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Maison d’arrêt de Strasbourg : d’anciens détenus témoignent

Après un rapport très critique du contrôleur général des lieux de privation de libertés, remis en urgence, et un constat d’huissier en défense commandé par la direction de la prison, Rue89 Strasbourg a demandé à des anciens détenus de décrire la réalité de la maison d’arrêt de Strasbourg. Bien loin de celle qui est présentée aux visites officielles.

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La maison d’arrêt de Strasbourg a fait l’objet d’un rapport en urgence en mai dernier. (Photo: CGLPL)

Un par un, ils s’avancent. Visages fermés et impatients, les proches des détenus guettent l’appel de leur nom. Ce matin-là, ils sont une dizaine, certains chargés de sacs de vêtements, à s’engouffrer derrière la porte jaune qui mène au parloir. Une heure plus tard, une dame en ressort. Elle est venue voir son mari, incarcéré depuis plus de huit mois. En s’allumant une cigarette, elle raconte que c’est déjà la deuxième fois qu’il se retrouve à la maison d’arrêt et que cette fois, pour lui, être enfermé c’est « pire » car les détenus sont « beaucoup trop ».

C’est ce matin de parloirs qu’a choisi la députée (Rép.) du Bas-Rhin Sophie Rohfritsch pour visiter la maison d’arrêt, accompagnée par quelques journalistes et photographes (depuis le 17 avril 2015 un nouvel article du code pénal permet aux députés et sénateurs de visiter de manière inopinée les prisons, accompagnés par la presse). Deux heures et demie de visite au cours desquelles, assistée d’Alain Reymond, le directeur de la prison, on lui présente les différents quartiers, les ateliers de travail, des cellules « types », l’animalerie, le quartier disciplinaire.

On lui présente même un détenu qui affirme « qu’ici il y a moyen de faire une vraie réinsertion ». Il a fréquenté 12 établissements pénitentiers. À la sortie, la députée assure n’avoir rien vu de choquant :

« Je suis loin de l’idée que je pouvais me faire de l’établissement à la lecture du rapport d’urgence. Les associations qui interviennent ici sont nombreuses. Je crois qu’au contraire le rapport d’urgence instaure un dialogue entre le Contrôleur et la prison. En revanche, il y a un manque d’évaluation des actions menées : il faudrait un système qui permette de suivre l’efficacité des dispositifs. »

Sophie Rohfritsch en compagnie d’Alain Reymond, directeur de la maison d’arrêt. (Photo : CG/Rue89Strasbourg)

Elle explique ne pas être venue sur recommandation du Barreau de Strasbourg, qui s’était ému de la sortie du rapport et avait contacté les parlementaires alsaciens pour qu’ils voient de leurs yeux la réalité de la maison d’arrêt.

Depuis 2009 et la première visite de l’équipe du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), la situation s’est aggravée : surpopulation carcérale, dégradation prématurée du bâtiment, conditions de vie déplorables pour les détenus et le personnel pénitentiaire. La seconde visite effectuée en mars est sans appel pour le CGLPL qui publie en mai au Journal Officiel des recommandations en urgence pointant plusieurs dysfonctionnements de la maison d’arrêt de Strasbourg.

Les syndicats de surveillants ont dénoncé un rapport à charge contre le personnel pénitentiaire. La direction de la maison d’arrêt avait de son côté anticipé la publication du rapport en commandant un constat d’huissier pour minimiser la portée du rapport. Au cours de la visite, quand la question lui est posée, le directeur de la prison considère que malgré les recommandations, il n’y a « rien à faire très vite ».

Un personnel pénitentiaire pris en étau

Pourtant en 2013, à l’occasion des 25 ans de la maison d’arrêt de Strasbourg (MAS), un tract du syndicat UFAP-UNSA Justice dénonçait déjà « un véritable Titanic ». En cause : des détenus de plus en plus nombreux, une structure inadaptée et des surveillants qui se sentent abandonnés par leur hiérarchie. Au sein du personnel pénitentiaire, certains arrivent à saturation. Michèle, prénom changé elle aussi, fonctionnaire depuis plus de six ans à la MAS met en cause l’administration :

« La direction est coupée de la réalité et ne veut pas la montrer. Après la sortie du rapport, le préfet est venu visiter la maison d’arrêt. Deux jours avant qu’il ne vienne, des collègues ont eu pour consigne de ranger leurs bureaux et de procéder à un grand nettoyage. L’herbe était tondue, tout avait été ramassé. Dans un des miradors, le fameux fauteuil « en position sieste » a été changé, qui était en fait cassé. »

D’une capacité théorique de 444 places, la maison d’arrêt compte aujourd’hui plus de 700 détenus. (Photo : CGLPL)

Calibré pour 444 personnes, l’établissement compte aujourd’hui plus de 700 détenus. Les personnes condamnées à des peines de moins de deux ans, croisent les prévenus. Petites et lourdes peines s’y mêlent. Une maison d’arrêt n’a pas le droit de refuser un détenu et la semaine dernière encore, une vingtaine de personnes y ont été incarcérées. Michèle explique que dès lors, les conditions de travail des agents est rendue plus difficile :

« On est pris entre le marteau et l’enclume. On fait remonter tous les problèmes que l’on peut rencontrer mais on nous oppose sans arrêt le budget. On vit dans les mêmes conditions que les détenus, d’ailleurs certains nous disent en rigolant qu’on a pris “perpèt”. Aujourd’hui le surveillant doit avoir plusieurs casquettes : on fait du social, on est infirmier, pompier, épicier… Il y a un manque d’effectifs : un surveillant gère 50 bonhommes ! On a plus le temps de faire de l’humain. »

Avec un budget d’environ trois millions d’euros, la maison d’arrêt consacre l’essentiel de ses dépenses à la nourriture et au chauffage. Pour le reste, les travaux et la rénovation des bâtiments, c’est la Direction interrégionale des services pénitentiaires de l’Est qui gère. Cette dernière n’a pas souhaité répondre aux questions de Rue89 Strasbourg.

Des douches froides

Outre le surpeuplement, le rapport du Contrôleur relevait l’eau froide dans les douches collectives. Le procès-verbal d’huissier commandé par la direction expliquait qu’il fallait attendre quelques secondes pour qu’elle deviennent chaudes. Un point que réfute Michèle :

« L’eau froide évoquée dans le rapport, c’est tout à fait vrai. Les mitigeurs sont cassés par les détenus et la maison d’arrêt n’a pas d’argent pour les réparer. Alors on bricole. En hiver, il faut faire des pieds et des mains pour que le chauffage soit allumé. »

William (tous les prénoms des détenus ont été changés), qui a passé un an à la MAS, évoque son expérience des douches :

« Pour l’eau chaude, il suffit de demander au surveillant, qu’il augmente la température dans son kiosque. Après, encore faut-il qu’il en ait envie… J’ai fait tous les quartiers de cette prison et à chaque fois les douches étaient dégueulasses. Le pire c’était au quartier des arrivants : il y avait des lames de rasoirs par terre, du sang. Et toi, t’es pieds nus là-dessus. De toute manière, niveau propreté, tant que les couloirs sont propres, ils ne s’occupent pas trop du reste. »

L’humidité s’installe sur les murs des cellules. Les détenus bouchent les VMC en hiver pour avoir moins froid. (Photo : doc.remis)

Des journaux et du dentifrice pour combler les trous

L’état des cellules est également pointé du doigt. S’ils sont seuls en cellule au quartier des mineurs, ils se partagent parfois à quatre ou six des cellules prévues pour accueillir deux fois moins de personnes. Le régime des portes fermées interdisant aux détenus les allers et venues dans les couloirs, ils « font de la cellule » en permanence. Benjamin, un autre ancien détenu, raconte son quotidien en cellule :

« Il y a eu des rats qui grimpaient même jusqu’au deuxième étage. Le frigo qu’on avait était tellement petit qu’on entassait la bouffe sur le rebord de la fenêtre et ça les attirait. Ce qui sert de chauffage, c’est un tuyau d’eau chaude, qui passe de cellules en cellules. On laissait aussi les plaques chauffantes allumées mais les nouvelles plaques ne s’allument que s’il y a quelque chose dessus, alors en pour se chauffer en hiver, c’est mort.

Pour cacher les trous dans les murs, on prend des journaux et on les colle avec du dentifrice. Forcément, ça abîme la peinture, et après tous les passages de détenus… »

« Pour cacher les trous dans les murs on colle des journaux avec du dentifrice » (Photo : doc. remis)

Le ménage des cellules est réalisé par les détenus eux-mêmes mais tous pointent la difficulté d’obtenir le kit de nettoyage. William explique :

« Pour avoir les produits ménagers, c’est la misère. Ce kit, tu l’as une fois par semaine. Et si t’as la malchance d’être la dernière cellule, la serpillère que tu reçois est noire de saleté parce-qu’elle sera passée par toutes les précédentes. On n’avait pas le droit d’acheter une pelle et une balayette alors fallait faire avec ça. »

« J’avais demandé un kit pour frotter un des murs. Ça c’est le résultat après plusieurs minutes d’acharnement » (Photo: doc.remis)

« Je suis en enfer ici »

Éric Lefebvre, avocat pénaliste, s’est souvent rendu à la maison d’arrêt pour rencontrer ses clients. Il décrit l’état de la prison tel qu’il a pu le percevoir :

« Quand on passe dans les couloirs, il y a des lucarnes sur les côtés. On voit l’état de la prison. Si la cour est jonchée de détritus, c’est parce-que les gens les jettent par les fenêtres. Ça, ça incombe aux détenus. Mais j’ai aussi le discours que me tiennent les détenus. Les primo délinquants me disent : je suis en enfer ici. Les vieux de la vieille, les vieux routards, ceux inscrits dans un schéma délictuel vous disent : je n’ai jamais vu ça. »

Les détritus attirent les rongeurs. Le directeur de la prison raconte qu’avant l’installation des grillages, des mouettes volaient au-dessus de la maison d’arrêt (Photo: doc.remis)
Les caillebotis installés en 2007, censés endiguer la pratique du « yo-yo », d’une fenêtre à l’autre. (Photo: doc. remis)

« Si t’as une rage de dent, c’est fini pour toi »

La difficulté d’accéder aux soins est un autre point également évoqué par les trois anciens détenus. Pour ses caries, Jonathan a attendu entre six et sept mois avant de voir un dentiste : « si t’as une rage de dent, c’est fini pour toi. »

La distribution des médicaments (valium ,subutex), se fait « à la demande » d’après William :

« J’avais un co-détenu qui était toxicomane. Il me disait qu’il voulait arrêter la drogue mais s’il le faisait, il allait hurler toutes les nuits à cause du manque. Du coup, on lui donnait du subutex. Un soir où on m’avait emmené au mitard, il est mort. Il avait un souffle au coeur et il n’a plus supporté le médoc. On distribue ça comme ça, et plein de détenus en font le commerce contre du shit ou des clopes. »

Le rôle du personnel surveillant en question

Dans son rapport, Adeline Hazan s’attardait aussi sur le comportement des surveillants dont certains prendraient part à des « trafics illicites ». Une affirmation qu’avait dénoncée le syndicat FO qui souhaite porter plainte pour diffamation. De son côté, William affirme que les surveillants sont au courant de tout. C’est même l’un d’entre eux qui lui avait remis un iPhone.

Pour Éric Lefebvre, la réaction du syndicat est hypocrite :

« Les surveillants savent très bien que les téléphones portables permettent aux détenus de tenir, de déstresser. D’un côté ils vont dire que ça leur évite d’avoir à gérer des situations monstrueuses, et d’un autre, quand ils ont quelqu’un dans le collimateur, ils le font passer en commission de discipline pour détention de téléphone. »

Les situations d’humiliation et de provocation font aussi partie des points relevés par le Contrôleur. Embarrassée par cette question, Michèle, la surveillante, ne préfère pas évoquer les comportements de ses collègues. Jonathan décrit une situation qu’il a vécue :

« En sortant des douches, un surveillant vient vers moi et me dit “tourne-toi”. Il voulait me faire une fouille “complète”. J’étais à poil, c’était humiliant. J’ai refusé. »

Malgré ces récits, on pourrait s’attendre à de la rancoeur de la part des trois anciens détenus vis à vis du personnel pénitentiaire, mais tous reconnaissent que leur mission est très lourde notamment avec les détenus aux pathologies psychiatriques.

Éric Lefebvre conclut :

« L’administration pénitentiaire fait ce qu’elle peut avec les moyens qu’on lui donne et qui n’existent pas. On s’assoit délibérément sur le droit de gens, qui ont beau être condamnés, n’en sont pas moins des citoyens et ont des droits. »

Avec Claire Gandanger


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