Quand il a ouvert au mois de mai 2014, le Lieu d’Europe, situé dans la Villa Kaysersguet en face de la Cour Européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg, avait pour objectif de secouer un quartier aux institutions perçues comme fermées et distantes du citoyen. Fruit d’une mobilisation de groupes europhiles de la société civile depuis les années 80, il se veut multi-tâches et propose des conférences, des projections, des expositions, mais aussi des concerts et des animations célébrant les cultures européennes. Pourtant, le lieu a encore du mal à se faire connaître des foules.
Peu de visiteurs hasardeux
Lors de sa courte première année, 14 000 visiteurs ont franchi ses portes. Ils étaient 30 000 en 2017, pour atteindre, en quatre ans, près de 100 000 visiteurs cumulés, d’après sa directrice, Anne Billaut. De son propre aveu, l’endroit pâtit encore d’un « manque de visibilité », même si elle relativise :
« On n’a que 4 ans, et on est déjà beaucoup plus visible qu’à l’origine. »
Il est vrai qu’on ne tombe pas sur le Lieu d’Europe par hasard, et si de grands panneaux « Le Lieu d’Europe, c’est ici » précèdent son portail, le touriste ou le Strasbourgeois peut être intimidé devant cette grande villa au jardin silencieux.
Une fois passé le petit pavillon dédié aux expositions et le chapiteau prévu pour diverses manifestations, il pourra pourtant découvrir à l’intérieur une grande exposition gratuite sur l’Histoire de l’Europe, de ses institutions, et de son lien à Strasbourg, en français, allemand et anglais. C’est simple et clair, et quelques moments interactifs rythment la visite.
Au deuxième étage, le CIIE (Centre d’Informations sur les Institutions Européennes) a pris ses quartiers dans une salle dotée de ressources adaptée à tous les âges. A côté, une salle permet d’accueillir réunions et conférences, notamment un cycle avec le Conseil de l’Europe sur des sujets comme la corruption, l’immigration, les langues…
Principal problème : le manque d’espace
La salle frappe par son espace limité à une cinquantaine de personnes. Mais une extension est prévue : en réhabilitant la maison du 1 allée Kastner, qui se cache derrière la villa, le Lieu d’Europe devrait pouvoir accueillir près de 100 personnes supplémentaires.
Pour Henri Mathian, initiateur du Comité de soutien et de l’Association pour un Lieu d’Europe à Strasbourg, ce dernier n’est pas à la hauteur de l’ambition du projet. Suite aux discussions entre la Ville, des associations de quartier et le comité de soutien, il ne correspond pas au modèle que les citoyens mobilisés autour de lui avaient imaginé :
« En 2011, après des décennies de mobilisation, tout le monde était d’accord sur un projet de réhabilitation de la villa avec une extension modulaire pour une surface utile de plus de 4 000 m². Et puis, finalement, il y a eu l’inauguration en 2014, mais sans nouvelle de l’extension. »
Ambitions déçues des partisans d’un « futuroscope européen »
II se dit aussi déçu du contenu même, alors que certains européistes convaincus portaient un projet d’envergure, qu’il fallait maintenir coûte que coûte :
« Au départ, on voulait un projet du type du Parlamentarium à Bruxelles (un lieu de 6 000 m², ndlr), mais cela a été contrarié par les associations de quartiers, invitées à la table de manière sidérante car sans connaissances techniques européennes. On voulait un lieu qui se dédiait une semaine par an à un pays de l’Europe des 47, pour présenter sa culture, sa cuisine et sa langue, et il fallait pouvoir les recevoir. On voulait aussi plusieurs modules pour reprendre l’Histoire de l’Europe mais aussi son avenir, comme un Futuroscope de l’Europe. »
La ville « très satisfaite » du projet
Faces à ces rêves de grandeur, le son de cloche est un peu plus nuancé du côté de la Ville de Strasbourg, qui gère le lieu. L’adjointe aux affaires européennes et internationales, Nawel Rafik-Elmrini (LREM), se dit très satisfaite d’un projet qui « répond à un besoin historique » et « remplit bien ses missions » :
« On est très content du résultat en termes d’accueil, de projets, de partenariats. Ce n’est pas un musée, on y fait des rencontres, des animations, on y constitue un réseau diplomatique… Il est vrai qu’au tout début, ceux qui portaient le projet voyaient un « Eurodôme ». Mais depuis plus de vingt ans, ce projet ne voyait pas le jour. Il fallait une volonté politique et quand il y a eu celle de Roland Ries, il y avait ce lieu à disposition. »
Anne Billaut, la directrice, préfère elle aussi voir le verre à moitié plein:
« Le Lieu n’est peut-être pas à la taille de ce que certains s’imaginaient, mais c’est quand même quelque chose, et ça va s’agrandir. Moi, je retiens ces quatre années passées, où le message est bien passé : l’Europe n’est pas que celle des technocrates. Et pour faire de la démocratie locale, faire participer les citoyens à l’Europe, on ne peut de toute façon pas le faire avec 300 personnes par jour. »
Elle avance qu’avec une équipe resserrée (trois agents d’accueil, la directrice et un service civique), le Lieu demeure actif. Le mois de mai est particulièrement rempli avec le Erasmus Day, la Journée de l’Europe, la Fêtes des européens, mais aussi le premier Festival Europa’Zik (les 19 et 20 mai) avec des artistes comme Lucia de Carvalho ou Claire Faravarjoo. En juin, le Lieu accueille participe au European Youth Event et accueille le Festival des Orchestres Universitaires Européens.
3 millions d’euros pour le Lieu d’Europe
Pour tout cela, le Lieu puise dans son budget propre et est aidé par la Ville en matière de supports de communication notamment. Son budget de fonctionnement est de 100 000€, complètement pris en charge par la Ville. Mais la directrice concède qu’il ne peut faire de campagne d’envergure à chaque événement. Un écueil encore critiqué par Henri Mathian, pour qui des moyens supplémentaires seraient plus que bienvenus :
« Le projet de 2011 devait être doté de 12 millions d’euros. Là, le Lieu d’Europe a eu 720 000€ au titre du contrat triennal 2014-2017 (contrat entre l’Etat, l’Eurométropole, la Région et le Département pour le rayonnement européen de Strasbourg, NDLR), et pas un centime n’en a été utilisé pour, par exemple, recruter du personnel spécialisé, reconfigurer l’exposition permanente, améliorer les conditions d’accueil, de sécurité, de parking… »
Dans le cadre de la période 2018-2020, 3 millions d’euros sont affectés au Lieu d’Europe. De quoi financer les développements futurs, car le Lieu d’Europe n’en est qu’à la première phase de son projet.
Un projet qui n’en est qu’à ses débuts
Depuis le début, il est prévu une extension et un réaménagement, mais les contours ne sont pas encore précisés, car ils font, encore, l’objet d’une consultation publique. Après une réunion le 16 mars 2018, les grands axes se dessinent : une ouverture d’une partie du parc avec une zone préservée pour respecter la biodiversité, la rénovation de la serre et des statues, et la rénovation de la maison derrière la villa.
L’occasion d’une reprogrammation, d’après Nawel Rafik-Elmrini :
« Nous commençons par faire un appel à candidatures pour les consultants qui remonteront les propositions de tous les partenaires concernant les activités de ces nouveaux espaces. Le processus sera lancé cet automne, et la mise en oeuvre est à l’horizon 2020 ».
Un changement bienvenu pour le public scolaire, qui constitue une grande partie des visites du Lieu d’Europe avec 10 000 jeunes visiteurs par an, mais qui y trouve paradoxalement peu de choses, comme le regrette Henri Mathian :
« L’exposition n’est pas faite pour les scolaires. Heureusement, ils sont pris en charge par le CIIE, mais celui-ci doit faire preuve d’imagination pour pallier les carences de l’exposition. »
Un constat partagée par la directrice Anne Billaut qui souhaite améliorer ce volet à l’avenir :
« Il est vrai que les scolaires font plus les ateliers que l’exposition. Je serais pour créer quelque chose de radicalement différent, quelque chose en plus, une exposition spéciale pour les enfants ».
Travailler en réseau pour attirer le touriste
Si les protagonistes du lieu se disent conscients de ses défauts, son inscription dans le contrat triennal « Strasbourg, Capitale Européenne » pose aussi la question du rayonnement touristique. En 2015, notre rédaction constatait un lieu mal désigné par la signalétique, et un « Parcours d’Europe » pour le moins obscur.
Aujourd’hui encore, la directrice du Lieu, distant tout de même de près d’un kilomètre du Parlement, regrette que les acteurs du tourisme passent peu par le quartier européen. Nawel Rafik-Elmrini y voit l’occasion de renforcer le travail en réseau et en partenariats, notamment avec le Parlamentarium français, un nouvel espace au sein du Parlement européen strasbourgeois :
« On va aussi travailler avec l’office du tourisme, les guides de Strasbourg et ceux qui viennent du côté allemand, qui ne sont pas toujours outillés pour les questions techniques des visiteurs. On réfléchit à intégrer un module Europe dans la formation des guides conférenciers. »
Une belle marge de progression donc, face à une popularité touristique limitée. Sur Tripadvisor, les avis sont plutôt positifs, mais ils ne sont pas légion. On en trouve… 10. Toutes proportions gardées, le Parlamentarium belge en compte près de 3 000 et la Maison de l’Histoire européenne une petite centaine. Un constat qui reflète bien le fossé entre le côté accessible mis en avant par le Lieu et sa difficulté à attirer au-delà des européens convaincus.
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