Situé à l’extrême sud de Strasbourg, chemin de l’Oberfortsweg, près du Pont Pfimlin, on accède à l’espace Hoche par l’autoroute ou par le Port du Rhin en remontant l’interminable rue de la Rochelle. Au fil du trajet, les voitures disparaissent pour laisser place aux poids-lourds. Tous les 30 mètres, une prostituée est postée en bordure de la route.
Une fois sur place, un petit panneau de la Communauté urbaine de Strasbourg (CUS) annonce « Espace Hoche ». Avant d’arriver au camp, il faut encore parcourir un chemin d’un kilomètre. Première étape, la guérite du gardien de l’espace militaire, puis accès au deuxième espace où se trouvent le parking et les deux algécos de l’équipe de la Croix Rouge qui gère le site. Enfin, une dernière grille délimite « l’espace de vie » des familles.
Trente-trois caravanes y sont stationnées, où vivent 120 personnes dont une cinquantaine d’enfants. Les résidents de l’espace sont à 90% des roms de Roumanie.
Un homme déménage ses affaires dans une caravane livrée la veille pour l’accueillir avec sa femme et ses deux enfants. Sous le hangar, près des blocs sanitaires, quelques enfants jouent pendant que quelques femmes font la vaisselle ou préparent le repas. Les caravanes sont alignées, le terrain très propre, l’espace organisé.
Entre les caravanes, certaines familles ont dressé des auvents, des tables avec des chaises ou fauteuils pour se créer un petit coin de confort. Pour Ramona, en France depuis dix ans :
« La vie sur le terrain Hoche est moins difficile que sur les bidonvilles : on a moins froid, le personnel de la Croix Rouge est gentil. J’ai des cours de français deux fois par semaine à Lupovino mais à part ça je ne me déplace pas souvent en ville. On est mieux ici même si je ne me mêle pas trop aux autres. Si on trouvait du travail, j’aimerais être femme de ménage et mon mari travailler dans les espaces verts. Je suis malheureuse car j’ai encore trois enfants en Roumanie et je ne peux pas les faire venir en France. »
350 000 euros par an
Les familles ont été relogées dans l’espace Hoche après l’évacuation du bidonville Saint-Gall à Koenigshoffen où les conditions de vie étaient déplorables et où une baraque se moyennait 400 euros. Elles sont encadrées par une équipe de quatre travailleurs sociaux et des bénévoles de la Croix-Rouge.
La Ville a financé les 33 caravanes à hauteur de 2 000 à 3 500 euros par caravane. Elle prend en charge l’entretien des blocs sanitaires (30 000 euros par an), le salaire des travailleurs sociaux (180 000 euros par an) et le coût des deux navettes mises en place pour le transport des adultes et des enfants (90 000 euros par an). Selon Jean-Claude Bournez, à la tête de la mission Roms de la Ville, les frais de fonctionnement du site s’élève à environ 350 000 euros par an.
Un terrain requisitionné
La Ville a conçu l’Espace Hoche en mettant en place une MOUS (Maîtrise d’œuvre urbaine et sociale), au sein d’un terrain militaire pour lequel le préfet du Bas-Rhin a réquisitionné l’espace nécessaire (5 000 m²). Le terrain dit « Espace Hoche » est donc mis temporairement à disposition de la Ville de Strasbourg par l’État. La Croix Rouge gère le site via une délégation de service public.
Ce projet a été soutenu par l’Etat, notamment au travers de financements de la Dihal (délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement) dont le montant global octroyé se décompose comme suit :
- 40 000 € en 2013 pour la réalisation des diagnostics sociaux
- 130 000 € en 2013 pour la mise en oeuvre d’une MOUS portée par la Ville, contribuant au fonctionnement des espaces d’insertion
- 130 000 € en 2014 en vue de poursuivre la MOUS et développer l’accès au logement.
Jean-Jacques Muller se souvient de l’installation :
« On a découvert le site en même temps que les familles : la Ville nous a prévenu début décembre de l’ouverture de l’espace pour mi-décembre : j’ai recruté le personnel la veille de notre arrivée ! »
Selon Dominique Steinberger, président de l’association Latcho Rom :
« L’installation s’est faite dans la précipitation en raison de l’approche des élections municipales, les barbelés qui entouraient le camp n’avaient même pas été enlevés. »
Pas d’alimentation prévue pour les familles
Jean-Jacques Muller, bénévole à la Croix-Rouge, explique comment l’équipe s’est adaptée :
« Il n’y a aucun commerce aux alentours et rien n’était prévu pour nourrir les familles ! Nous l’avons découvert en arrivant ! Heureusement, l’hiver a été clément ce qui a permis d’éviter les problèmes de gel ou de chauffage. »
Aujourd’hui, selon les travailleurs sociaux, l’organisation est en place et la nourriture suffisante : la Croix-Rouge livre des colis alimentaires deux fois par semaine et la Banque alimentaire une fois par semaine pour un coût estimé entre 5 000 à 7 000 euros par an.
Comme à l’Espace 16, une participation financière symbolique d’un euro par semaine pour deux personnes est demandée aux familles qui ont des revenus. Dans ce cas, les familles contribuent pour leur logement en caravane à hauteur de 30 euros par mois.
L’équipe a dû bricoler pour organiser la vie du site. Jean-Jacques Muller décrit :
« Ce n’est pas parce qu’ils sont roms que tout se passe bien entre eux, il y a des violences par moment en raison de la promiscuité. Ces personnes viennent de régions différentes et sont porteurs de conflits qui se traînent depuis des générations. Ainsi, nous avons six lave-linge soit un pour vingt personnes. Sauf que certaines familles n’acceptaient pas de laver leur linge dans la même machine que d’autres. On les a laissées se réorganiser et depuis ça fonctionne ! »
Pour Jean-Jacques Muller, l’équipe doit montrer qu’elle ne fait pas de différences de traitement. Par exemple, une caravane plus grande attise vite la jalousie. Pour que chacun puisse s’exprimer, une rencontre est organisée tous les quinze jours avec les quatre délégués roms et le conseil de vie sociale se tient une fois par mois.
Éducation et santé en voie de normalisation
Lors de l’arrivée sur le site, la priorité de l’équipe a été la santé et la scolarisation. Médecins du monde (MDM), qui accompagnait les familles à Saint-Gall, a poursuivi son action à Hoche via la clinique mobile qui venait deux fois par mois jusqu’en avril 2014. Yonathan Schimmels, coordinateur régional de MDM explique :
« La Croix-Rouge a accompagné ces personnes dans l’obtention de l’aide médicale d’État (AME). Une grande majorité des personnes l’ayant obtenu, elles ont rejoint le droit commun, il n’y a donc plus de nécessité de nous rendre à Hoche. Nous menons des actions ponctuelles : récemment nous avons pratiqué un dépistage ophtalmologique chez les enfants. »
Pour assurer la scolarisation des enfants, une navette quotidienne a été mise en place qui emmène les enfants le matin et les ramène après 17h. Fatima, une travailleuse sociale rom les accompagne et assure le suivi avec les établissements. Si selon la Ville tous les enfants du site sont scolarisés, Jean-Jacques Muller explique les difficultés rencontrées :
« Il y a le discours et la réalité : depuis le début les services de la Ville sont focalisés sur la scolarisation en maternelle et en primaire, pour tout le reste, ils ne s’y sont jamais vraiment intéressé. Au mois de décembre l’année dernière, on s’est aperçu que les jeunes en âge d’aller au collège n’avaient pas été scolarisés de l’année. Soit disant ils étaient inscrits mais ne pouvaient être scolarisés par manque de places. En février: nous nous sommes rendu compte qu’ils n’étaient inscrits nulle part ! »
Pour les adultes, le premier pas vers l’insertion est l’apprentissage du français. La Croix-Rouge a mis en place des cours de français langue étrangère.
L’Espace 16, grand frère de l’Espace Hoche
Premier espace temporaire d’insertion ouvert par Strasbourg en novembre 2011, l’Espace 16, derrière la gare, est selon Amina Bouchra, directrice adjointe d’Horizon-Amitié, « un laboratoire d’insertion pour les populations roms. »
Depuis son ouverture, quatorze familles ont quitté l’Espace 16. Aujourd’hui, 132 personnes dont 50 enfants y vivent.Quatorze personnes ont trouvé du travail ce qui leur ouvre la voie au logement : douze dossiers de demande de logement sont actuellement à l’étude. »
Après l’apprentissage du français, vient l’insertion dans le marché du travail condition essentielle pour pouvoir accéder au logement. Celle-ci est facilitée par la fin au 1er janvier 2014 des mesures transitoires qui rendaient impossible l’accès au travail pour les ressortissants roumains. Un homme vient de quitter l’espace Hoche après avoir été embauché chez Humanis . Il a trouvé un appartement dans le secteur privé par ses propres moyens. Une jeune femme a été embauchée en service civique chez Lupovino. Trois hommes exercent leur métier de ferrailleur : une benne pour entreposer les métaux se trouve sur le parking.
Un encadrement qui questionne
Pour l’équipe, l’éloignement constitue un frein à l’insertion. Aurélie observe :
« La navette part le matin à 7h45, s’ils ratent le bus c’est foutu ! C’est un frein même si les personnes qui possèdent une voiture sont solidaires des autres. »
Une partie des personnes, malades ou âgées, ne pourra jamais travailler.
L’encadrement sur l’espace Hoche fait l’objet de critiques. A partir de 21h, les visiteurs doivent sortir pour la fermeture des grilles. Jean- Claude Bournez explique :
« Les familles ont décidé collectivement de l’horaire de fermeture. Il peut y avoir des exceptions si elles le décident d’un commun accord. Ce sont les contraintes de la vie en collectivité. »
L’entrée est filtrée, le gardien relève identités et plaques minéralogiques pour des raisons de sécurité mais aussi de protection de « l’intimité des personnes » selon la Croix-Rouge et Jean-Claude Bournez.
De son côté, Dominique Steinberger réfute ces explications :
« Ce qui est choquant dans cet espace qui se veut un espace d’intégration et de respect des droits de l’Homme, c’est le gardien qui est à l’entrée. Il faut montrer patte blanche pour rentrer. Il faut appeler cet endroit un camp et non un espace, il y a des grillages. Les familles n’ont pas le contrôle des visites. Au mois de mars, j’ai tenté de rendre visite aux familles, je me suis fait jeter dehors sous la menace de trois employés de la société de surveillance présente sur le site. J’ai écrit au maire, dans la semaine j’avais les autorisations. Ce qui veut dire qu’une liste noire existait. »
Des pressions diffuses sur toutes les familles roms installées
Pour les membres de Latcho Rom, la pression psychologique sur les familles par la menace de l’expulsion est constante. Ainsi, les familles ne peuvent s’absenter du camp plus d’un mois sur l’année sous peine d’être exclues du dispositif.
Dominique Steinberger relate une discussion avec une résidente :
« Elle m’a dit qu’elle regrettait l’époque de Saint-Gall car ils étaient libres. Maintenant ils n’ont plus le choix s’ils veulent rester à Strasbourg. Est-ce que créer des camps comme celui-là c’est apporter une réponse juste aux familles ? Proposer une caravane comme habitat à des gens qui étaient en grande majorité sédentaires ? On répond : ce sont des roms, ils ont l’habitude, qu’est ce que ça veut dire ces préjugés ? »
Les espaces temporaires d’insertion permettront-ils d’insérer les 450 roms identifiés à Strasbourg. Mais en dehors de l’espace 16 et de l’espace Hoche, il existe encore sept bidonvilles à Strasbourg.
Yonathan Shimmels, coordinateur régional de MDM à Strasbourg, exprime des doutes sur la faisabilité de la politique de la Ville qui compte fermer tous les bidonvilles d’ici deux ans et demi :
« Les espaces conventionnés comme l’espace 16 et l’espace Hoche ont une capacité d’accueil limitée, 150 personnes vivent encore dans des bidonvilles. Et depuis quelques mois, on a eu le cas de familles qui n’ont pu s’installer dans ces bidonvilles car les familles déjà présentes leur ont dit que s’ils les accueillaient, cela ruinerait leur parcours d’insertion avec la Ville. Par un moyen subtil, on a réussi à installer un système qui dissuade les gens de s’installer. »
Espace temporaire prévu jusqu’en juin 2014, le site a été prolongé jusqu’en juin 2015. La Ville tenterait de trouver un terrain moins excentré, ce qui n’est pas aisé entre la pression des riverains et la rareté du foncier. Mais l’installation des Roms à Hoche a l’air partie pour durer : la Ville a lancé un appel d’offre pour le transport des adultes et des enfants paru le 28 octobre dont la période s’étend jusqu’à juillet 2017. Jean-Claude Bournez répond :
« C’est pour éviter d’avoir à refaire un appel d’offre, procédure laborieuse, en cas de prolongation du site mais le contrat peut être résilier dans le mois en cas de fermeture. »
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : Les Roms de Saint-Gall relégués à l’extrême sud de Strasbourg
Sur Rue89 Strasbourg : Rencontre avec les Roms de Saint-Gall : « Ici, nous avons trouvé la liberté »
Sur La Feuille de Chou : « Espace Hoche », un camp pour Roms, grillagé et surveillé, à Strasbourg
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