Après quelques ajustements, le parcours proposé est l’occasion d’une vraie réflexion sur l’architecture et la manière dont les habitants vivent la ville. Moches, les bâtiments des années soixante ? Thierry Danet, directeur artistique, n’est pas de cet avis :
« Je trouve qu’avec la verdure du nouvel aménagement, les constructions sont mises en valeur. La tour de chimie, par exemple, a failli être rasée plusieurs fois, alors que c’est un repère strasbourgeois. On commence à considérer l’intérêt de ce type d’architecture. À l’époque, c’était la ville nouvelle, juste à côté de la Neustadt (la ville nouvelle de la fin du XIXe siècle), et aujourd’hui à côté de la nouvelle ville des années 2010 : le quartier des Deux Rives. On a voulu créer une réflexion sur le devenir de la ville à l’époque où on se rend compte qu’il faut la penser autrement, en y associant des penseurs, des chercheurs et des artistes. »
De l’usage artistique des technologies de réseau
Dans cette réflexion, le numérique prend une place importante, et les artistes l’exploitent chacun à leur manière. Sur une pelouse, une sculpture de Jennifer Caubet ressemble à un aéronef spatial qui viendrait d’atterrir. Au centre de plusieurs hexagones métalliques, un capteur solaire alimente un routeur wifi détourné, qui crée son propre réseau. L’artiste explique son concept :
« La forme est inspirée de l’île Utopia de Thomas More, et l’œuvre est en effet une île d’ « ailleurs » ou de « nulle part » puisqu’une fois connecté à son réseau, on est en portail captif, c’est-à-dire qu’on navigue seulement sur le site de l’oeuvre. Celui-ci permettra de visualiser le réseau wifi qu’elle émet à 40m autour d’elle, et de se déplacer dans cette modélisation comme dans une architecture. »
Comme Utopia, la plupart des œuvres renvoient à un autre espace, et impliquent les personnes qui les habitent. Sur la fameuse tour de chimie, deuxième bâtiment le plus haut de Strasbourg, les fenêtres joueront une symphonie lumineuse à laquelle on peut se joindre depuis chez soi via le site dédié. Les habitants de l’Esplanade sont invités à faire « pulser » leurs fenêtres le jeudi 12 novembre.
En liant architecture, internet et habitants, Antoine Schmitt met en forme l’aspect « clignotant » des villes le soir, où les écrans des télés, ordinateurs et téléphones sont des indices de vie. Mais pour une fois, au lieu d’être chacun pour soi, les citadins peuvent participer à une œuvre collective.
Des œuvres en résonance avec l’architecture du campus
Venus en repérage il y a quelque semaines, certains artistes, qui ne connaissaient pas ce quartier de Strasbourg, ont été emballés et ont voulu répondre à l’esthétique des bâtiments. Celui de la fac de Droit est certainement l’un des plus notables – d’ailleurs, saviez-vous que sa façade incurvée aux stores orange et bleus est en fait l’arrière du bâtiment, l’entrée officielle faisant face à l’Esplanade ? Olivier Ratsi, comme la plupart des usagers, a perçu cette façade comme plus intéressante et l’a remixée dans un montage photographique anamorphique, qui démontre que notre perception peut recomposer et reconnaître un environnement même s’il est éclaté en fragments.
Dans un autre container rouge, un cube fabriqué par 1024 Architecture fait écho aux lignes orthogonales des bâtiments environnants, mais il a aussi intégré des comportements quasi humains : il se contorsionne et danse grâce à un système d’air comprimé. L’un des concepteurs est également danseur, il a programmé une chorégraphie qui crée son propre son. Jeux de lumière et fumée contribuent donner un aspect organique et vivant à la plus stricte des figures géométriques.
Le carré est également exploité par Lab[au], qui participe avec enthousiasme pour la quatrième fois à l’Ososphère. Deux mosaïques de carreaux forment des murs mouvants et lumineux. La mosaïque blanche est éclairée de projecteurs jaune, rouge et bleu qui s’annulent en lumière blanche mais génèrent des ombres colorées sur les compositions aléatoires qui apparaissent, tandis que sur la mosaïque noire, un rétro-éclairage blanc crée des effets et des dégradés des plus esthétiques. La référence à l’art concret est forte : Mondrian n’est pas loin, les œuvres murales de l’Aubette – où Lab[au] avait réalisé une installation mémorable en 2011 – non plus.
Des espaces de rencontre et de conversation
L’une des grandes nouveautés de cette édition, ce sont les deux dômes blancs conçus par AV-Lab et destinés à devenir des éléments identifiants de l’Ososphère, au même titre que les bien connus containers. Si les œuvres en containers ont pour vocation d’ouvrir le regard sur la ville, les dômes abriteront diverses occasions de se rencontrer, toujours autour des questions d’architecture et d’urbanisme. On y croisera par exemple le maître d’oeuvre choisi pour le site de la Coop, celui du territoire des Deux-Rives, mais aussi des artistes, cartographes, une radio expérimentale, et même un cuisinier.
Le cru 2015 des intallations de l’Ososphère se caractérise par une réflexion de fond, alimentée par des propositions dont la variété crée finalement une cohérence. Thierry Danet résume ainsi ce qui le motive :
« Les artistes nous aident à comprendre le monde, ils se lancent sur des pistes, créent des représentations. Il nous sont indispensables dans la réflexion sur l’avenir. »
La programmation détaillée est à retrouver sur le site de l’Ososphère, attention, les inscriptions pour certaines performances sont fortement recommandées.
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