Une atmosphère joyeuse règne devant la délégation territoriale de l’Agence régionale de santé (ARS) de Strasbourg, jeudi 5 octobre. Une soixantaine de personnes se sont rassemblées à 16h dans le cadre de la mobilisation nationale intersyndicale des orthophonistes. Étudiants pour la plupart mais aussi professionnels libéraux et salariés fêtent ensemble un « anniversaire pourri » : cela fait dix ans qu’un master (Bac+5) est nécessaire pour exercer leur profession. Accompagnés par une fanfare d’instruments à cuivre, les (futurs) orthophonistes pointent du doigt « le manque de considération » de la profession et des salaires « qui ne reflètent pas le niveau de formation dans les structures de soins ».
Des salaires trop bas pointés du doigt
« Ça fait dix ans que les orthophonistes ont la grille salariale d’une personne titulaire d’une licence », lance Anaïs, étudiante en cinquième année d’école d’orthophoniste. « La reconnaissance du diplôme de master d’orthophonie n’est pas valorisée et pas assez payée », ajoute Caroline, orthophoniste libérale à Strasbourg. Elle déplore le salaire en milieu hospitalier : 1 700 euros net. Selon la fédération nationale des orthophonistes, il atteint 2000 euros après 9 ans et demi de carrière.
Tiziana a 61 ans et exerce depuis trente ans dans un centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP). En fin de carrière et travaillant à 80 %, elle se plaint de toucher seulement 2 000 euros net. Ces salaires peu attractifs font diminuer le nombre de personnes qui choisissent de se tourner vers la profession : « Les orthophonistes sont en voie de disparition », alerte l’intersyndicale des orthophonistes dans un communiqué de presse.
Manques à l’hôpital et cabinets libéraux saturés
« Tout le monde a déserté l’hosto », chante le groupe de manifestants. À cause de la différence notable de salaires, nombreux sont les orthophonistes à préférer le libéral au milieu hospitalier. En France en 2019, sur environ 25 600 orthophonistes, 20 700 travaillaient en libéral. Résultat : des cabinets libéraux sous tension et « une grosse pénurie d’orthophonistes à l’hôpital », comme le souligne Aude, orthophoniste à l’institut universitaire de réadaptation Clemenceau (IURC).
Cette tendance impacte directement les patients, qui errent parfois longtemps avant d’avoir un premier rendez-vous permettant de poser un diagnostic. Pour obtenir un premier bilan avec Caroline, il faut attendre en moyenne six mois. « Le suivi n’est pas optimal, on a trop de patients », déplore-t-elle.
Catherine travaille quant à elle depuis trois ans dans le service de neurologie de l’hôpital de Colmar. Elle s’inquiète du suivi de certains patients :
« Je suis en neurologie mais je suis aussi envoyée dans d’autres services par manque d’orthophonistes : en psychiatrie, pneumologie… On va voir les patients quand on peut, par exemple trente minutes par jour, car c’est pas notre service. Le suivi est bien moins régulier, certains patients auraient besoin d’être vus plusieurs fois par jour. »
Des étudiants qui en pâtissent
Les étudiants sont les derniers maillons de la chaîne, touchés par des salaires trop bas. « Notre santé mentale est altérée », assure Manon, étudiante en dernière année.
Au niveau des stages, les étudiants ne trouvent parfois pas de professionnels en capacité de les accueillir, déjà débordés par leur propre travail. Dans ce cas, les orthophonistes en devenir sont contraints de se déplacer. Anaïs est l’une d’entre eux.
Elle va bientôt se rendre à Dijon pour un stage obligatoire pour son mémoire, dans un centre spécialisé pour personnes sourdes :
« On est obligés de se déplacer énormément, ce qui signifie beaucoup de fatigue, sur cinq ans d’études. Et des soucis financiers, car nous ne sommes pas pas défrayés. Ça creuse encore plus les inégalités entre les étudiants qui peuvent payer et les autres. »
Elle ajoute s’interroger sur son choix de carrière :
« J’ai peur de ne pas travailler où je veux. J’aimerais faire du médico-social mais je dois y réfléchir à deux fois. Je me dis que quand on commence, on a besoin de ressources financières. Donc je pense à peut-être commencer en libéral. On doit choisir entre ce qu’on veut vraiment et notre qualité de vie. »
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