Les 941 salariés alsaciens de Lohr Industrie vont passer une fin de semaine tendue. En cause, le bras de fer entre Robert Lohr et Patrick Kron. L’un est le patron de Lohr Industrie, fleuron technologique alsacien établi à Hangenbieten et Duppigheim, l’autre est PDG d’Alstom. En mars, Alstom annonce étudier le rachat de 85% de Translohr, qui fabrique des tramways sur pneus, pour 60 millions d’euros. On est encore en pleine campagne présidentielle et l’offre est très politique, comme l’a révélé Médiapart : le Fonds stratégique d’investissement (FSI) est mis à contribution sur ordre de l’Elysée pour aider à réunir la somme et éviter que Translohr ne soit racheté par des Chinois.
Sauf que l’offre d’Alstom ne dépassera jamais le stade de la communication publique. Après la « due diligence », une phase d’accès aux comptes de l’entreprise pour l’acquéreur, l’offre initiale ne tient plus. Envolés les 60 millions, la communication d’Alstom se borne à indiquer qu’une autre offre a été transmise à Lohr Industries :
« La nouvelle offre reprend toute l’activité de Translohr, les emplois, les contrats en cours et la technologie. Nous assurons la pérennité de l’activité en Alsace. A ce jour (mercredi, ndlr), nous attendons toujours la réponse de M. Lohr à cette offre. »
Mais pour Robert Lohr, cette offre n’est pas acceptable. On parle de 25 millions d’euros, insuffisants pour faire face à ses créances. Lohr Industrie doit honorer ces prochains jours le remboursement d’un prêt bancaire d’environ 50 millions d’euros. Robert Lohr n’a plus le choix, l’ultimatum des banquiers ayant déjà été repoussé. Pour protéger son entreprise, l’octogénaire PDG alsacien doit donc la placer en cessation de paiement. Mercredi matin, il a fait réunir le comité d’entreprise pour solliciter son avis sur un placement de Lohr Industrie en redressement judiciaire.
Membre du comité d’entreprise (CE) de Lohr Industrie pour la CFDT, Yves Mattern détaille :
« La direction nous a dit que l’offre de 60 millions d’euros d’Alstom pour Translohr n’avait pas été confirmée et que l’entreprise était très endettée. Elle pourrait ne pas honorer le paiement des salaires de mai. L’entreprise sera placée en redressement judiciaire lundi, sauf si Alstom confirme son offre initiale d’ici là. Sinon, il faudra faire appel à l’assurance de garantie des salaires (AGS) qui pourrait prendre en charge le paiement des salaires, mais à partir de la mi-juin seulement. Tous les salariés sont très inquiets, on a passé la journée à expliquer la situation à nos collègues… L’ambiance est très tendue dans l’entreprise, tout le monde s’attend à un dépôt de bilan suivi d’un plan de licenciements… Car après Translohr, d’autres activités sont en souffrance, comme Modalohr qui attend depuis des mois une commande de wagons de la SNCF. »
Jean-François Argence, directeur commercial de Lohr Industrie, veut minimiser la nouvelle :
« Les négociations avec Alstom ne sont pas terminées. Elles peuvent aboutir avant lundi et l’entreprise n’aurait pas à entrer dans une phase de redressement. Nous avons simplement pris une mesure conservatoire pour protéger l’entreprise. Les salaires du mois de mai, ainsi que ceux des mois suivants, seront payés. Il faut attendre lundi pour évoquer le futur de Lohr Industrie. »
Partie de poker à plusieurs millions d’euros
En fait, Robert Lohr n’a pas dit son dernier mot. Car si l’entreprise est placée en redressement lundi, une période d’observation d’environ six mois suivra durant laquelle l’entreprise échappe à ses créanciers. L’industriel alsacien pourra mettre à profit ce répit pour reprendre contact avec les investisseurs chinois qui étaient intéressés par Translohr avant que le gouvernement précédent ne s’en mêle.
Mais pour Alstom, un dépôt de bilan pourrait aussi être une bonne affaire. Car Patrick Kron n’aurait plus à négocier avec Robert Lohr, mais pourrait soumettre au tribunal une offre de reprise, qui concernerait alors toute l’entreprise alsacienne.
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