« Le distanciel tue. » Pancarte au slogan choc à la main, Alice participait à la manifestation pour la réouverture de l’université ce mercredi 20 janvier près du campus de Strasbourg. Dans le cortège d’environ 200 personnes, l’étudiante en double licence de Mathématiques et d’Économie exprime les nombreuses raisons de son mal-être. La jeune femme de 19 ans se sent « vide » à force de ne voir personne. Elle se dit « perdue » en mesurant l’impact de la crise sanitaire sur le secteur de l’aéronautique, un domaine dans lequel elle se voyait travailler plus tard. Puis il y a le sentiment d’être oubliée par le gouvernement :
« Lors de l’avant dernier discours de Jean Castex, le Premier ministre a parlé des remontées mécaniques, mais pas de nous. Ça m’a fait l’effet d’une claque. »
Sur la pancarte de Lysa, 19 ans, une question : « Etudiants fantômes ? » Malgré la réouverture de certaines salles réservées à quelques élèves décrocheurs, en situation de précarité ou étrangers, cette étudiante en L2 Humanités attend toujours des informations sur l’évolution de sa situation scolaire : « Les élèves de L1 commencent à revenir en demi-groupes, mais les L2 et L3, le gouvernement n’en parle pas. »
Pour Jean, étudiant en deuxième année de licence de Droit, la souffrance provient d’un « stress constant ». Il évoque d’abord des examens inchangés malgré le contexte sanitaire :
« Avec l’enseignement à distance, j’ai du mal à me concentrer. J’ai régulièrement des moments de blanc, 20 minutes de déconcentration où je passe d’un réseau social à l’autre. »
Puis le jeune homme évoque le pic d’inquiétude lors d’un partiel perturbé par un bug informatique. Il craint de ne pas valider ses partiels cette année.
Zoé, également inscrite en deuxième année de licence Humanités, ne cache pas sa détresse : « Depuis peu, je suis sous antidépresseurs. J’ai l’impression de ne pas voir le bout du tunnel. » L’étudiante parle d’une « fatigue morale ». Seule dans son studio de 13 mètres-carrés, suivant les cours en partageant la connexion de son téléphone portable, elle a « failli décrocher au quatrième semestre. »
Car Zoé s’était inscrite à l’Université de Strasbourg pour construire ses idées et échanger avec des camarades pour mieux confronter ses opinions. À distance, l’étudiante n’arrive pas à suivre les cours. Elle perd le sens de ses études. Évoquant une « santé mentale fragile », Zoé explique que cette situation combinée à des difficultés personnelles ont suffi à la plonger en dépression :
« Isolée, sans perspective, j’ai pu penser à la mort. À notre âge, on cherche à se construire, mais on nous enlève tous les outils. J’ai dû prendre un rendez-vous en urgence chez un psychiatre. »
« Des copies blanches, même des meilleurs élèves »
Ingénieur de recherche et co-secrétaire de SUD Éducation Alsace, Nicolas Poulin voit de plus en plus d’étudiants se renfermer sur eux-mêmes : « On reçoit beaucoup plus de mails qu’au début de la pandémie. » Il évoque des copies blanches rendues par des élèves lors des derniers partiels. « L’une d’entre elles venait d’une des meilleures étudiantes l’année précédente », raconte-t-il. Mais pour les enseignants comme pour les responsables de départements, difficile de venir en aide à ces jeunes en détresse : « Parfois, nous n’avons pas plus d’information qu’eux, et nous ne sommes pas formés au travail d’assistant social ou de psychologue. »
La manifestation se termine vers 14h30 sur le campus central de l’Université de Strasbourg. Une Assemblée générale est alors annoncée dans un amphithéâtre du bâtiment Escarpe. Au fil des interventions, plusieurs étudiants dénoncent les incohérences de la politique gouvernementale : « Cette situation n’est pas sanitaire mais politique. Je travaille dans un collège, je vois bien que les collégiens ne respectent pas les mesures sanitaires mieux que les étudiants », s’indigne Arpad, membre du Nouveau parti anticapitaliste. Au fond de la salle, une étudiante se lève et demande une mobilisation pour ceux qui souffrent de pathologies et de troubles psychiatriques :
« On a bien ramassé, je pense que je suis pas la seule. On aimerait bien un soutien psychologique, une aide gratuite, qu’on soit juste pris en considération. »
Recrutement de psychologues par l’Université
Interrogée sur le dispositif de soutien psychologique dédié aux étudiants, l’Université de Strasbourg indique que les effectifs de psychologues sont en augmentation :
« Il y avait un demi-poste de psychologue avant le confinement au service de santé universitaire. Depuis novembre, il y a un poste et demi. Depuis mars, les étudiants ont la possibilité de prendre rendez-vous avec un médecin du service de santé universitaire, directement via Doctolib. Ils ne restent donc pas sans rendez-vous ni voir de médecins. Nous avons 18 étudiants « relais campus » et 15 étudiants « relais cité U », qui sont des interlocuteurs (formés) de premier niveau auxquels les étudiants peuvent s’adresser. Ce dispositif fonctionne. D’autre part, un nouveau psychologue devrait être recruté dans les semaines à venir. »
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