En avril 2013, l’artiste Ignas Maldziunas était à la recherche d’un studio de photographie. Il est tombé sous le charme d’une grande synagogue, à Kaunas, qu’il partage depuis avec d’autres artistes.
« La danseuse a quitté les lieux, elle est rentrée à Paris. Je travaille désormais avec trois autres artistes. Personne ne vit vraiment ici, sauf moi qui suis devenu l’homme qui veille sur les lieux. J’entretiens le bâtiment, j’ai fait des travaux à mon arrivée et puis j’accueille des artistes qui passent ici pour des résidences. En bas, il y a même un studio d’enregistrement audio maintenant ! »
« Tous nos lieux sont voués à l’oubli »
La communauté juive de Kaunas ne compte plus que 200 membres, dont une quinzaine seulement viennent prier dans la dernière synagogue en activité sur les 38 que comptait autrefois la ville. Mausa Bairakas est le directeur de la communauté juive. Il évoque le difficile avenir du judaïsme en Lituanie :
« Il n’y a pas assez de Juifs ici pour assurer une rénovation du patrimoine. Le vieux cimetière montre dans quelle situation nous nous trouvons : les pierres tombales sont renversées, abîmées, envahies par la végétation. Certains édifices sont récemment entrés dans le patrimoine national, comme ce bâtiment qui est la plus vieille synagogue du pays. Mais nos nombreuses autres synagogues et tous les autres lieux liés à la vie juive sont voués à l’oubli ou à la destruction du temps. »
Manque d’argent et de volonté, les synagogues en bois disparaissent
Mais la réelle particularité de ce patrimoine, ce sont les vieilles synagogues en bois du pays. Bien plus difficiles encore à sauver, elles ont, la plupart du temps, été brûlées par les nazis ou leurs collaborateurs lituaniens. Pourtant, il en reste encore une quinzaine, qui ressemblent à de vieilles granges fatiguées. Mausa Bairakas raconte combien il est difficile de sauvegarder ces bâtiments, pourtant extrêmement rares :
« Les synagogues en bois n’ont pas été entretenues depuis 70 ans. Elles sont dévorées par les parasites, attaquées par les mauvaises conditions météorologiques et surtout, ne sont pas habitées ni chauffées, donc le bois pourrit littéralement. Depuis des années, on parle de sauver une synagogue en bois en la transportant dans un écomusée. Il y a différents problèmes : d’argent, de volonté politique, de culpabilité historique et d’antisémitisme. Et puis, ça n’est pas un sujet qui rapporte de l’argent… ça en coûte plutôt. »
Mais le président de la communauté juive de Kaunas reprend confiance quand il évoque l’intérêt que d’autres peuvent avoir pour cette histoire et ce patrimoine :
« Gilles Vuillard est un artiste français qui, depuis, une dizaine d’années, peint sur de grandes toiles, les synagogues en bois. Plusieurs ont depuis brûlé ou se sont effondrées : mais Gilles les a sauvées pour la postérité grâce à ses œuvres. »
Les synagogues sur toiles
Gilles Vuillard est installé à Kaunas depuis le début des années 2000. Ce peintre français s’est passionné pour cette histoire et a passé plusieurs années à tenter de recenser le nombre de synagogues en bois du pays. Il a consigné dans des carnets, des films et des photographies, toute une mémoire locale qui s’efface jour après jour.
« J’en ai compté quinze, mais depuis mon passage il y a quelques années, certaines ont disparu. Elles servent de dépotoir, de hangar, ne sont pas entretenues et sont bien souvent ouvertes aux vents et aux pluies. Je ne comprends pas pourquoi on dépense des millions d’euros à préserver Auschwitz quand de vieilles synagogues en bois (uniques au monde) s’abîment et que les dernières traces d’une vie juive avant le génocide disparaissent. J’ai voulu peindre les bâtiments de manière réaliste, pour les garder en mémoire. Malheureusement, ça n’accroche pas ici ; personne n’a d’intérêt pour cette histoire. »
Dans les campagnes, les synagogues en bois sont méconnaissables. Elles se mêlent aux vieilles fermes et aux granges. À Rozalimas, par exemple, aucune plaque n’a été posée sur les planches abîmées du vieux bâtiment en bois. Nous peinons à comprendre qu’il s’agit de la vieille synagogue du village.
Les synagogues peintes de Gilles Vuillard ont déjà été exposées plusieurs fois en Lituanie mais il espère un jour les montrer hors du pays, et ainsi donner à voir ce qui n’est plus :
« La vieille synagogue en bois de Žiežmariai va bientôt être reprise en mains par l’État. Ils vont mettre un nouveau toit et consolider la structure, qui s’effondre depuis des années. Le lieu sera alors sauvé, mais sans réel projet derrière. Je rêverais de pouvoir y installer mes toiles, pour en faire un musée des synagogues en bois. »
Après la Lituanie, le Bulli part vers le Nord, en Lettonie.
Aller plus loin
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Y aller
Nos derniers reportages vidéo sont à découvrir jeudi 18 septembre à partir de 19h, aux Savons d’Hélène, rue Sainte-Hélène à Strasbourg, entrée libre. Il y sera question des méthodes de conservation du site d’Auschwitz et du Slumdog Theatre, une scène rom dans un bidonville de Slovaquie.
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