Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Un mois après la Libération, Noël dans une ambiance de siège à Strasbourg

Le 23 novembre 1944, les troupes du général Leclerc libèrent Strasbourg. Pour les Français, l’événement symbolise la fin de la guerre sur le territoire national, pourtant les combats se poursuivent en Alsace pendant la période des fêtes.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

Des soldats américains dans les ruines de l’usine Mathis le 27 décembre 1944.

« Strasbourg vit dans une ambiance de siège… Pour faire le nécessaire, il faudrait que les lendemains soient assurés. Il est clair qu’ils ne le sont pas. » Ces mots sont prononcés par le général de Gaulle, alors qu’il se trouve dans la capitale alsacienne au soir du 24 décembre 1944. Le chef du gouvernement provisoire parle autant de la situation militaire – les troupes françaises sont à bout de force – que du moral de la population civile qui manque de tout. « L’armée est solide, mais lasse. L’Alsace est fidèle, mais inquiète. »

Fin novembre, l’opinion publique française accueillait avec joie l’annonce de la libération de Strasbourg. Le drapeau tricolore au sommet de la cathédrale marque pour beaucoup la fin de la guerre sur le territoire national. Pourtant les combat se poursuivent encore au nord de l’Alsace et autour de Colmar. Strasbourg est toujours sur la ligne de front et le restera jusqu’en avril 1945 ; l’hiver est particulièrement rude, l’Alsace manque de ravitaillement et l’armée allemande menace de revenir. Pour les Strasbourgeois, Noël 1944 se passe au cœur de la guerre.

Une carte de Noël signée de Charles Frey, maire de Strasbourg, en 1944.Photo : Musée de la Libération de Paris – musée du général Leclerc – musée Jean Moulin

Les combats continuent

En décembre 1944, les combats s’éloignent de Strasbourg. Au nord, l’armée américaine progresse et repousse la Wehrmacht sur la frontière. Dans le centre de l’Alsace, les Allemands résistent autour de Colmar, et Mulhouse est toujours coupée en deux par la ligne de front. À Strasbourg aussi, la guerre persiste. Repliée de l’autre côté du Rhin, l’artillerie allemande bombarde la capitale alsacienne depuis Offenbourg et Oberkirch. Ces tirs sèment la panique et entrainent de nouvelles destructions dans une ville déjà marquée par les bombardements américains de l’été. En tout, 600 immeubles sont totalement détruits et 2 700 endommagés ; une partie de la population est donc réfugiée dans sa propre ville et les loyers flambent.

La période de Noël est aussi propice aux rumeurs. Alors que l’armée allemande contre-attaque dans les Ardennes belges, des bruits circulent quant à son retour en Alsace. Après tout, dans un tract retrouvé en novembre à l’hôtel de la préfecture, les Nazis promettaient aux Alsaciens : « Nous reviendrons ! » L’angoisse de la population est telle, que les autorités font publier à la veille de Noël un communiqué enjoignant à dénoncer les « bobardiers » qui « jettent le trouble dans les esprits ».

Les craintes des Alsaciens étaient pourtant loin d’être infondées. Dans la nuit de la Saint-Sylvestre, les Allemands attaquent en Alsace du nord et menacent de reprendre Strasbourg, les Américains préférant se replier et abandonner la ville à l’ennemi. Il faudra toute l’insistance du général De Gaulle pour les convaincre de défendre l’Alsace.

Message du général de Lattre de Tassigny faisant la promesse aux Strasbourgeois de défendre la ville face à la contre-attaque allemande le 6 janvier 1945.Photo : Archives de Strasbourg

Pénurie et marché noir

Après la Libération, le commandement américain avait promis « le rétablissement de la vie normale. » Pourtant, fin décembre, le quotidien des Strasbourgeois n’a rien d’ordinaire. Le couvre-feu à partir de 19h et l’absence d’éclairage public plongent la ville dans une ambiance lugubre. L’alimentation électrique n’est assurée que quelques heures par jour depuis le bombardement de la centrale du Port du Rhin début décembre. Le gaz de ville est totalement coupé, le bois de chauffage et le charbon manquent aux habitants alors que l’hiver est particulièrement dur. L’économie tourne au ralenti et une partie de la population est au chômage forcé.

Appel du commissaire général de la république aux agriculteurs alsaciens, pour nourrir les villes, 11 décembre 1944.Photo : Archives de Strasbourg

Pour Noël, les Strasbourgeois peuvent toujours compter sur le stock de nourriture abandonné par les Allemands lors de leur fuite, mais il s’épuise. Du fait de la proximité du front et des restrictions de déplacement, les marchandises peinent à arriver jusqu’à la ville. En janvier, le système de rationnement français remplace celui des Allemands maintenu provisoirement en place, mais la désorganisation de l’administration installe la pénurie dans la durée. Conséquence logique, le marché noir se développe et les prix explosent. Le kilo de café s’échange à 1 600 Francs (F) sur le marché parallèle alors que son prix officiel n’est que de 89 F.

Les prix de ventes officiels des denrées alimentaires en mars 1945.Photo : Archives de Strasbourg

Vide politique et épuration

Bien que libérée par les troupes du général Leclerc, Strasbourg se trouve en décembre sous administration militaire américaine. Les déplacements hors de la commune nécessitent un laissez-passer et la population vit sous couvre-feu entre 19h et 6h. L’armée réquisitionne sans discernement les bâtiments administratifs et les usines, ajoutant au chaos de la situation. Surtout, les Américains sont peu au fait de la situation particulière des Alsaciens, certains soldats s’imaginant être en Allemagne. La situation est si critique que des affiches sont placardées sur les murs pour rappeler aux GI’s que même si les habitants parlent une langue germanique, ils sont Français.

Appel à dénoncer les saboteurs, 15 décembre 1944.Photo : Archives de Strasbourg

En décembre, l’Alsace traverse aussi un véritable vide politique. Les autorités françaises peinent à réinstaller une administration absente depuis quatre ans. Si Charles Frey, le maire de Strasbourg en 1940, arrive le 27 novembre, son conseil municipal ne sera officiellement installé qu’en avril. Dans le flou qui succède à la libération, ce sont les Forces françaises de l’intérieur d’Alsace (FFIA) qui tiennent lieu d’administration jusqu’à ce que la situation politique se clarifie à partir de 1945. Dès la fin novembre, les FFIA s’attaquent à la question de l’épuration, les collaborateurs sont internés sur simple présomption et sans base légale. Fin décembre, le commissaire de la république met en place une commission pour juger du bien-fondé de ces arrestations et limiter les abus. Dans le Bas-Rhin, 5 000 à 6 000 personnes ont été internées et 18 purement et simplement exécutées.

Un lent retour à la normale

Si la Libération est accueillie avec joie par les Strasbourgeois, pour de nombreuses familles, se retrouver de ce côté de la ligne de front a aussi signifié une perte de contact avec leurs proches enrôlés de force dans les armées allemandes. Pour ces derniers, ce furent des mois d’angoisses jusqu’en juin, quand les « Malgré-Nous » et « Malgré-Elles » commencèrent à rentrer. Sur les 130 000 Alsaciens et Mosellans enrôlés, 40 000 ne reviendront pas.

Le défilé de la Première armée française dans Strasbourg le 16 avril 1945 suite à la conquête de la rive orientale du Rhin.Photo : Archives de Strasbourg

Il faut attendre la mi-mars 1945 pour que l’Alsace soit totalement libérée et la fin avril pour que cessent les tirs d’artillerie venus du Bade. Quand l’Allemagne capitule, le 8 mai 1945, l’Alsace sort donc à peine de la guerre. Les difficultés de ravitaillement sont toujours présentes, le lait manquera à Strasbourg jusqu’en 1946. Le retour des réfugiés et des déportés aggrave la crise du logement déjà présente à Strasbourg, certains trouvant leur logement occupé par d’autres familles ou détruit. Dans la capitale alsacienne, ce sont pas moins de 15 000 personnes qui perçoivent une allocation, car elles sont sinistrées ou réfugiées. Il faudra attendre 1949, pour que la vie strasbourgeoise reprenne un cours normal.


#histoire

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

Autres mots-clés :

Partager
Plus d'options
Quitter la version mobile