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Les ambitions déçues du financement participatif alsacien

Être alsacien ne paie pas. En tout cas moins qu’espéré. Quatre mois après son lancement, Alsace Crowdfunding, plate-forme régionale de financement participatif a fait un bide. En apparence, les projets proposés au financement des internautes ont atteint leurs objectifs de dons. Mais parce que les seuils ont été abaissés. Les projets n’ont récolté que 3 500 euros en moyenne, ils en demandaient 10 à 15 000.

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Contrairement aux apparences, les objectifs des entrepreneurs n’ont pas été atteints. (Capture d’écran/crowdfunding-alsaceinnovation.com)

Lancée en grandes pompes  fin septembre, la plate-forme alsacienne de financement participatif, Alsace-Crowdfunding, n’a pas atteint les objectifs qu’elle s’était fixés. Quatre mois après, aucun des trois projets proposés au public n’a atteint les sommes demandées. Porteur de projet pionnier sur la plate-forme, le designer Lucas Stoppele raconte comment il s’est retrouvé à demander finalement trois fois moins que prévu :

« Quand Alsace Innovation est venue me proposer de participer, nous avions parié sur un apport de 15 000 euros pour monter ma maison d’édition dans de bonnes conditions. Mais après quelques semaines, au vu de la faiblesse des dons, Alsace Innovation m’a incité à revoir mes ambitions à la baisse et à diminuer les seuils. »

Une démarche étonnante, qui va à l’encontre de la règle de base du financement participatif (en anglais, crowdfunding), dont le principe repose justement sur un financement accordé seulement lorsqu’une somme annoncée au départ est atteinte par l’ensemble des donateurs. Faute de quoi, ces derniers ne sont pas débités. Mais qu’importe pour Alsace Crowdfunding, qui a décidé unilatéralement de baisser les objectifs initiaux des projets pour les situer juste en dessous des dons réels !

Le créateur du Comptoir du design regrette cette décision :

« Après cette baisse des seuils, mon projet de maison d’édition est en fait apparu financé à plus de 100%. Les internautes n’ont donc plus vraiment été incités à contribuer. Or j’ai toujours besoin de près de 15 000 euros pour mon projet.

Même son de cloche du côté des concepteurs du jeu vidéo, Les Bâtisseurs d’Alsace, qui avec 2 575 euros de dons sont bien loin des 10 000 attendus :

« Le principal risque de ce changement des règles en cours de campagne est que les premiers donateurs se sentent floués. Ils pourraient penser que nos ambitions et notre projet ne sont plus tout à fait les mêmes. C’est pourquoi nous nous engageons à recontacter chacun de nos 29 contributeurs afin de s’assurer de leur confiance. »

Touche pas à ma commission

Du coté d’Alsace Innovation, l’association à l’origine du projet, on minimise ces errements, mis sur le compte d’un lancement public trop précipité, d’après Jean-Jacques Bernadini, le responsable de la plate-forme :

« Les montants demandés étaient surdimensionnés. Après avoir analysé ce qui se faisait sur les autres sites de crowdfunding (Kisskissbankbank, Ulule), nous nous sommes rendus compte que le montant maximal attendu pour des projets équivalents ne dépassait généralement pas 6 000 euros . D’où la nécessité de baisser les seuils. »

Il est vrai que des projets financés à 20% seulement n’auraient pas véhiculé l’image d’innovation et de dynamisme tant recherchée par la Région Alsace, principal financeur d’Alsace Innovation, sans parler de la commission (5 % pour les trois premiers, 7 % pour les projets suivants) que prélève l’association dont le conseil d’administration est composé d’élus, de fonctionnaires et de chefs d’entreprise locaux.

Problèmes de communication

Pascal Hoerter, qui présentait un projet de bûchettes fabriquées à partir des chutes de maïs, a refusé ce changement de règles en cours de campagne. Il s’est du coup retiré de la plate-forme, mais sans rancoeur :

« Nous demandions 12 000 euros. Après trois mois, nous avions reçu entre 3 000 et 4 000 euros. Prolonger la campagne n’avait pas trop de sens. Ce n’est pas d’argent pour assurer notre fonds de roulement dont nous avions besoin, mais bel et bien de la machine présentée. J’ai dû me tourner vers des financements plus traditionnels. Par contre, participer au lancement de la plate-forme aura été l’occasion d’une formidable campagne de communication. »

Un effet caisse de résonance que tempère Lucas Stoppele :

« J’ai eu de très bons contacts avec des clients potentiels ou des magazines, mais je dirais que c’est plutôt grâce à mon travail personnel qu’à ma présence sur la plate-forme. D’ailleurs, deux tiers de mes 65 donateurs sont des connaissances plus ou moins proches. Sinon, en termes de retombées médiatiques par exemple, j’ai été invité sur Radio Dreyeckland, mais pas sur France 3 Alsace. »

Dans son dossier de presse, Alsace Innovation évoquait pourtant l’implication de l’agence de communication strasbourgeoise VO (qui compte Alsace Innovation parmi ses clients et est intervenue dans le développement du site) et du cabinet d’avocats Landwell « pour accompagner, conseiller et mettre en valeur les projets des candidats au crowdfunding ». Des conseils dont n’ont pas bénéficié les entrepreneurs. Jean-Jacques Bernadini réfute toute fausse promesse et précise que ces conseils sont… des services payants, au frais du porteur de projet. Il précise :

« Nous ne les avons pas laissés se débrouiller tout seul.  Nous les avons aidés dans la définition des contreparties offertes aux donateurs pour rendre leurs projets plus attractifs. Nous leur avons permis de tourner une vidéo de présentation de leur projet dans les studios d’Alsace 20. »

Reste que les vidéos en question ont été visionnées quelques centaines de fois à peine, et qu’avec un compte Twitter aux 14 tweets, et une page Facebook aux 437 « likes », une plate-forme affichant 4 500 visites uniques en quatre mois (22 par jour en moyenne), il est difficile de parler de « campagne de communication numérique efficace et poussée ». Plutôt embêtant en matière de crowdfunding.

Un vote en quinze jour

Malgré ces débuts pour le moins chaotiques, Alsace Innovation continue d’y croire. La plate-forme, dont le montant de création n’est pas dévoilé mais qui une fois lancée ne coûte qu’une centaine d’euros par mois, devrait même grandir, souligne Jean-Jacques Bernadini :

« D’autres projets affluent sans que nous les ayons démarchés cette fois. Il y en a déjà soumis au vote des internautes et nous serons en capacité d’en proposer trois nouveaux d’ici quelques semaines. Nous envisageons aussi de nous ouvrir au secteur culturel. »

Un optimisme que partage André Jaunay, membre de l’association Financement participatif France  pour qui « le crowdfunding est un levier de développement local qui favorise, dans tous les sens du terme, l’investissement des citoyens. » Mais que ne partage pas forcément l’auto-école Bartholdi de Riedsheim. Après quinze jours de présence, son projet de permis de conduire pour personnes déficientes auditives n’a convaincu… qu’une seule personne.


#crowdfunding

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