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Livres numériques dans les lycées : un mois après, les ratés de la révolution

Problèmes de WiFi, licences qui n’ont pas été livrées, utilisation de méthodes alternatives voire de photocopies… Les profs des lycées passés aux livres numériques doivent rivaliser d’ingéniosité pour accompagner ce bouleversement. Vu l’ampleur des changements, des couacs étaient prévisibles mais six semaines après la rentrée, les profs commencent à se lasser.

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Alors que le passage aux livres numériques ne faisait déjà pas l’unanimité parmi les enseignants, les élèves ou les parents d’élèves des lycées du Grand Est, une série de problèmes plombe la mise en oeuvre dans les 13 lycées qui ont choisi d’être parmi les premiers à utiliser ces technologies en remplacement des bons vieux livres imprimés.

« On essuie les plâtres »

« C’est clair, on essuie les plâtres, » confie une enseignante de l’un de ces lycées labellisés « 4.0. » Ainsi, plus d’un mois après la rentrée, dans certains établissements, les élèves n’ont toujours pas accès aux fameux livres numériques promis l’an dernier. Cette enseignante détaille :

« On n’a pas accès aux fichiers des livres numériques. Il y a un problème avec les licences qui ne nous sont pas parvenues, on ne peut pas télécharger les ouvrages sur les équipements des élèves. Alors en attendant, on va sur l’intranet du lycée, qu’on soit élève ou professeur, puis dans la rubrique « ressources manuelles numériques », les liens apparaissent et permettent d’ouvrir les manuels. Cela permet de débloquer et de travailler mais ce n’est quand même pas très pratique. »

Comme les élèves n’ont plus de livres imprimés, les enseignants sont obligés de s’adapter : ils arrivent en classe avec des paquets de photocopies de leurs anciens livres, qu’ils avaient précieusement gardés sous le coude, ce qui représente un coût non négligeable et surtout inattendu.

Les bons vieux livres imprimés n’ont pas encore disparus des lycées 4.0… (Photo Visual Hunt / cc)

Autre problème technique, l’accès à Internet sans-fils (WiFi), indispensable lorsque l’on travaille sur tablettes ou ordinateurs, ne fonctionne pas toujours, selon des témoignages d’enseignants.

Ces ratés sont assez normaux, étant donné l’ampleur du chantier et des changements à opérer. Dès la première phase, près de 50 lycées du Grand Est, dont 13 en Alsace, ont été sélectionnés pour participer à cette expérimentation.

Ce qui agace enseignants et élèves, ce sont surtout le peu d’informations qui sont communiquées sur la date à laquelle ces problèmes seront résolus :

« On nous avait promis la livraison des licences permettant l’accès au livres numériques pour la rentrée, finalement maintenant c’est au plus tard pour les vacances de la Toussaint… »

Impuissants face à cette situation, certains parents d’élèves ont alerté la FCPE du Bas-Rhin (Fédération des conseils de parents d’élèves).

Les retards à imputer à l’interconnexion éditeurs – Éducation nationale

Mais alors d’où vient le problème? Si le matériel (ordinateurs et tablettes) a effectivement été livré, ce sont les licences, qui manquent à l’appel. Elles sont le sésame permettant à chaque élève et enseignant de se connecter au Gar (gestionnaire d’accès aux ressources) et d’avoir accès uniquement aux livres qui les concernent. En passant par cette plateforme, les données des utilisateurs sont protégées, c’est-à-dire que les éditeurs ne peuvent pas les collecter. Les licences devaient être fournies par la région et livrées à la rentrée en même temps que le matériel, mais tardent à arriver dans certains lycées.

Selon Attissar Hibour, présidente de la commission lycée et apprentissage à la Région Grand Est,

« Si l’accès aux ressources numériques a tardé dans certains établissements, c’est en raison d’une mise à jour des environnements numériques de travail (ENT) des élèves, faite par le ministère de l’Éducation nationale, pour adapter le système aux corrections apportées par les éditeurs. »

Elle rappelle que le dispositif a dû être mis en place en huit mois :

« 73% des licences ont été commandées. Pour celles qui ne le sont pas encore, c’est parce que les enseignants attendent que certains livres numériques soient disponibles. Avec plus de 3 000 références de ressources numériques proposées, le choix est encore plus important que lorsque les manuels étaient papiers. C’était l’une de nos préoccupations importantes : laisser une liberté de choix aux enseignants pour les manuels. »

Marc Neiss, délégué académique au numérique, explique de son côté :

« Le problème, c’est que certains contenus numériques ne sont pas finalisés. En plus, il faut connecter les livres numériques à la plate-forme, ce qui est un mécanisme complexe qui peut prendre du temps. C’est cette face cachée du dispositif qui explique certains délais. »

Pour palier ces débuts parfois difficiles, des formateurs issus de la Délégation académique au numérique pour l’éducation (DANE), sont envoyés dans les lycées, une fois par semaine environ, pour accompagner les enseignants et faire remonter leurs éventuelles questions au Rectorat. Des solutions alternatives, pour faire cours sans livres sont proposées. Cependant, reconnaît Marc Neiss :

« On sent que l’impatience des enseignants monte. Jusqu’à présent ils ont gardé une attitude très positive et ont été compréhensifs. Ils ne sont pas perdus, ils savent s’adapter, mais un mois après la rentrée, on sent qu’ils ont envie que ces problèmes se résolvent. »

Le risque d’un rejet par les profs

En dehors de ces problèmes de livraison des licences, les enseignants doivent faire face à d’autres imprévus que la Région n’avait peut être pas envisagé. Pour une enseignante :

« Ce sont les profs qui sont en première ligne. Ils sont face à des élèves qui ont du matériel, d’autres qui n’en n’ont pas, ceux qui en ont mais qui n’est pas forcément adéquat… De nombreux jeunes viennent avec des tablettes pas vraiment conçues pour travailler, sans stockage et qui ne tiennent pas la route. L’enseignant doit gérer ça, ce qui lui fait perdre du temps et peut en rendre certains réfractaires. »

Pour certains, cette phase pilote n’aurait jamais dû être à l’initiative de la Région :

« La Région avait déjà une stratégie qu’elle a imposée. Cela modifie complètement la structure informatique mais aussi les manières de faire, du point de vue pédagogique. Normalement, c’est l’Etat qui décide des programmes pas la Région. La collectivité s’immisce dans les politiques éducatives. Les enseignants voient dans cette irruption du numérique un cheval de Troie pédagogique. »

L’ensemble des lycées du Grand Est doit évoluer vers les livres numériques en trois ans.


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