À l’origine du drame, une fête sans joie
Alors que la fête de la Saint-Jean bat son plein au dehors, c’est dans les recoins de la cuisine que l’intrigue se met en place. Jugée inopportune dans le dévouement amoureux qu’elle porte à John, la cuisinière a été congédiée. Julie et John vont pouvoir se livrer à un face à face d’une sensualité et d’une violence inouïe.
C’est d’emblée sur le mode d’une recherche effrénée de domination et de pouvoir que se joue la “négociation” qui se trame silencieusement depuis bien longtemps entre John et Julie. Les sentiments réels ou imaginaires que la maîtresse et son domestique partageaient dans les non-dits, ont cédé la place à toutes formes de chantage. La surenchère dans la séduction devient ce soir là, l’ultime moyen d’enfermer l’autre dans un piège qui lui sera fatal. Mais le piège dans lequel l’adversaire tombe, devient chaque fois le lieu à partir duquel il emprisonne l’autre à son tour. L’enchainement est sans fin, il se prolonge comme une malédiction dont la force est autonome. Le combat que mènent les protagonistes pour échapper à la honte qui les aliène, les entraine inexorablement dans un cercle vicieux infernal dont l’issue dépasse leurs desseins.
Selon les croyances populaires, la nuit de la Saint-Jean était une nuit magique, placée sous le signe de l’amour… C’est pendant la nuit la plus claire de l’année que l’on mettait à l’épreuve les relations sentimentales. Sous l’effet de l’alcool, des vérités qui se font jour peuvent conduire au mariage aussi bien qu’au divorce.
Un face à face meurtrier
Mais les mises à l’épreuve ne sont jamais que d’autres façons de pactiser avec le diable. Bien davantage qu’une pièce qui respecte l’unité de temps, de lieu et d’action, Mademoiselle Julie fonctionne comme une véritable tragédie grecque. Les dialogues féroces sont les étapes d’une catharsis complète, par identification progressive à chacun des trois personnages qui se donnent la réplique.
La tragédie naturaliste adaptée par Liv Ullman, prend rapidement toute son ampleur à l’écran, avec des plans rapprochés qui détachent longuement les personnages les uns des autres, pour ne les rassembler que lorsque la tension monte. Les échanges ont tous comme toile de fond le mépris qui alterne avec l’orgueil: mépris réciproque des classes les unes envers les autres et mépris des individus dans la singularité de leurs fragilités.
La surprise est permanente, l’intrigue ne répond à aucun effet de symétrie, pour la rendre aussi éloignée que possible de toute règle dont la logique serait comparable à celle de la vraie vie. La psychologie de la comtesse, comme celle de son domestique, ne sont pas données d’avance malgré tout ce qui oppose classiquement l’homme et le femme, le maître et son valet. Elle est progressivement dévoilée au fil du drame qui se déploie comme à notre insu, nous repoussant dans nos propres retranchements. Qu’attendons nous de cette situation inextricable ? Pourquoi passons-nous notre temps à soutenir la souffrance de l’un, puis le désespoir de l’autre ?
La bande annonce
La fatalité comme étau, seule logique implacable du drame
Les thèmes qui questionnent le fonctionnement du social sont riches et complexifient encore la causalité de l’engrenage. La filiation, la fidélité, la croyance religieuse, les angoisses de ces existences livrées au vide du prêt-à-vivre. Mais le projecteur est aussi braqué sur les ressorts intimes qui animent cette joute passionnée : la jalousie comme moteur de toute ambition, l’amour désespéré, et la jouissance d’exprimer sa pulsion de mort, enveniment les moindres mots.
La multiplication des enjeux ne sert pas forcément l’intensité des dialogues, on peut déplorer qu’elle ne contienne quasiment plus d’ellipse tant les problématiques sont explicites et lourdes de sens.
Le grand absent de cette nuit folle, reste le père de Julie, le baron auquel John a dévoué toute sa vie. Il est pourtant le principe sous-jacent de tout ce qui se joue d’excessif entre eux. Il est certainement à l’origine de l’impossibilité qu’ils ont à freiner la plongée aux enfers dans laquelle leur échange se dégrade. Référence absolue de son domestique, et origine du rang dans lequel sa fille se sent condamnée, il est le point charnière à partir duquel l’ascension et la chute se dessinent. La présence fantôme du maitre des lieux est plusieurs fois évoquée par la bonne, la comtesse et le séducteur effréné qui agonise progressivement écartelé entre les deux femmes. Le baron en voyage devient l’interlocuteur invisible qui plane sur les murs de la cuisine comme une obsession.
Une dureté et une pureté sans compromis
Le film en devient long à force de ne laisser aucune part du dialogue dans l’ombre. Les répliques se multiplient pour redire le désespoir, et la tension finit par s’écrouler avec l’anéantissement des trois protagonistes. Parce que la passion ne s’éteint que si l’autre est détruit dans son essence même, “la mise à mort” sera symbolisée et détaillée dans tout ce qu’elle signifie d’amour et de haine. Et parce que la folie est la seule issue à la souffrance d’une âme que plus rien ne peut guérir, elle se propage comme un feu dans une nature asséchée depuis trop longtemps.
La dureté et la pureté de ce scénario qui ne souffre d’aucun compromis, étouffe quelque peu le réalisme nécessaire à notre adhésion. On sort pourtant subjugués, envoutés par la perfection de cette interprétation, aussi exagérée et superfétatoire qu’elle soit.
À voir à Strasbourg aux cinémas UGC Ciné-Cité et au Star Saint-Éxupéry.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : blog Rives et Toiles, d’autres chroniques de films.
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