontré la direction territoriale pour faire part des revendications.
Étudiant en 4ème année de médecine et représentant étudiant, Raphaël Sturm arbore un écriteau « 1,29€ de l’heure » :
« Cette manifestation est l’occasion d’interpeller l’opinion en plein Ségur de la Santé. Un étudiant en fin de Master qui fera son stage aura 3,90€ brut de l’heure contre 1,27€ brut pour nous. Pendant la Covid, on a dû participer à la réserve sanitaire, j’étais brancardier pendant trois mois, avec toujours les examens. Il faut sortir de cette logique budgétaire pour que l’hôpital reste attractif. »
Quant à Lucie (prénom modifié), infirmière depuis 4 ans au NHC en chirurgie digestive, c’est sa première manifestation. Elle s’inquiète de décisions prises localement :
« Avant la Covid, on se battait contre la fermeture d’une des deux unités. Elle a été fermée pendant la crise sanitaire pour se transformer en soins intensifs, ce que j’ai fait même si je n’avais aucune formation. Mais depuis, ce service n’a pas été rouvert. Donc tant que l’hôpital sera géré comme une entreprise, cela donne envie de continuer à manifester. »
En Alsace, d’autres rassemblements ont eu lieu à Colmar, Mulhouse ou encore Schirmeck, Molsheim et Guebwiller. Certains manifestants à Strasbourg venaient d’autres secteurs, comme des membres du Smur de Saverne.
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