À la rentrée, le camp de Saint-Gall, le plus grand terrain accueillant des Roms à Strasbourg, fermera pour laisser la place à un projet de jardins partagés. Cent trente familles y résident dans des cabanes de fortune, les pieds dans la boue lorsque qu’il pleut. La famille Nocovici y vit depuis 8 ans. Le père raconte qu’il n’a jamais réussi à trouver un emploi pour « se sortir de là » :
« J’ai tenté de vendre des journaux, j’ai mendié… Pour moi, il est presque impossible de trouver un emploi stable. En Roumanie, j’ai travaillé dans les parcs ou comme éboueur ; ça ne suffisait pas à nourrir ma famille. Nous étions trois frères, avec nos femmes et enfants, à vivre dans un deux pièces… C’était insoutenable. Le problème, c’est qu’ici nous ne savons pas comment faire, à quelle porte frapper. En attendant, nous restons là, en espérant un avenir meilleur pour nos enfants. Ils sont scolarisés et quoiqu’il arrive, leur futur est plus prometteur ici qu’au pays. »
Un camp pérenne « n’a jamais été une question »
En septembre, où atterrira la famille Nocovici et pour combien de temps ? Pour Marie-Dominique Dreyssé, adjointe au maire en charge de l’action sociale, un camp pérenne n’est pas envisagé :
« Un terrain viabilisé sur Strasbourg ? Cela n’a jamais été une question. Les Roms n’ont pas a être sur un terrain « durable ». Ce n’est pas ce qu’ils désirent, ils sont épuisés de cette vie-là… »
Lorsque qu’elle est arrivée en 2008, l’adjointe dit avoir découvert des zones de non-droits :
« Ils étaient soumis à une auto-organisation chaotique, une hiérarchie du plus fort… Les familles vivaient dans des bidonvilles complètement insalubres. Notre priorité a été de répondre à un problème humanitaire. Nous avons alors créé l’Espace 16 [ndlr, rue du Rempart]. »
130 personnes aux Remparts, à l’Espace 16
L’Espace 16 (pour numéro 16 de la rue du Rempart) est le seul camp « légal » de Strasbourg. La première partie du programme d’insertion dans ce « village temporaire » a été lancée en octobre 2011, derrière la gare. Une extension a ouvert en janvier 2013. La présence des Roms y est contractualisée, avec une sélection à l’entrée. « Ce sont des gens qui veulent faire leur vie ici », explique Marie-Dominique Dreyssé. Des accompagnateurs sociaux et des veilleurs de nuits sont constamment présents. Au programme : des cours de français, avec pour but final une insertion professionnelle en France. Des caravanes ont été mises à disposition d’environ 130 personnes.
« L’Espace 16 est construit sur le modèle d’une aire d’accueil des gens du voyage », déplore Germain Mignot, responsable de la mission rom de Médecins du Monde à Strasbourg. Un amalgame tenace est entretenu. Les migrants, et non pas les « nomades », sont à 99% d’origine roumaine à l’Espace 16. Par ailleurs, seules 20 personnes seraient arrivées à Strasbourg en 5 ans, loin de « l’appel d’air » craint par beaucoup.
Un village d’insertion « normatif et stigmatisant »
Dans leur pays d’origine, ces Roms vivaient le plus souvent en appartement ou dans des maisons, 90% des Roms de Roumanie étant sédentarisés. Mais les caravanes reviennent moins cher à la Ville que des mobile-homes ou des maisonnettes de bois. « Le village d’insertion pose des questions. Il reste normatif et stigmatisant », selon le bénévole.
Il est surtout temporaire, puisque des projets urbains sont également prévus rue du Rempart. Le dispositif devait tenir seulement deux ans et les familles être remplacées dès l’insertion réussie. Mais, sauf retour au pays, les familles y sont toujours les mêmes. La Ville a été trop optimiste sur leur insertion, compte tenu des freins à l’embauche légaux qui existent pour les Roumains et les Bulgares. Selon Jean-Claude Bournez, responsable à la mission rom, cette fois à la Ville de Strasbourg :
« Cela reste un endroit où la vie est difficile et pas banale, qui n’est pas voué à durer. Les personnes doivent aller de l’avant, trouver un emploi. Dès janvier 2014, les démarches seront simplifiées, avec une ouverture et la facilitation des démarches pour les contrat d’insertion. Nous allons travailler avec Pôle Emploi pour démarcher les entreprises (27 sont visées) et leur proposer des travailleurs Roms qui sont motivés. »
Un nouvel espace temporaire à l’étude
Pour continuer le travail entrepris aux Remparts, la création d’un nouvel espace temporaire d’insertion est à l’étude, selon Jean-Claude Bournez. On ignore en revanche où et quand cela se fera et si le modèle de l’Espace 16 sera repris. Car si certains volets du programme marchent plutôt bien (apprentissage du français, de la vie en collectivité, accès aux soins), celui de l’insertion professionnelle est un échec. Deux personnes ont à ce jour trouvé du travail. Pour François Schuler, travailleur social employé de Horizon Amitié, l’association qui s’occupe de gérer l’Espace 16, cet échec est à relativiser :
« Sur le papier, effectivement, rares sont les personnes qui ont trouvé du travail. Mais pour moi, la Ville a fait un choix humanitaire en créant cet espace. Personnellement, je ne parle pas d’intégration, mais de reconversion sociale. Les différences culturelles sont importantes, on ne change pas des habitudes séculaires en un claquement de doigts. »
Bianca, embauchée à Emmaüs Mundo
Bianca a 24 ans. Hébergée à l’Espace 16, c’est l’une des deux personnes qui ont trouvé du travail. Elle a été embauchée par Thierry Kuhn, vice-président de Latcho Rom et directeur d’Emmaüs Mundolsheim. Ce dernier dit d’elle qu’elle ferait taire les mauvaises langues, celles qui disent que les Roms ne veulent pas s’intégrer :
« C’est une ancienne vendeuse de fleurs. Elle est extrêmement motivée et est aujourd’hui un des moteurs de l’équipe. Le premier mois de travail n’a pas été facile. Elle était habituée à ramener un peu d’argent chaque jour, pour nourrir sa famille. Là, il a fallut attendre que le premier salaire tombe. Lorsque c’est arrivé, c’était une vrai fête, mais avant cela, elle était sous pression. »
Le chemin jusqu’à l’embauche a été long :
« Les freins à l’emploi sont immenses, les démarches très compliquées. Ce n’est qu’en janvier 2014 que ce sera facilité. Strasbourg sera d’ailleurs pilote dans les contrats uniques d’insertion des Roumains et des Bulgares, qui avaient jusqu’ici des droits restreints, avec 150 métiers ouverts, mais trop spécialisés et difficiles d’accès. La liste vient d’être élargie à 291, dits en tension. »
En janvier 2014, les Roumains et les Bulgares qui ne bénéficient pas d’un titre de séjour pourront passer par une procédure d’autorisation simplifiée, si les démarches sont initiées par un employeur. Au vu de ces changements et de la fin de son bail, l’Espace 16 devait cesser son activité, même si la date butoir sera probablement repoussée, « dans l’intérêt des familles », note François Schuler.
Des maisonnettes en palettes de bois
En parallèle de l’action municipale, l’association Latcho Rom tente de se voir attribuer un autre terrain par la municipalité, pour concrétiser son projet « d’auto-construction ». L’association a été créée il y a un an, alors que quatre démantèlements de camps étaient programmées à Strasbourg. Latcho Rom, avec d’autres associations, attaque la municipalité en justice, perd, mais devient le défenseur des Roms au niveau local. Thierry Kuhn explique :
« Nous souhaitons qu’il y ait un terrain viabilisé, où l’on créera un chantier d’initiative, avec des logements transitoires que les Roms construiraient eux-mêmes à partir de palettes de récupération. On ferait de jolies maisonnettes en utilisant les compétences présentes sur les campements. Les participants bénéficieraient d’une vraie formation professionnelle. L’objectif est d’aller au-delà de ce qui a été fait à l’Espace 16. »
À ce projet, deux préalables : la construction d’une maison témoin et, plus difficile, trouver un second terrain. D’après Thierry Kuhn et malgré le démenti de Marie-Dominique Dreyssé, l’attribution d’un lot est actuellement en discussion. « On parle de Cronenbourg et du Port-du-Rhin », assure-t-il. Mais, plaident plusieurs de nos interlocuteurs, pas question de dévoiler le lieu exact envisagé avant que la décision ne soit entérinée.
En cause, la crainte d’une levée de boucliers des riverains qui généralement, quand un projet de camp se dessine, montent au créneau pour faire capoter le projet, comme ce fut le cas à la Robertsau, pour une aire d’accueil de gens du voyage. Mais également, la pression exercée par les promoteurs immobiliers, quand ces projets menacent la commercialisation d’ensembles en cours de construction.
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