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Les réceptions et le style du Recteur choquent à l’académie

Les habitudes du nouveau Recteur de l’académie de Strasbourg, Jacques-Pierre Gougeon, choquent les fonctionnaires de l’académie. Un pamphlet circule, décrivant le représentant du ministre de l’Éducation en Alsace en monarque absolu. Une première dans cet univers feutré et d’habitude loyal.

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Le Recteur de l’académie de Strasbourg Jacques-Pierre Gougeon (Photo Académie de Strasbourg)

Nommé en octobre 2013 nouveau Recteur de l’académie de Strasbourg, Jacques-Pierre Gougeon avait pour mission de déminer le dossier du bilinguisme en Alsace après les choix jugés ici trop jacobins de sa prédécesseure Armande Le Pellec Muller. Germaniste, ancien conseiller culturel à l’ambassade de Berlin, Jacques-Pierre Gougeon avait le bon profil et c’est pourquoi Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, s’est séparé de son conseiller spécial.

Mais alors que le nouveau Recteur s’emploie à rassurer tout le monde sur le bilinguisme, les agents de l’académie et du rectorat, eux, s’inquiètent. Ils s’inquiètent d’abord qu’à peine arrivé, Jacques-Pierre Gougeon réquisitionne deux grandes et superbes salles de l’hôtel du Recteur pour y installer ses bureaux. Les salles Cassin et Véranda étaient jusqu’alors utilisées pour des réunions par les agents. Il leur reste une troisième salle de réunion, la salle Leclerc, mais pas entre midi et deux, et pas trop en début d’après-midi, le Recteur l’utilisant pour ses déjeuners.

Car le Recteur Gougeon reçoit beaucoup. Rencontrer diverses personnalités régionales fait partie de ses attributions, et Jacques-Pierre Gougeon semble avoir pris cette mission très à cœur comme en témoigne son agenda officiel, un planning de déjeuners complet jusqu’à deux mois à l’avance. Sont-ce des habitudes d’ambassades ou de Matignon, ces réceptions à répétition font jaser parmi les fonctionnaires de l’académie, qui doivent eux composer avec des restrictions budgétaires chaque année plus rudes.

« Tout le monde s’indigne de ce comportement »

L’un d’entre eux témoigne :

« Les agents parlent dans les couloirs, tout le monde s’indigne de ce fonctionnement. Les catégories aux plus bas salaires triment, ramènent leur propre lampe de bureau, leur gamelle chaque midi parce que cela revient moins cher que le restaurant ou les sandwichs, les services financiers nous rappellent sans arrêt “qu’il n’y a plus de sous”, un conseiller pédagogique attend depuis deux ans ses gilets pour la piscine et là ils trouvent de l’argent, mais cela doit être sur une autre ligne budgétaire, évidemment. »

Un syndicaliste précise :

« Ces histoires de salles ont fait beaucoup de bruit parmi les collègues, car elles étaient très utilisées et les précédents recteurs s’étaient tous très bien accommodés de leur bureau, déjà grand, dans la partie moderne du bâtiment. Et cette pénible affaire se rappelle aux agents à chaque réunion puisque les toilettes situées à proximité ont aussi été réquisitionnées par le Recteur. Du coup, les collègues doivent traverser la cour pour se soulager… »

De son côté, le Recteur Jacques-Pierre Gougeon justifie ces changements logistiques par la proximité avec ses appartements :

« Je travaille très tard le soir et très souvent le week-end. Avec l’ancien bureau, il fallait traverser la cour, prendre la carte d’accès, déverrouiller la sécurité… Là, mon bureau est situé juste sous mes appartements, c’est beaucoup plus pratique. Par ailleurs, une partie de mon cabinet occupe également ces espaces. »

« Le règne débuta un 2 octobre… »

Brusqués, les fonctionnaires du Rectorat se sont alors mis à scruter chaque geste de leur patron. Et après que le Recteur a changé sa voiture de fonction, d’une Peugeot 407 de 7 ans pour une Citroën C5, rudoyé quelques inspecteurs d’académie, étoffé son cabinet et changé son secrétariat, un pamphlet s’est mis à circuler fin mars dans les services. Rédigé dans un français impeccable et châtié, on est au rectorat, ce texte décrit la renaissance flamboyante de la cour d’un monarque absolu pour révéler que le souverain en question n’est autre que le Recteur de Strasbourg en fin de texte. Le pamphlet insiste sur un point :

« Bien entendu, la volonté du roi de remettre sa fonction à l’honneur modifia l’équilibre budgétaire de la contrée. Les sujets, qui précédemment déjà avaient coutume de financer sur leurs deniers propres le matériel nécessaire pour mener à bien leurs missions, durent accroître leurs efforts afin de soutenir leur monarque dans cette reconquête de la noblesse de corps et de cœur dont il se voulait le plus digne représentant. »

L’ambiance est alors devenue beaucoup plus électrique, le Recteur demandant aux services informatiques d’identifier l’auteur du texte. Ce qu’ils n’ont pas été en mesure de faire jusqu’à présent, mais plusieurs fonctionnaires ont été interrogés, y compris parmi les syndicalistes. L’un d’eux témoigne :

« Rien de ce qu’a fait le Recteur n’est interdit ou contraire aux règles. On ne laisserait pas passer sinon. Mais ce style ostentatoire, qu’on appelle “francilien” ici, choque. Parce qu’on est en région, parce qu’on est en Alsace, parce que les précédents recteurs ne nous ont pas habitués à ça et aussi parce qu’on est en période de restrictions budgétaires et qu’il s’agit de l’exemplarité au sommet de l’administration, de l’image auprès des personnels. »

De son côté, Jacques-Pierre Gougeon trouve le pamphlet « outrancier et mensonger » :

« Mes prédécesseurs recevaient très peu, très bien, mais c’est aussi ce que me confient les personnalités que je rencontre et qui ont à échanger avec le Recteur d’académie… C’est mon travail, même si je comprends que cette soudaine activité déstabilise au début. Et j’utilise les salons de l’hôtel du Recteur ainsi que les cuisiniers du lycée hôtelier d’Illkirch-Graffenstaden, ce qui évite d’avoir des notes de restaurant. »

Le lycée hôtelier d’Illkirch à bout

Pas de notes de restaurant peut-être, mais une note auprès du lycée Alexandre Dumas d’Illkirch, avec lequel le rectorat a signé une convention pour la mise à disposition d’enseignants et d’élèves afin d’assurer le service et la cuisine des déjeuners à l’hôtel du Recteur. Pour le lycée professionnel, c’est un bon exercice pratique mais l’activité quotidienne du Recteur a généré une telle charge de travail que l’organisation du lycée hôtelier et de son restaurant d’application s’en est trouvée ébranlée.

Plus gênant, la convention prévoyait que cette mise à disposition s’arrêtait avec le début des examens des élèves, soit le 17 avril. Le Recteur ne l’entendait pas ainsi et a demandé au lycée de poursuivre les prestations. Le conseil d’administration du lycée, ne voyant pas dans cette prolongation d’intérêt pédagogique pour les élèves, a refusé de voter un avenant à la convention dans un rare geste de rébellion ouverte. Conséquence : la proviseure du lycée Alexandre Dumas s’est vue refuser l’accès à une réunion de travail par le Recteur, en public. Ambiance.

Cet incident a donné l’occasion au syndicat de la proviseure de demander au Recteur des explications. Quant aux autres syndicats, ils restent très remontés et guettent le prochain faux pas. D’habitude feutrée, l’ambiance au rectorat et à l’académie est devenue tendue : tous les témoins ont tenu à rester anonymes, même les syndicalistes. Une partie du personnel de l’académie était jeudi 15 mai dans la rue pour protester contre le gel du point d’indice du traitement des fonctionnaires et « l’austérité dans la fonction publique ».


#académie de Strasbourg

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