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Maires de petites communes, comment ils joignent les deux bouts

Comment rendre la vie à la campagne attractive avec moins d’argent, mais que les habitants sont toujours plus exigeants ? C’est l’exercice d’équilibriste auxquels se prêtent les maires des petites villes et villages depuis plusieurs années. Revue d’idées.

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Garder l’école dans son village, »ça rythme les journées » entonnent les habitants comme les élus. Un enjeu vital donc, mais quand la population baisse, il n’y a pas toujours assez d’élèves. En dehors du salaire des enseignants, tous les frais sont à la charge des communes. Solution : partager entre plusieurs villages.

Exemple dans les cols vosgiens, les petites et moyennes section de maternelle ainsi que les cours moyens à Saint-Blaise la Roche, la grande section et le CP à Ranrupt et le CE1 et le CE2 à Colroy-la-Roche. Même organisation à quelques kilomètres, à Saulxures, ce qui permet d’avoir 100 élèves dans le village, soit un quart de la population. Un peu d’économies de gestion pour tous et pas d’école fermée.

Moins d’argent depuis 2013

Ainsi va la vie dans les petites villes et villages d’Alsace, parfois à l’écart des secteurs à l’économie dynamique. Depuis 2013, elles doivent composer avec moins d’argent de l’État, ce qu’on appelle la dotation globale de fonctionnement (DGF). Chaque année, ce sont quelques milliers ou dizaines de milliers d’euros de moins sur environ un million d’euros de budget.

Une salle des fêtes dans une mairie, parfois seul lieu de vie d’une commune rurale (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Une mairie est censée assurer, entre autres, les permis de construire, les crèches, les écoles primaires, les foyers de personnes âgées, la culture (bibliothèques, musées, écoles de musique, salles de spectacle), l’entretien des rues ou les élections avec souvent un secrétaire de mairie, parfois à mi-temps, comme seul personnel administratif. L’inflation ou la réévaluation du traitement des agents provoquent des augmentations mécaniques des dépenses, et de nouvelles responsabilités ont parfois été fixées par loi, comme l’aménagement des activités périscolaires (souvent appelés « rythmes scolaires »).

« Principale préoccupation » des maires

À écouter Claude Kern (UDI), sénateur-maire de Gries et président de l’association des maires du Bas-Rhin, boucler le budget de sa commune est devenu la principale préoccupation des élus locaux. Bien sûr, il y a aussi un peu de récupération politique en grossissant le trait pour les maires les plus politisés. Dénoncer ces difficultés est une bonne occasion de taper sur le gouvernement quand la droite espère reprendre les commandes en 2017. On se rappelle de la manifestation des maires en septembre 2015, qui étaient accompagnés des députés, sénateurs et conseillers départementaux (certains cumulant la double-casquette) de droite. La même droite pourtant assez prompt à demander au gouvernement de réaliser plus d’économies.

Si un budget n’est pas équilibré, le préfet peut mettre sous tutelle une administration et n’assure que les affaires courantes. Une situation rarissime que va connaître Saint-Lys (8 000 habitants environ) en Haute-Garonne.

Les élus à contribution

Dans ce contexte, les travaux deviennent vite la variable d’ajustement explique le sénateur-maire de Gries, Claude Kern (UDI), président de l’association des maires du Bas-Rhin :

« Nous avons privilégié la mise aux normes de l’école et reporté à l’année suivante la mise en accessibilité pour handicapés de la mairie. »

Et pour économiser sur les frais, ce sont les élus qui se sont retroussés les manches un samedi :

« Nous avons fait détruire les toilettes par les élus, plutôt que de passer par une entreprise. »

Bricoler, c’est l’un des moyens trouvé pour économiser par Hubert Herry, maire sans étiquette de Saulxures, en s’appuyant sur la solidarité des habitants :

« J’ai la chance d’être à la retraite et de pouvoir bricoler. Ici, quand il faut changer une une vanne d’eau, on regarde si un habitant en a une. La dernière fois, cela est revenu à 750€, là où une entreprise demandait 5 000 euros. En ville, on commande un bureau d’étude, ici on bricole. »

Autres sources de nouveaux revenus, l’attribution des permis de chasse, réévalués tous les 9 ans, qui sont passés de 16 000 euros à 32 000 euros, « ça compense la baisse de la DGF », ou en négociant les contrats d’assurances avec 26 autres communes, une économie de « 4 000 euros par an à Saulxures. »

Les journées citoyennes

Dans un autre ordre d’idée, la commune de Griesheim-sur-Souffel a mis en place depuis 2012 des « journées citoyennes », un concept venu de Berrwiller (Haut-Rhin). Un samedi en mai, les habitants s’occupent de l’entretien de la commune : repeindre des lampadaires, des passages piétons, construire un nouvel arrêt de bus, réparer un muret, selon les capacités et compétences de chacun.  Pour le maire René Wunenburger et son adjointe Chantal Jacob (sans étiquette) la démarche est avant tout politique :

« C’est se réapproprier le bien commun et l’espace public. Les journée citoyennes ne sont ni de gauche ou de droite, mais font tomber les barrières sociologiques. Juste dire qu’on paie ses impôts, c’est se dédouaner. »

Le maire René Wunenburger et son adjointe Chantal Jacob. Cette année, les habitants ont aussi construit une cabane anti-GCO (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Pour la cinquième édition, 120 personnes, soit plus de 10% de la population sont venues à cet événement aussi festif. Si l’objectif n’était pas économique à l’origine, le maire reconnait que cela permet des travaux de « quelques milliers d’euros » que la commune ne payerait pas aujourd’hui.

Une vingtaine de communes bas-rhinoise ont emboîté le pas à Griesheim-sur-Souffel (contre 200 dans le Haut-Rhin dont Mulhouse). Le maire espère pouvoir présenter la démarche lors du prochain congrès des maires du Bas-Rhin en septembre et faire des émules. Grand motif de satisfaction de René Wunenburger : « L’arrêt de bus n’a plus jamais été tagué depuis qu’on l’a refait! »

Un arrêt de bus remis en état par les habitants de Griesheim sur Souffel lors d’une journée citoyenne (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Jean Vogel dénonce les inégalités des communes

À Saâles (852 habitants), au sommet des cols vosgiens, le maire Jean Vogel a fait de la dénonciation des difficultés des petites communes un combat politique comme en prenant la parole au congrès des maires en juin. (« Mais le président de l’association des maires François Baroin (LR) s’en fiche. Il n’est venu que pour les caméras », tacle-t-il).

Ce sympathisant écologiste élu depuis 21 ans regorge d’exemples chiffrés :

« Une commune similaire du massif central (927 habitants) perçoit 223 000 euros contre 130 000 euros pour nous, sans que personne ne puisse l’expliquer. Plus bas dans la vallée, Wisches (2 500 habitants) reçoit 600 000 euros de compensation de la taxe professionnelle, supprimée en 2012, contre 27 000 pour Saâles où peu de sociétés ont élu domicile. Un de mes administrés peut comparer avec son fils qui vit en région parisienne : il paie deux fois moins d’impôts locaux, son bien vaut deux fois plus cher et il dispose de dix fois plus de services… »

Jean Vogel, maire de Saâles, engagé contre les inégalités entre communes rurales (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Pour lui, les investissements actuels servent la sécurité (la route principale est traversée par 800 à 900 camions par jour) et maintenir les commerces ou services en place. Ils devraient au contraire servir à en attirer des nouveaux, pour ne pas trop souffrir de la comparaison avec les villes.

Une maison de services a pourtant été inaugurée en 2011. Mais un médecin généraliste arrivé il y a quelques mois le reconnaît lui-même, il est surtout venu pour travailler près de chez lui lors de ses dernières années et par solidarité. Il effectue encore 50 à 60 heures de présence par semaine pour « 5 000 à 6 000 euros par mois ». La difficulté sera d’attirer un jeune médecin qui restera longtemps.

Des habitants de Saâles refusent l’abandon par l’Etat de leur commune (Photo remise)

De l’argent sur appel à projets

Dans les environs, tout le monde n’aime pas le ton virulent de Jean Vogel et ses panneaux « territoire abandonné ». Certes, ses détracteurs lui reconnaissent qu’il « pose une vraie question », sur le rééquilibrage entre les communes riches et pauvres. Mais pour Thierry Sieffer (PS), maire de Ranrupt, il est normal que les communes participent aux efforts :

« Il y a moins d’argent de manière automatique, mais de nombreux mécanismes pour en obtenir. Il faut désormais avoir des idées pour disposer de budgets, plutôt que de se retrouver à monter des projets car on ne sait plus comment utiliser l’argent disponible. »

À Ranrupt, les montants des travaux sont minimalistes : une place de la mairie à 60 000 euros, une aire de jeux sous forme de « mini-forêt » à 50 000 euros. Trois adjoints se partagent l’indemnité prévue pour deux.

Thierry Sieffer, maire PS de Ranrupt depuis 2014 jamais à court d’idées pour sa commune (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

La coupe du bois

Ce bûcheron de 45 ans élu pour la première fois en 2014 pense que dans les cols vosgiens, les marges de manœuvre sont à chercher dans la coupe de bois, parfois gérée par les communes. Pour cela, il faut une stratégie commune, mêlant propriétaires privés et secteur public. À ce sujet, il explique qu’un article de Rue89 Strasbourg sur les forêts privées « défigurées » a agi comme « un électrochoc » :

« Tout le monde a suivi une initiation à la méthode de coupe écologique Pro Silva. Sur un secteur, on avait 44 propriétaires pour 8 hectares. Si chacun fait ce qu’il veut, ce n’est pas dans l’intérêt général. On a beaucoup à apprendre de ce qui se fait en Lorraine. »

En 2014, cela a rapporté 120 000 euros. Problème, ce revenu est aléatoire avec la météo (2016 s’annonce une mauvaise année car pluvieuse), l’évolution des prix et il y a des années où il faut moins couper pour permettre la repousse. D’autres années, il faudra compter sur 40 ou 50 000 euros de recettes. Thierry Sieffer regrette que les communes n’aillent pas plus loin dans la mutualisation du personnel.

Un Pacte pour la ruralité à la région

Conscient de ces difficultés, le président de la Région Grand Est Philippe Richert (LR) a fait voter dès son élection un « pacte de la ruralité », doté de 23 millions d’euros en soutien aux petites communes. L’élu alsacien, issu de la campagne, a parlé de ce malaise dès son discours d’investiture :

« Nous savons la grande souffrance de nos territoires ruraux, nous connaissons le sentiment d’abandon et de déréliction. Nous savons ce que cela veut dire lorsque les services ferment les uns après les autres, les commerces, les médecins, les entreprises… ».

Ces propos ciblaient davantage la Lorraine et la Champagne Ardenne, où le FN a enregistré ses meilleurs scores lors des régionales 2015. Après les deux premiers volets d’attribution, 60 communes dans le Bas-Rhin et 41 dans le Haut-Rhin ont vu leur dossier accepté (464 communes au total pour 5,4 millions d’euros). Ce programme est parfois accueilli avec un scepticisme. L’aide de la Région est de 20% du montant d’un investissement, dans la limite de 20 000 euros et ne peut être croisée avec d’autres financements.

« Quel village modeste a 100 000 euros dans les cartons et va le réaliser grâce à 20 000 euros ? », s’étonne Thierry Sieffer, dont la commune a bénéficié de 13 735 € sur les 68 676 € programmés pour l’aire de jeu et la réfection de routes. Le groupe de gauche a dénoncé des subventions “de confort” pour certaines communes, en prenant les exemples de Saint-Ail (54), Diefmatten (68) ou Haussimont (51) dont les moyens sont 3 à 5 fois supérieurs à la moyenne des communes similaires. Avis assez similaire côté FN qui parle de « plan comm’ » et aimerait davantage pour les « territoires oubliés », mais qui a néanmoins voté la deuxième partie.

Transfert aux intercommunalités

Avec la réforme territoriales (Loi NOTRe), moins de charges sont censées peser sur les villes et villages puisqu’une partie de leurs compétences, comme la gestion de l’eau et des déchets, doit être transférée aux intercommunalités, c’est-à-dire des regroupements de villes (15 000 habitants minimum).

Des transferts généralement bien accueillis, mais cela ne va pas toujours créer des économies constate Hubert Herry :

« A Saulxures, on gérait l’eau en direct. En passant par une grosse structure qui génère plus de frais pour toute la communauté de communes, le prix pourrait passer de 1,30€ à 2,60€ le mètre-cube… »

Mairie de Menchhoffen, photo de Une (par Romain Decker / Flickr /cc)

Les fusions à reculons

Autre solution, les fusions de communes, pour grouper quelques moyens et parce que le gouvernement donne une rallonge budgétaire de 5%. Dans le Bas-Rhin, quatre communes sont nées d’une fusion : Truchtersheim, Sommerau, Val de Moder et Wingersheim Les Quatre Bans. Dans le Haut-Rhin, on en compte neuf. Après les élections de 2020, ces regroupements diminueront le nombre d’élus.

Malgré cette carotte financière, les fusions rencontrent encore des réticences, selon Jean Vogel :

« Deux communes pauvres n’ont jamais fait une commune riche. Ça peut faire sens pour des villages qui se touchent, mais moins quand il y a plusieurs kilomètres d’écart. »

Justement, la loi impose de se toucher pour fusionner, autre argument en défaveur des communes isolées géographiquement. Et puis tout le monde garde en tête l’exemple de Kaysersberg-Vignoble (Haut-Rhin). Quelques semaines après la fusion, les maires des trois communes sont entrés en conflit ouvert, ce qui a eu pour conséquence la démission collective des conseillers municipaux. Aucun des maires de 2014 n’a été réélu en 2016, ce qui peut calmer les bonnes volontés.

La fusion tendue de Kaysersberg peut calmer les volontés d’imitation (photo Auriane Poillet / Rue89 Strasbourg)

Autre argument plus symbolique ou psychologique, changer le nom de la commune est parfois vécu comme un aveu de faiblesse ou de déclassement. « Les gens sont accrochés à leur environnement », soupire un maire. Alors même dans le cas de fusion, on laisse parfois l’ancien panneau à l’entrée. Il faut comprendre que dans certains villages, les habitants distinguent parfois ceux « du lotissement » (habitations plus récentes) et ceux « du village » (historique).

Plus sélectif, le Département toujours appelé en pompier

Dans ce contexte, le Département est souvent appelé à la rescousse pour financer des projets. Mais lui aussi est contraint par les baisses de dotations, ce qui a eu « des répercussions sur notre action par rapport au programme » (la baisse des dotations est pourtant connue depuis 2014, un an avant les élections départementales) dixit Etienne Wolff vice-président (LR) du conseil départemental et maire de Brumath. Il explique que la sélection est plus exigeante :

« Avant, tous les maires avaient l’habitude d’envoyer leur budget au Département et c’était systématiquement accepté. Désormais, il faut que le projet ait un impact sur le territoire et pas juste pour la commune. On accompagne aussi la réflexion des des maires pour savoir si leur travaux sont pertinents. »

Il appuie le fait que le Département prévoit encore 130 millions par an d’aides directes aux communes pour les investissements, là où l’État et la grande Région répartissent respectivement 77 et 23 millions dans les 10 départements du Grand Est. Le Département a aussi débloqué 1 million d’euros pour soutenir les communes touchées par les coulées de boues de juin.

Petit ouf de soulagement au moment de préparer les budgets 2017, la baisse prévue sera finalement divisée par deux. Après, les maires espèrent bien que cette dotation sera fixe. Pas sûr…


#baisse des dotations

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