16 octobre 1984, le corps de Grégory Villemin, 4 ans, est retrouvé dans la Vologne, pieds et chevilles attachés, un bonnet enfoncé sur la tête. Trois décennies plus tard, l’enquête est toujours ouverte. À l’époque, la famille est harcelée par un corbeau qui revendique le meurtre. L’enquête s’oriente vers Bernard Laroche. Il est rapidement inculpé et écroué, confondu par l’expertise graphologique et le témoignage de sa belle-sœur. Mais cette dernière se rétracte. Remis en liberté, il sera abattu d’un coup de fusil par le père Villemin, fou de douleur. Puis c’est au tour de la mère, Christine Villemin, d’être désignée comme le corbeau. Elle est inculpée et écrouée le 5 juillet avant d’être relâchée, moins de deux semaines plus tard, faute de charges suffisantes. Renvoyée aux assises pour le meurtre de son fils, elle bénéficie le 3 février 1993, d’un non-lieu pour « absence totale de charges ». Une première en droit pénal.
En 2000, l’enquête est rouverte dans l’espoir de confondre le corbeau grâce aux traces ADN sur un timbre. Elles s’avèrent inexploitables. En 2008, le timbre est à nouveau expertisé, deux traces ADN sont identifiées, mais elles ne correspondent ni aux Villemin, ni à aucun des 186 ADN des protagonistes de l’affaire… Pour l’heure, les analyses des cordelettes n’ont rien donné, pas plus que celles effectuées sur les vêtements et les chaussures du garçon. Des expertises menées sur l’enregistrement d’un appel du corbeau, ont conclu à deux locuteurs, un homme et une femme, sans pouvoir identifier ces voix.
Kevin Grethen, journaliste au Républicain Lorrain à Metz, revient sur la couverture médiatique de l’affaire :
« Le procureur enchaînait les conférences de presse, dévoilant toutes ses pistes en temps réel. Les journalistes se pressaient dans son bureau. C’est parti complètement en live, les conséquences ont été terribles… La mort de Laroche, la presse l’a quand même un peu sur la conscience, tant il avait été désigné comme le coupable par les médias. L’affaire marque une certaine époque du journalisme, où il arrivait que des confrères soient présents lors des auditions de témoins et de suspects. Deux ans après la mort du petit Grégory, c’est le double meurtre de Montigny-lès-Metz. La pression était énorme pour les enquêteurs, cette fois, il fallait un coupable… »
L’affaire Dils, « un marqueur dans la bio des Lorrains »
Son nom est Patrick Dils. Pour un temps seulement. Désormais, c’est le nom de l’une des plus retentissantes erreur judiciaire française. Petit rappel des faits. Le 28 septembre 1986, Cyril Beining et Alexandre Beckrich, 8 ans, sont retrouvés morts le long d’une voie ferré à Montigny-lès-Metz, au pied d’un talus où ils avaient pour habitude de jouer. Leurs crânes sont fracassés à coup de pierre. Une dénonciation anonyme par téléphone désigne le voisin des deux victimes, Patrick Dils, un apprenti cuisinier de 16 ans dont les psychiatres diront qu’il a la maturité d’un enfant de 8 ans.
Après 36 heures de garde à vue et d’interrogatoires, effrayé, sensible à l’autorité des adultes, le jeune homme un peu gauche avoue le double-meurtre. En 1989, il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Et puis, en 1997, le gendarme Abgrall, de Rennes, qui enquête sur le tueur en série Francis Heaulme, rédige un procès-verbal de renseignement dans lequel il informe la justice de sa présence sur les lieux du crime à la même époque. Abgrall a arrêté Heaulme en 1992, suite au meurtre sur une plage bretonne de l’aide-soignante de 49 ans Aline Peres. Depuis, il retrace l’itinéraire sanglant de celui que l’on surnomme « le routard du crime ».
Le second procès de Patrick Dils s’ouvrira en 2001, il a alors 31 ans. Impossible de faire parler l’ADN, beaucoup d’indices n’ont pas été mis sous scellés et quand bien même, les pièces à conviction ont été détruites en 1995. À la surprise générale, à l’issue du second procès Dils, alors que même le réquisitoire de l’avocat général plaidait pour un acquittement, il est condamné à 25 ans de prison. Dils fait appel, il sera acquitté lors de son troisième procès, le 24 avril 2002. L’innocent a passé quinze ans derrière les barreaux. L’État français lui versera 1 million d’euros. Aux yeux de l’avocat pénaliste Xavier Iochum, l’affaire du double-meurtre a « marqué toute une génération » :
« Beaucoup de Lorrains étalonnent leur propre vie à l’échelle de l’affaire. Quand je discute avec des gens, ils se souviennent que lorsque les enfants sont morts, ils entraient au lycée ; lors du deuxième procès de Dils, ils étaient à la fac, etc… C’est un marqueur dans leur biographie personnelle. L’affaire a surtout permis de montrer la face cachée de la police : ceux qu’on prenait pour des supers flics ont en fait bâclé le travail depuis le début, fait condamner un innocent en le sachant. Cela a jeté la suspicion sur toute une génération d’enquêteurs et de policiers locaux, totalement discrédités. La magistrature locale a aussi été marquée, c’est notre Outreau. »
« Cette affaire, c’est notre ADN »
Enième rebondissement en avril 2014. Le procès de Francis Heaulme a finalement été reporté en raison du témoignage de dernière minute de Marie-Christine Blindauer qui met en cause Henri Leclaire. À l’époque, l’homme est employé chez un imprimeur et s’occupe des bennes situées à proximité du talus. Il aurait raconté avoir donné une correction aux enfants qui gênaient son travail. À la barre, Henri Leclaire a confirmé les dires du témoin. D’ailleurs, il était le suspect numéro 1 des enquêteurs en 1986, il avait lui aussi avoué avant de se rétracter.
Puis, la police l’avait mis hors de cause, incapable de monter sur le talus lors d’une reconstitution. L’hypothèse que Heaulme et Leclaire aient commis ensemble le double-meurtre est envisagée par la justice. Ils pourraient être jugés ensemble d’ici 18 mois. Les ventes du Républicain Lorrain bondissent à chaque nouveau rebondissement de l’affaire. Et Kevin Grethen, qui suit l’affaire pour le quotidien régional, d’expliquer :
« Cette affaire c’est notre ADN, on la suit et elle nous poursuit depuis 1986. Tout le monde veut savoir. Les voisins de Montigny se souviennent très bien de ce qui s’est passé, du cordon de sécurité, de la présence policière durant plusieurs jours, de la détresse des deux familles… C’est un traumatisme pour tout le bassin messin. L’important, c’est qu’il y ait une décision, par rapport à Patrick Dils aussi. Car beaucoup, même parmi les forces de l’ordre, restent persuadés qu’il est coupable, alors qu’il a été établi qu’il ne pouvait pas être là… »
Heaulme : une publicité dont les Lorrains se seraient bien passés
Ces deux affaires « effroyables », « écrasantes par leur dimension et leur durée », renvoient « l’image d’une Lorraine triste », regrette l’avocat Xavier Iochum :
« En Lorraine, on a souvent l’impression que la France de l’intérieur considère la région comme âpre et sinistre. Et qu’en plus de tous nos problèmes économiques et sociaux, notre fleuron est Francis Heaulme, pur produit du terroir. Même si le propos est ironique, c’est dur. »
Le tueur en série est né en 1959 à Briey-en-Forêt (Meurthe-et-Moselle). Son père alcoolique bat sa mère. Une mère adorée par Francis Heaulme qu’il décrit comme une sainte. En réalité, elle boit aussi et finira par placer son fils en internat, atteint d’une débilité légère. Mais Francis Heaulme continuera d’idéaliser sa mère. Elle meurt d’un cancer le 16 octobre 1984, « c’était le jour de la mort du petit Grégory. Ce jour-là, ça a fait boum dans ma tête », racontera-t-il devant les assises de Périgueux en 1997. Trois semaines plus tard, il passe à l’acte et tue une jeune fille de 17 ans à Montauville (Meurthe-et-Moselle). Durant huit ans, il commet des crimes au hasard de sa route. Il a déjà été condamné pour neuf meurtres.
La veuve noire, l’affaire Krauth et le curé d’Uruffe
La Lorraine a été marquée par d’autres affaires, sordides, mystérieuses, qui ont défrayé la chronique. Celle de « la veuve noire », Simone Weber, condamnée en 1991 à 20 ans de prison pour le meurtre de son amant, Bernard Hattier, disparu en 1985. Elle a toujours nié mais la meuleuse à béton achetée la veille de sa disparition sera retrouvée dans sa voiture, un morceau de chair accroché sur le disque. La nuit, les voisins l’ont vu descendre 17 sacs poubelle dans sa voiture. Le juge d’instruction est convaincu qu’elle a aussi empoisonné Marcel Fixard, 81 ans, mort brusquement trois mois après leur mariage en 1979, sans pouvoir le prouver.
Plus récemment, l’affaire Krauth a « suscité une vive émotion en Moselle », se souvient Me Iochum. Le 22 juillet 2001, Krauth renverse Karine Schaaf, 16 ans, qui se rendait à vélo chez une amie. Les traces laissées par sa voiture sur la bicyclette permettent aux enquêteurs de remonter jusqu’à lui. Il reviendra le soir avec sa compagne brûler le corps dans la forêt. Il a été condamné à 30 ans de prison, avec une peine de sûreté de 20 ans. Sa compagne écopera de trois ans pour destruction de preuves.
Ou encore l’affaire du curé d’Uruffe, qui a horrifié la France entière dans les années 1950. Et Me Iochum de poursuivre :
« Mes grands-parents en parlaient à mots couverts. Pour décrire l’ambiguïté, la perversité de quelqu’un, ils faisaient référence au curé d’Uruffe. Il a marqué les esprits au point de devenir le symbole du mal, de la noirceur. »
Le prêtre de cette petite commune de Meurthe-et-Moselle entretenait plusieurs relations avec des paroissiennes de la région. L’une d’elle, âgée de 19 ans, tombe enceinte du prêtre. Elle refuse d’avorter ou d’abandonner l’enfant et promet de garder le secret de sa paternité. Peu avant la date d’accouchement, il l’emmène pour une balade nocturne en 4CV, lui tire dessus à trois reprises et se précipite sur le corps pour l’éventrer, tuer et défigurer l’enfant. L’Église a dû organiser des cérémonies expiatoires pour se laver des crimes du prêtre. Il fut condamné aux travaux forcés à perpétuité. En 1978, il est le plus ancien détenu de France quand il obtient une liberté conditionnelle. Il décèdera en 2010, à 90 ans.
Le Donon : « Rien de mieux pour se débarrasser d’un cadavre »
Et puis, début 2005, un cadavre de femme est retrouvé dans un tonneau, dans le massif du Donon. L’été précèdent, c’est le corps d’un homme, en caleçon et chaussettes, qui est découvert sous un tas de pierre dans le même secteur. En 2003, un promeneur trouve le crâne d’un autre homme non loin de là. Trois cadavres non-identifiés en un an et demi. Malgré les fouilles des gendarmes, le mystère reste entier, comme l’explique le journaliste Kevin Grethen :
« J’avais émis l’hypothèse, au moins pour le cadavre du tonneau, que ce puisse être une victime de Pierrot le fou (Pierre Bodein, tueur en série alsacien, ndlr) qui se trouvait dans les parages au moment où le tonneau a été immergé. Le Donon, c’est notre triangle des Bermudes, avec des forêts, des montagnes, des creux, et des routes où passent trois voitures par semaine. Rien de mieux pour se débarrasser d’un cadavre. »
Phénomène nouveau : le kidnapping entre trafiquants de drogue
Le fait-diversier ne chôme pas. Entre les meurtres et les grands procès, il relate au fil de ses articles la délinquance ordinaire, drogue, trafics en tous genres et prostitution :
« Nancy et Metz sont deux plaques tournantes pour les stups en provenance de Hollande. L’A31, les flics l’appellent la route de la blanche. On est aussi cartonné par des bandes de cambrioleurs venus de l’Est, qui sévissent chez des particuliers et des professionnels où ils font main basse sur des engins agricoles et de chantier. Nous sommes au cœur de l’Europe, la délinquance itinérante est forte. Ils font des raids de 300 km durant lesquels ils cambriolent à gogo avant de franchir la frontière. Acheter une voiture d’occasion est risqué dans le coin, l’origine est douteuse, les compteurs sont trafiqués… Des réseaux entiers tombent en ce moment. Cet hiver, à Boulay, petite commune mosellane perdue, un réseau de Nigérians a été démantelé. Dans un appartement, les hommes faisaient des arnaques sur internet tandis que les filles se prostituaient aux abords des grandes villes. La prostitution est très présente chez nous, les locales ne font pas le poids face à la concurrence bulgare, chinoise… »
Quant à Me Iochum, qui compte parmi ses clients plusieurs trafiquants, il voit émerger un phénomène nouveau chez les criminels :
« Une équipe sévit chez les stupeux. Elle kidnappe les stupeux qui ont réussi dans le trafic, ou leur copine. Ils les gardent deux à trois jours, parfois elle les chauffe au chalumeau ou leur arrache un téton. Cela crée un climat d’insécurité étrange dans le milieu de la délinquance. Sinon, chez les braqueurs, nous n’avons pas à faire à des bandes organisées, mafieuses, comme ailleurs. Ce sont des bras cassés qui s’arment pour se faire un bureau de tabac. C’est du braquage de la misère. »
Arrivée au terme de cette plongée dans les faits divers lorrains les plus glaçants, il convient de rappeler qu’en matière de délinquance et de criminalité, la Lorraine est dans la moyenne nationale. Elle est la 11e région la plus calme de France sur 22.
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