Elles s’appellent Anne, Brigitte, Catherine, Denise, Eléonore, Irène, Jacqueline et Karine. Françoise, Germaine et Hélène n’ont jamais vu le jour, laissées à l’état de projet suite à la mise en service en 1972 de l’A351, cette « autoroute de Hautepierre » qui sépare encore les faubourgs de Cronenbourg au nord et de Kœnigshoffen au sud. Athéna, elle, s’est ajoutée plus tard.
Aire urbaine entre Oberhausbergen et Cronenbourg, le quartier est dénommé d’après le relief d’un grand espace agricole, nous apprend le « Dictionnaire historique des rues de Strasbourg » (Le Verger, 2012), Hohen Stein, francisé en Haute Pierre, puis Hautepierre. « Cette appellation provient soit d’un réhaussement de pierres de bornage, soit du nom d’un propriétaire, Henri de Hohenstein, vidame de l’évêché en 1444, qui s’appropria cette zone frauduleusement. »
De A à K, des lettres attribuées par ordre alphabétique
Dès la conception des 250 hectares par Pierre Vivien, architecte mandaté par la SERS pour aménager quelque 8 000 logements et équipements, destinés à abriter 25 à 30 000 âmes (15 000 habitants aujourd’hui), Brigitte, Catherine, Éléonore, Jacqueline et Karine ont une vocation résidentielle. Les mailles restantes sont dévolues aux activités : Anne, coupée par l’autoroute, est un secteur où s’installent des entreprises, Irène abrite le centre commercial Auchan et son parking, tandis que la maille Denise est entièrement dédiée au centre hospitalier universitaire.
À quoi correspondent ces prénoms ? Réponse avancée sur ArchiWiki : chaque maille aurait disposé pendant le chantier d’un nom de code, symbolisé par une lettre de l’alphabet (A, B, C, D, E, F, G, H, I, J et K), attribuée en forme d’escargot. « La lettre est par la suite complétée par un prénom féminin en vogue à l’époque, afin d’offrir un visage plus humain à un projet urbanistique. » Pour l’architecte-urbaniste, les mailles représentent des alvéoles de nids d’abeilles, ou villages, au sein de la ville.
« Véritable oasis de tranquillité et de verdure »
Dans un exemplaire de la revue « Strasbourg, bilan 71-76 » éditée par la Ville, on peut lire à propos du quartier :
« Après la géométrie rectiligne de l’Esplanade, Hautepierre constitue une nouvelle manière d’aborder l’espace et la vie, bien dans l’air du temps. Moderne avec son tissu hexagonal, aérée, calme. À l’intérieur de chacune des mailles, véritable oasis de tranquillité et de verdure, on entend le silence, interrompu seulement par les cris joyeux des enfants qui vont à l’école maternelle sans traverser la moindre rue.
Car Hautepierre, c’est surtout des espaces verts : 18,8 m² très exactement par habitant, sans compter le parc des sports et les jardins du futur hôpital. Hautepierre, c’est encore le plus vaste ensemble sportif de l’est de la France (…). Dans la maille Irène, la communauté urbaine a entrepris la construction d’un centre de loisirs [ndlr, l’actuel théâtre] qui constitue le premier élément d’une « maison commune » qui regroupera des antennes des différentes administrations et des organismes sociaux. Véritable cœur de quartier, point de rencontres, lieu d’échange et d’animation, comme la place du marché dans les villes traditionnelles. »
Une avenue centrale, redéfinie en 2012
Si le marché est aujourd’hui très couru, tandis que la « maison commune » originelle est quasi-inconnue des habitants, le centre de Hautepierre, lui, est introuvable. Avec le processus de rénovation urbaine, qui a permis d’injecter près de 200 millions d’euros dans le quartier, la cité idyllique de Pierre Vivien a vécu, si tant est que le concept ait un jour réellement abouti. Les passerelles ont sauté (voir photo), les mailles (notamment la Jacqueline) ont été ouvertes, les barres les plus pourries démolies et les équipements repensés. Une avenue centrale, sillonnant entre les mailles, l’avenue Racine, a été redéfinie en 2012.
Cette avenue démarre au nord par une jonction avec la partie résidentielle et cossue de la route d’Oberhausbergen. À droite, en venant du nord, des nouveaux logements et locaux d’activités encore vides, à gauche, le collège François-Truffaut et ses cubes rosés qui ont mal vieilli. Là, c’est la maille Karine qui commence, avec ses trois-quarts de logements sociaux CUS Habitat et Nouveau Logis de l’Est, ses maisons individuelles, ses aires de jeux.
Piscine rénovée d’ici 2017, avec vue sur le Zénith
Un peu plus au sud, aux abords de la nouvelle station de tram « Parc des sports », l’avenue coule le long de la Plaine des jeux, vide en hiver, hérissée de barbecues familiaux aux beaux jours. Plus loin, la piscine (1987) apparaît de l’extérieur un peu décrépite. Elle est fermée depuis l’été 2015 et jusqu’à l’été 2017, pour une rénovation en profondeur dans le cadre du plan piscine de l’Eurométropole. Le cercle orange du Zénith Europe, inauguré en 2007, surgit quant à lui derrière les pelouses…
Ensuite, s’enfonçant entre les mailles Jacqueline, puis Catherine et Brigitte, l’avenue Racine entre dans le vif du sujet. Là, l’extension du tram mise en service en novembre 2013 sans tambour ni trompette, a pourtant largement transformé l’espace public. Alors que la Jacqueline, la Karine et la Catherine ont été remodelées de l’intérieur, leurs abords ont également beaucoup changé.
Le CSC le Galet devient la Maison de Hautepierre
D’abord, le centre-socioculturel le Galet a fait en partie peau neuve, intégré dans la Maison de Hautepierre (avec sa station de tram à 20 mètres), à l’intérieur de laquelle on trouve encore la médiathèque, la pharmacie, le Lieu d’accueil parents-enfants (LAPE), le multi-accueil (crèche) du quartier, etc. Ensuite, la résidentialisation a eu raison du fouillis de verdure et du stationnement anarchique dans les mailles. Les immeubles sont désormais entourés de clôtures, tandis que les numéros sont devenus hyper-visibles (photos ci-dessous).
Un peu plus au sud encore, la future mosquée de Hautepierre est en cours de construction, au nord de la maille Brigitte. Dans cette maille qui était connue comme la plus prospère, avec ses petites copropriétés privées, l’espace public semble délaissé. La « petite forêt » est jonchée de fientes de corbeaux, installés en masse dans les quelques arbres du jardin. La maison de l’enfance fait pâle figure, tandis que les installations ludiques et sportives sont grignotées par le chantier de la mosquée.
Le promeneur est toujours avenue Racine quand il aborde par l’ouest la maille Denise où se dresse depuis 1978 l’hôpital de Hautepierre. Là aussi, les changements récents sont visibles, avec l’aménagement d’un immense parking en contrebas de l’esplanade de l’entrée principale, d’un silo à voiture à l’est du site et l’agrandissement de l’hôpital qui se profile au nord. Le centre Paul-Strauss, institut régional du cancer, situé depuis 1959 à immédiate proximité de l’Hôpital civil (quartier Bourse), devrait emménager là d’ici quelques années.
Promotion immobilière et Ditib dans la maille Athéna
Et puis, en bout de course, l’avenue Racine se perd entre les mailles Eléonore et Athéna, la petite nouvelle, où des immeubles d’habitation sont en cours de construction. Là, l’entrelacs de voies de circulation, les travaux, l’éloignement relatif des immeubles en vis à vis rendent impossible l’identification d’un dernier numéro de rue…
Alors que Hautepierre s’efface au profit de Cronenbourg, autour des stations Ducs d’Alsace et Saint-Florent (direction le centre-ville), la densification à l’œuvre partout ailleurs à Strasbourg reprend ici ses droits. Tandis qu’à la station Cervantès (à côté du Auchan), l’immeuble du même nom peine à trouver des investisseurs pour sortir de terre, à la jonction entre Hautepierre et Cronenbourg la promotion immobilière bat son plein. A noter là, la création d’un hôtel-spa et le développement des installations de la Ditib Strasbourg.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : « Boîtier à secrets », en 1980, Alain Kaiser photographie Hautepierre
Sur Rue89 Strasbourg : la rubrique « Au bout de la rue, la ville »
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