Louiza marche à l’arrière du cortège, au rythme de la sono de la CFDT qui crache rue de la division Leclerc. Syndiquée à SUD éducation, elle discute avec deux collègues accompagnantes d’élèves en situation de handicap (AESH). « Je ne pars pas en vacances. Je limite énormément les sorties et hésite avant de me faire soigner. La banque ne veut pas me faire un crédit pour acheter une voiture », résume t-elle sobrement.
À l’appel des organisations syndicales de la fonction publique, Louiza fait partie du millier de manifestants mobilisés pour une revalorisation du point d’indice ce 19 mars à Strasbourg. « Je gagne un peu plus de 1 000 euros nets. Ce n’est vraiment pas assez, il nous faudrait au moins 1 500 ou 1 700 euros », poursuit Louiza, encouragée par ses amies :
« Les temps complets des AESH sont de 24 heures par semaine. Cela demande beaucoup de concentration toute la journée. Nous avons un métier éprouvant qui est très mal considéré. Pour l’instant, nous sommes des agents contractuels, mais nous demandons un vrai statut de fonctionnaire. »
Travailler sous pression
Les témoignages de fonctionnaires décrivant des conditions de travail de plus en plus dures et des salaires qui ne suivent pas l’inflation se succèdent. Jérôme participe à un petit convoi d’employés de la direction départementale des territoires (DDT). Chargé de vérifier la conformité des plans locaux d’urbanisme des collectivités, il expose son activité, qui le place en porte-à-faux, entre l’État et les communes :
« Je dois faire respecter des réglementations que les maires jugent mauvaises. Ils trouvent qu’ils n’ont plus le droit de rien faire, que c’est très dur de construire… On ne se sent pas vraiment soutenus par l’État, et c’est nous qui sommes sur le terrain. Pendant le mouvement des agriculteurs, on a même jeté du fumier sur la DDT à Strasbourg parce que certains de nos agents contrôlent les exploitations. »
« Le fait d’être mal payé renforce le sentiment de ne pas être reconnu », analyse Erwan Le Clech, professeur de physique-chimie au collège François Truffaut à Hautepierre. « Avec 15 ans d’expérience, je suis à 2 000 euros nets, plus 500 euros de primes comme je suis en REP +, qui ne sont pas pris en compte dans le calcul de la retraite », constate t-il :
« À la CGT, nous demandons 400 euros nets en plus pour tout le monde, en augmentant le point d’indice. On ne peut plus accepter de compter l’argent toute notre vie tout en ayant des métiers sous pression. »
Beaucoup de soignants à bout
Des artistes brandissent une banderole marquée « intermittents ». Et des étudiants scandent divers slogans pour réclamer un véritable partage des richesses. Souvent indifférents, les badauds regardent la procession arborant les traditionnels drapeaux syndicaux.
Un autre Jérôme, regard sérieux et voix posée, fait partie des nombreux fonctionnaires hospitaliers présents dans le cortège. Lui est aide-soignant aux urgences adulte de l’hôpital de Hautepierre. Adhérent à Force Ouvrière, il raconte son quotidien, où le travail prend une place considérable :
« J’aime mon métier, mais il est devenu très difficile. Nous pouvons être appelés sur nos jours de repos à cause du sous-effectif. On peut refuser mais pas à chaque fois parce que sinon le service ne tourne pas. Parfois, on ne peut pas prendre de congés en été. On fait des nuits et des jours fériés. Tout ça augmente notre stress. Ce n’est pas assez sécurisé pour les patients. Avec en plus des salaires de 1 600 euros en début de carrière, on n’arrive pas à recruter. »
Dans un autre registre, Rachel est employée au service recrutement de la préfecture et membre de Force Ouvrière également. « Nous demandons une augmentation de 10% du point d’indice pour rattraper l’inflation », pose-t-elle d’emblée. « Je gagne 2 000 euros nets par mois avec un quart de prime, donc ce n’est pas grand chose au final. Je vis seule donc ça va. Mais c’est juste, je ne pourrais pas acheter par exemple », illustre Rachel.
Négocier avec les ministères
À quelques mètres, Daniel semble connaitre du monde en tête de manifestation. « 33 ans d’ancienneté au service espaces verts de la Ville de Strasbourg et élu CGT, se présente t-il, et je gagne 1 900 nets par mois ». Avec deux enfants qui font des études et vivent encore à la maison, il doit se restreindre, notamment pour les sorties. « On invite des gens à la maison plutôt », positive Daniel. Mais il remarque que son boulot est de plus en plus intense, et que lui se précarise avec l’inflation :
« Une équipe de deux à quatre agents aujourd’hui fait la même chose qu’un groupe de huit personnes il y a dix ans, et on est de moins en moins d’employés. La charge de travail augmente avec les projets comme le plan canopée (plantation de milliers d’arbres à Strasbourg, NDLR). C’est paradoxal pour une municipalité verte, de pénaliser le service des espaces verts. »
La manifestation parcourt une distance assez restreinte, bifurquant rapidement vers les rues du Vieux-Marché-aux-poissons et des Grandes Arcades pour rejoindre la place Kléber, dans une ambiance très calme. Le soleil rend la marche agréable, mais l’affluence est bien au-dessous de celle, historique, du mouvement social contre la réforme des retraites début 2023.
« C’était attendu », concède Laurent Feisthauer, secrétaire départemental de la CGT :
« La question des salaires est centrale mais peine à mobiliser pour les fonctionnaires, parce qu’ils sentent que c’est dur d’obtenir rapidement quelque chose… Contrairement au secteur privé, où on fait directement pression sur une direction, les agents publics négocient avec les ministères. En plus, l’inflation implique que sacrifier une journée de rémunération est très compliqué. »
L’intersyndicale fixera une stratégie et peut-être une nouvelle date de mobilisation pour les fonctionnaires à l’échelle nationale dans les prochains jours.
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