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« Le Malade imaginaire » au TNS : distinguer les vrais problèmes des fausses croyances

Les dix jours de représentation du Malade imaginaire viennent de commencer au TNS. Cet archi-classique prend ici une forme très actuelle, portée par une armada de comédiens chevronnés. Michel Didim, metteur en scène, nous convie, avec Molière, à distinguer les vrais problèmes des fausses croyances par le rire.

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Maladies et faux-semblants (Photo Serge Martinez)

Aujourd’hui comme hier, il semble que nous avons besoin de gourous, pour rassasier notre sempiternel besoin d’attention et de consolation. En ce sens la dernière pièce de Molière, Le Malade imaginaire, reste plus actuelle que jamais.

L’art magique de la représentation

Michel Didym retrouve Molière sur le fond et sur la forme : la recherche de la vérité, de façon faussement contradictoire, se fait dans la lumière de la scène de théâtre, in situ et au présent. C’est par l’acte de représentation que tout peut être dit et dévoilé, que l’on peut rire de tout, des tabous et des puissants. C’est la réalité du rapport au public, son instantanéité, son passage détourné par la fiction, qui permet de faire exploser les faux-semblants. C’est la magie du théâtre, de l’art de la représentation.

Des acteurs éblouissants (Photo Serge Martinez)

Car c’est bien de cet art du théâtre qu’il s’agit. Les comédiens sont tout simplement époustouflants. À aucun moment Michel Didym ne choisit entre un jeu plus naturaliste et une farce carrément burlesque, et c’est sur ce fil tendu entre rire massif et infini tragique de la société dépeinte telle qu’elle est, dans toute sa cruauté et sa noirceur, que le spectateur oscille en funambule.

Bruno Ricci invente, pour chacun  des personnages qu’il incarne (Le notaire, Thomas Diafoirus, Monsieur Fleurant), des attitudes d’un comique hilarant, tandis que Norah Krief redouble de virtuosité dans une Toinette explosive. André Marcon reste sur un Argan plus en nuances, bien que ne rechignant pas à participer à la farce quand l’affaire se présente. Quant à Jeanne Lepers, tout à fait entre deux aussi dans son rôle de jeune première, elle arrive à dépasser cette espace confiné de la jeune fille en détresse pour lui donner une force comique tout à fait convaincante.

Molière, pourfendeur des injustices et des faux-semblants

Au-delà de la question de la médecine, c’est la question des faux-semblants qui masquent toutes sortes d’injustices que Molière ne cesse de dénoncer dans ses pièces. Michel Didym, dans un entretien avec François Rodinson du 4 décembre 2013, l’affirme :

[Le Malade imaginaire] est sans conteste le chef-d’oeuvre absolu de Molière. […] Ramassés en une assez courte pièce en trois actes, il rassemble tous les motifs de toutes ses pièces, à commencer par le mariage forcé. Un père, Argan, force sa fille à un mariage qui sert davantage ses propres intérêts, ses lubies et ses fantasmes que ses intérêts à elle.

Molière attaque et dénonce, tout en finesse et en humour, toutes les postures de circonstance et les abus d’une société inégalitaire et patriarcale. Quelques jours après le 8 mars, voilà encore une façon dont ce texte raisonne avec une force renouvelée.

Le Malade imaginaire est aussi cette pièce d’anthologie, ô combien symbolique et ironique, pendant la représentation de laquelle Molière est mort sur scène, sous les applaudissements d’un public médusé par l’apparente véracité de la mise en scène. Tuberculeux et dépressif, harassé par les systèmes de cour et par les efforts pour éviter les compromissions, Molière fait de cette pièce une sorte de testament manifeste, d’appel à la clairvoyance. On peut penser en tout cas que c’est bien ainsi que Michel Didym le perçoit, lui qui d’habitude monte plutôt des textes contemporains (cf. même entretien que précédemment) :

[…] En définitive, je crois que [Molière] est rattrapé par la vérité. Dans une époque qui se distingue par le triomphe de la fausseté, lui, il exige la vérité. C’est peut-être aussi en ce sens-là qu’il est, aujourd’hui comme hier, très moderne. […] La question que je me pose est la suivante : est-ce que la maladie ne serait pas provoquée par la société, est-ce que ce ne serait pas la conséquence logique d’une certaine corruption des idées face à la mort, face à la vie et à ses plaisirs? La plus grande maladie, je trouve, c’est la maladie de l’âme et des idées.

Un théâtre aigre-doux

Si les comédiens démontrent une virtuosité d’une efficacité implacable, qui confère à la représentation un succès public quasi-garanti, la mise en scène reste un peu entre deux eaux. L’on peut comprendre l’idée qui consisterait à ne pas choisir entre le tragique et le comique, entre la pièce en costumes d’époque ou des espaces résolument contemporains. Michel Didym, d’une certaine façon, fait un non-choix en faisant appel à un certain classicisme tout en le déformant, en l’exagérant, en le décalant.

Cette manière néanmoins de tout mêler peut atteindre ses limites par endroits, et engendrer quelques longueurs lorsque l’on passe du rythme débridé de la farce à la langueur plus sombre de la conversation sur le sens de la vie et les choix qu’on en fait. Peut-être est-ce un reflet fidèle des facéties de la vie. Mais peut-être aussi que des choix plus tranchés aurait pu amener une dynamique encore plus aboutie à cette version du Malade imaginaire.

Peut-on être malade de sa maladie ? (Photo Serge Martinez)

Quelques intermèdes musicaux viennent émailler la pièce de façon très exotique, tout à fait inattendue. Ces intermèdes, bien que rarement montés, font partie intégrante de la pièce originale de Molière. Le metteur en scène donne une explication intéressante (cf. même entretien que précédemment) :

« Je croyais que c’était une volonté de Molière de créer un espace métaphorique autour de la médecine. Il me paraît aujourd’hui qu’à l’évidence la musique de Lully a été imposée à Molière de manière dictatoriale. Beaucoup de ces ballets entourant la pièce étaient des oeuvres de circonstances qui permettaient à Molière d’accéder à la Cour et, tout simplement, de subsister. […] Je ne compte pas garder l’intégralité de ces intermèdes musicaux chorégraphiés qui sont pour moi comme une gangue dont il s’agit d’extraire le fruit. »

Les choix de Michel Didym quant à ces intermèdes musicaux amènent un champ inattendu à la pièce, un décalage tout à fait rafraîchissant et bienvenu. Cela enrichit le spectacle et l’empêche de tomber dans une représentation plus convenue du Malade imaginaire tel qu’on l’attend.

Le Malade imaginaire de Michel Didym est sans conteste l’occasion de ré-entendre un texte sublime et incarné. On y rit beaucoup et on pense, un peu, aussi. Si la grippe vous menace et que la gastro vous tourne autour, courez partager vos miasmes avec les spectateurs du TNS, vous y serez bien soigné !

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