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Les corporations condamnées à être utiles

Devenues subitement facultatives, les corporations d’Alsace-Moselle attendent fébrilement les premiers retours des appels à cotiser pour 2013. Car de nombreux artisans ont jeté leurs courriers, ne voyant pas en quoi ces structures pouvaient leur servir. D’autres ont repris leur cotisation par habitude ou conformisme. Dans tous les cas, c’est un monde qui doit se réinventer et transformer ses adhérents en clients.

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La salle des corporations au restaurant Strissel (Photo PF / Rue89 Strasbourg)

Le coup a été rude. Lorsque le 30 novembre, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la liberté d’entreprendre l’obligation d’affiliation à une corporation pour les artisans, beaucoup ont cru à la fin d’un système qui avait réussi à perdurer en Alsace depuis 1889. Même en Allemagne, les corporations ont disparu. Car au fil du temps, le rôle principal des corporations artisanales, qui était d’organiser l’apprentissage et la transmission des savoirs-faire, a été transféré à la chambre des métiers, comme dans le reste de la France. Les corporations n’ont plus le pouvoir de régler des litiges. L’entraide entre artisans a également été interdite et les corporations n’ont plus le droit d’éditer des listes de prix des prestations.

Bref, pour de nombreux artisans, les corporations ne servaient plus à rien. L’adhésion obligatoire, d’un montant souvent dépassant les 300€ par an pour une entreprise individuelle, était devenue une taxe supplémentaire, insupportable pour quelques courriers sur des évolutions réglementaires et une assemblée générale annuelle. Un électricien qui vient de passer la main à ses fils et qui préfère rester anonyme, détaille :

« Quand j’étais en activité, je suis allé à quelques réunions. Ça se termine avec une bière et des kouglhopfs, c’est sympa mais ça n’avait aucune utilité professionnelle. Je me suis vite fait représenter par mon père, qui retrouvait des anciens collègues. Aujourd’hui, c’est le comptable qui nous tient informés des évolutions législatives. Mes fils ont repris l’activité, ils ont jeté à la poubelle l’appel à cotisation 2013 et je les comprends. »

Absence à l’AG : 70€

Cet électricien se faisait représenter, car l’absence à l’assemblée générale est punie d’une amende à la corporation des électriciens, 70€ ! Quant au discours sur l’utilité de la corporation, il a été partagé par une dizaine d’électriciens contactés, sauf pour l’un d’entre eux, responsable d’une entreprise d’une dizaine de salariés. Pour le président de cette corporation, Alain Hermann, par ailleurs directeur régional de Clemessy, il va falloir revoir les statuts :

« Nous sommes en phase de réflexion. Nous attendons des retours de la préfecture du Bas-Rhin sur un projet de nouveaux statuts. On réfléchit aussi à une nouvelle organisation avec les autres corporations pour mutualiser tout ce qui est possible. On a mis en avant nos activités en faveur de nos 700 adhérents et on espère qu’au moins la moitié d’entre eux resteront. »

Malgré les reproches faits aux corporations, cet objectif est tout à fait atteignable. Car les appels à cotisation 2013 ne font guère mention des changements imposés par le conseil constitutionnel et du caractère facultatif de ces cotisations. La corporation des électriciens a même continué d’envoyer des factures, accompagné d’un document qui indique que « les temps sont durs », et que « ce n’est pas le moment de s’isoler » :

Chez les coiffeurs, une lettre a accompagné les appels à cotiser à la Fédération des coiffeurs (FDC 67) mentionnant le caractère facultatif de l’adhésion, mais ce n’est pas rappelé sur les feuilles d’appel (voir l’appel 2012 et l’appel 2013), et on ne trouve pas une mention sur leur site web, ni dans les « voeux 2013 » ni dans la rubrique actualités ! Parmi les coiffeurs interrogés sur leur éventuelle ré-adhésion en 2013, une bonne partie ont répondu par l’affirmative, mettant en avant les concours organisés par la FDC. D’autres ont hésité :

« On ne sait pas vraiment à quoi sert la corporation. Je me souviens qu’à une époque, j’ai eu besoin d’un apprenti et on m’a clairement fait comprendre qu’il valait mieux que je sois à jour de ma cotisation pour que j’en trouve un. J’ai repris l’adhésion 2013 surtout parce que je ne voudrais pas qu’on me le reproche plus tard ou que ça me pénalise. Ces gens ont beaucoup de relais ».

Ambiance. Il y a environ 24 000 entreprises artisanales en Alsace, à 300€ en moyenne la cotisation, c’est quand même une économie de 7,2 M€ annuels que le Conseil constitutionnel vient de chambouler.

La corporation des pâtissiers, aux côtés de celle des gourmets au Strissel (Photo PF / Rue89 Strasbourg)

Les quelques 160 corporations anciennement obligatoires emploient 70 personnes en Alsace et leurs revenus proviennent presqu’exclusivement des cotisations.  La corporation des ferblantiers (Fefica) a déjà procédé au licenciement de son secrétaire-général. Philippe Messer, président de la corporation des fleuristes et de l’union des corporations artisanales du Bas-Rhin (UCA 67), refuse le terme de « panique » mais accuse le coup :

« C’est vrai qu’il y a des corporations qui ne faisaient rien du tout, les plus petites surtout. Un certain nombre de présidents ont déjà baissé les bras, comme chez les cordonniers par exemple. Mais ce n’est pas une raison pour tout arrêter. On mettra « en sommeil » ces corporations, le temps qu’une équipe motivée et avec des projets veuille bien reprendre le flambeau ».

Guéguerre entre pâtissiers et chocolatiers

Outre les tailleurs-retoucheurs (90 adhérents dans le Bas-Rhin), les ramoneurs (30 adhérents), un brutal changement devrait aussi toucher la corporation des pâtissiers (170 adhérents), où se déroule une guerre féroce entre pâtissiers et chocolatiers. Les seconds accusant les premiers de profiter de leurs adhésions sans valoriser leurs savoirs-faire particulier, comme l’explique Jacques Bockel, chocolatier à Saverne :

« Je ne suis pas triste de ne plus être contraint de cotiser à la corporation des pâtissiers, 380€ par an quand même. Les chocolatiers sont les vaches à lait d’une caisse sans avoir aucun retour. Toutes les actions de la corpo ne concernent que la pâtisserie, voire même ils empêchent le développement d’un salon des métiers du chocolat à Strasbourg. C’est bien d’être regroupés, mais à condition d’avoir les mêmes objectifs. Je cotise depuis 1985 à la corporation (nationale, facultative, ndlr) des chocolatiers et plus jamais à la corporation des pâtissiers. »

Bigre. Les assemblées générales devaient être animées, surtout s’il y avait de la tarte à la crème au dessert. La Région Alsace a confié à l’actuel président de la chambre des métiers, Bernard Stalter, élu à ce poste par les corporations et lui-même président de la corporation des coiffeurs, une « mission de réflexion sur l’avenir« . Également président du Conseil économique d’Alsace (CESER), il a démissionné de ce poste pour s’engager dans la réforme des corporations qui s’annonce. Selon lui, la solution passe par la mutualisation des services :

« L’artisanat en Alsace, c’est 21% de l’économie tandis qu’outre-Vosges, c’est 14%. C’est donc bien la preuve que les présidents des corporations faisaient leur travail. Évidemment, on n’aura plus les mêmes moyens en 2013, donc on mettra en commun des services entre les corporations. On constate que beaucoup d’adhésions volontaires rentrent. Certes, un artisan peut considérer qu’il s’agit d’une charge en plus, mais il se rendra compte de l’utilité de sa corporation le jour où il en aura besoin ! »

La chambre des métiers a préparé à l’intention des corporations un document qui met en valeur leurs services. L’objectif est désormais de traiter les artisans en clients. Dans ses commentaires (pdf), le Conseil constitutionnel explique qu’aujourd’hui, les missions de représentations des métiers dans divers organismes sont assurées… par la chambre des métiers.

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