Les Strasbourgeois ont eu le droit à une représentation artistique avant le 7 janvier 2021. Il n’y avait pas besoin de ticket d’entrée, mais il n’y avait qu’une seule représentation, mardi 15 décembre à 14h. Ce jour devait marquer le retour des spectacles en début de soirée, avant l’heure du couvre-feu. Le gouvernement en a décidé autrement.
Place Kléber, environ 25 artistes ont improvisé une brève performance, devant une centaine de personnes. Disséminés dans des cercles distants d’un mètre, ils et elles se sont envoyé de la farine, « une métaphore du brouillard » dans lequel la profession est plongée. Avant cela, un cri profond de colère avait lancé les hostilités, qui ressemblaient à une bataille de boules de neige.
La prestation était moins aboutie qu’en juin, car la mauvaise nouvelle est arrivée seulement le jeudi précédent. Partout en France les professions des métiers culturels et techniques ont vite lancé un appel à la mobilisation dans différentes villes.
Des opportunités qui s’envolent
Chez les artistes, les espoirs étaient partagés. « Je m’y attendais », lâche Delphine-Aurélie Langhoff, qui accompagne plusieurs groupes à la batterie. Après n’avoir assuré que « deux dates sur la quarantaine programmée » depuis mars, elle a perdu ses illusions de ne plus avoir « des annulations d’une semaine sur l’autre » au mois d’octobre. « Jean Castex disait qu’il était trop tôt pour reparler de confinement et trois jours plus tard on nous parlait de reconfinement… ». À ce moment-là, son opportunité aux Transmusicales à Rennes s’est envolée. En février, elle compte jouer dans un théâtre en Allemagne, « ça pourrait s’assouplir là-bas à cette période », envisage-t-on dans la profession. À l’approche des fêtes, l’Allemagne vient de se confiner plus strictement qu’en France.
Son amie Marie-Anne Alizon « vit juste de l’intermittence, au taux le plus bas » depuis mars. À cause de la nature de son activité, elle s’inquiète davantage pour le moyen terme. « Je chante plutôt un répertoire rock et dans les clubs et les bars, donc ce n’est pas prêts de repartir ». Beaucoup de participants s’identifient à la situation des restaurateurs. Marie-Anne Alizon ne croyait de toute façon pas à la Culture sous couvre-feu et « l’horodatage » des billets espéré par le président Macron. « Qui peut arrêter son travail à 17h pour venir au spectacle ? C’est absurde. »
Ces consignes contradictoires « traduisent une méconnaissance du métier d’artiste », juge Grégory Ott, pianiste. « On est sur des temps longs et depuis mars il faut tout le temps se réinventer sur des temps courts ». Il est peu impacté par la dernière décision du gouvernement car il est en période d’enregistrement. Pour son amie trapéziste et clown Orianne Bernard, la facture est plus salée :
« Le premier confinement j’ai perdu 70 dates et là avec le deuxième 120, car avec les fêtes de fin d’année c’est une période où il y a beaucoup de représentations, par exemple dans les cabarets. »
L’artiste de cirque devait partir en tournée en Allemagne. « Il y a les dégâts économiques, mais aussi psychologiques de la décision. Là, c’est comme si on n’était pas important. »
« La Culture produit aussi de la richesse »
Laurence Mener, représentante régionale du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles déplore la question sur le plan économique, mais aussi sanitaire :
« Des salles avaient programmé des spectacles et ont dû tout annuler. Il y a certes des aides, mais on ne peut pas tout acheter. La Culture produit aussi de la richesse. À force de décaler les représentations, il va y avoir des embouteillages dans les calendriers. On sent le public prêt à revenir. La décision est mal vécue car il y a déjà eu un protocole sanitaire strict qui fait qu’il n’y a eu aucun cluster dans les salles de spectacles. »
Joro Raharinjanahary, musicien et chanteur la compagnie pour enfants Tartine Reverdy est venu manifester en famille, avec sa compagne Alexandra Guedron de la compagnie Zakoté et sa fille Kaloina, qui apprend la danse. Depuis mars, le père de famille, n’a joué « qu’une fois à la Passerelle » contre 30 concerts annulés. « Cet hiver on devait avoir 12 spectacles à Hautepierre, puis aller à Créteil », déplore-t-il.
« À chaque attentat, on nous dit qu’il va y avoir un besoin de Culture »
« C’est compliqué de danser avec le masque et surtout compliqué de danser chez soi », embraye sa fille, membre d’un cours d’une vingtaine de personnes. Joro Raharinjanahary se lasse des discours politiques contradictoires :
« À chaque attentat, on nous dit qu’il va y avoir un besoin de Culture chez les jeunes, mais là, on se sent comme le dernier maillon, qu’en fait on peut se passer de nous. »
Quant à sa compagne Alexandra Guedron, elle est « autorisée aux résidences, mais pas aux représentations ». Elle remarque que « le corps enseignant devient frileux » à emmener ses classes, alors qu’il « n’y a pas plus de risque » selon la musicienne. « Un spectacle vivant en visio, ce n’est plus vraiment du spectacle vivant », ajoute-t-elle.
Une décision de justice sous quelques jours
Les représentants des différentes professions, artistes mais aussi techniciens ont déposé un référé-liberté devant le Conseil d’État contre cette fermeture prolongée. La décision sous quelques jours déterminera si d’autres actions revendicatives seront mises en place d’ici le 7 janvier, date d’une réouverture potentielle, toujours sous couvre-feu.
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