Cette idée de maison en pneus est née d’une envie plutôt banale. Celle d’avoir son propre chez-soi après des années de locations. Mais Paulo, et sa compagne Sophie, n’avaient pas les moyens de faire construire la maison de leurs rêves :
« On voulait une maison respectueuse de l’environnement mais les projets d’habitats écologiques coûtent les yeux de la tête ! Et surtout il nous fallait de la place parce que Sophie est tombée enceinte de jumelles au début du projet. »
Alors Paulo s’est dit qu’il construirait sa maison lui-même. Avec une somme maximale de 160 000 euros, comprenant l’achat du terrain et la construction. Il ironise en se rappelant des débuts :
« Je ne savais pas du tout comment m’y prendre. Je suis Portugais mais pas maçon pour autant ! »
Pas maçon mais pizzaïolo. Paulo a navigué en eaux troubles sur Internet pour étudier différentes techniques, matériaux, faisabilités… Entre les maisons en bois et les habitats troglodytes, c’est finalement sur les maisons en pneus que son choix s’est arrêté :
« Les Anglo-saxons appellent ce concept earthship. Ça existe depuis la fin des années 60 ! Sur Internet, on trouve toute les ressources nécessaires pour construire soi-même son earthship. Beaucoup de personnes en ont bâti dans le monde, donc je me suis dit, pourquoi pas moi ? »
Les pneus, c’est économique et… écologique
La famille Azevedo a trouvé un terrain d’environ un hectare à Lembach, dans le nord de l’Alsace, pour 90 000 euros. Il ne restait donc 70 000 euros pour construire la maison, si Paulo et Sophie voulaient rester dans les contraintes de leur objectif financier. Il fallait ensuite trouver des pneus, beaucoup de pneus :
« Une entreprise à Nancy collecte les pneus des garagistes dans tout le Grand-Est. Je les ai appelés pour savoir s’ils pouvaient me livrer 600 pneus. Ils ont accepté de le faire gratuitement. Les pneus allaient, de toutes façons, finir incinérés donc il valait mieux qu’ils servent ! »
Puis a commencé la construction des murs. Paulo a rempli chaque pneu avec 100 à 150 kilos de terre. Il les a empilés en quinconce, un peu à l’image des barrières qui existent au bord des circuits de courses automobiles. Paulo a mis plus de six mois pour terminer ses murs :
« Je travaille à la pizzeria le soir et je viens sur le chantier le matin. Entre deux et trois heures par jour. Pas besoin d’abonnement à la salle de sport ! C’est long et difficile mais tellement gratifiant de me dire que je fais tout ça moi-même. »
Certains amis de Paulo lui font souvent remarquer que ses murs en pneus ne sont pas très écologiques. Et pourtant :
« Les pneus polluent s’ils se décomposent dans la nature. Mais je vais les recouvrir d’une sorte de sarcophage en argile, en sable et en paille. Je suis sûr qu’ils seront intacts dans plusieurs milliers d’années. En tous cas, il y a intérêt si je veux que la maison reste debout ! »
Ces murs de plusieurs dizaines de centimètres d’épaisseur seront beaucoup plus isolants que des parpaings de bétons. Donc la famille Azevedo espère passer l’été au frais et ne pas beaucoup chauffer l’hiver.
Une maison autonome en eau et en électricité
Avant même de commencer ses murs en pneus, Paulo a fabriqué trois grandes cuves en bétons qu’il a enterrées, en haut de son terrain en pente, à 50 mètres au-dessus de sa maison. Des cuves d’un mètre et demi de profondeur et de trois mètres de diamètre qui récupéreront l’eau de pluie. Assez pour tenir trois mois sans précipitations d’après Paulo.
L’eau coulera ensuite jusqu’à la maison grâce à la pente. Elle passera dans deux filtres et sera alors utilisable pour se doucher ou laver les vêtements. Pour la boire, elle traversera encore un osmoseur, dont le fonctionnement est assez complexe mais qui, en résumé, rend l’eau potable.
Pour l’électricité, Paulo achète régulièrement des panneaux solaires d’occasion à des particuliers qui en vendent sur Internet. Il lui en faut une quarantaine pour fabriquer un mini parc-solaire sur son terrain. Paulo récupère aussi des batteries de camion d’occasion pour stocker l’électricité des panneaux solaires :
« Malgré tout, on se passera de certains instruments comme les sèche-cheveux ou les aspirateurs extrêmement gourmands en énergie. »
Plus de deux ans après le début des travaux, pas de maison mais toujours la motivation
La famille Azevedo ne pensait pas s’être lancée dans un projet de si longue haleine. Et Paulo pensait avoir un peu plus d’aide :
« On espérait que ce soit un chantier participatif, ça se fait pas mal autour des projets de maisons en pneus. Il y en a un notamment en Dordogne. Mais il faut croire que les gens aiment mieux aller dans le Sud-Ouest qu’en Alsace ! »
Peu importe, Paulo ne se décourage pas :
« C’est génial de voir le projet avancer. Et puis c’est très varié. Après six mois à entasser des pneus, j’ai pu enfin passer à autre chose avec le toit et ça m’a redonné un certain élan. On verra bien quand est-ce que je terminerai, je ne me mets pas la pression. »
Côté budget, Paulo reconnait que les 70 000 euros pour la maison sont déjà atteints :
« Peut-être qu’on sera plutôt autour des 100 000 euros. Mais bon, on sera encore bien en-dessous des prix du marché pour une maison de 130 m². »
Après le défi des murs, l’épreuve du toit
Au printemps 2017 est venu le temps de penser à la charpente. Là encore, Paulo faisait face à une grande inconnue. Comment construire un toit ? Il a trouvé de l’aide auprès d’un charpentier d’Eschbach. L’entreprise lui a découpé toutes les poutres et a dessiné les plans de la toiture :
« Ensuite c’était comme des Lego ! Je n’avais qu’à suivre les plans du charpentier, tout s’emboitait. Il a fait un travail exceptionnel. »
Toujours est-il que Paulo n’avait pas de grue pour monter ses poutres. Alors tels les constructeurs du Moyen-Age, il a dû faire preuve d’imagination :
« Je me suis fabriqué tout un système de sangles, de poulies avec des échafaudages pour monter les centaines de kilos de bois petit à petit. En voyant le résultat, je suis vraiment fier parce que ce n’était pas simple mais comme quoi, on trouve toujours des solutions. »
Sur leur toit, la famille Azevedo aura un potager. Un grand classique des constructeurs de maisons en pneus. Encore une fois, Paulo a trouvé toutes les instructions sur Internet :
« Il faut mettre les bons matériaux pour que ce soit imperméable. J’ai tout trouvé en déchetterie. Après vient la terre par dessus pour planter des légumes. En tout, ça fait un toit d’environ un mètre d’épaisseur. »
De quoi renforcer encore un peu plus l’isolation de la maison.
La construction ne passe pas inaperçue dans le village
Même s’il faudra encore attendre au moins quelques mois pour voir la maison en pneus terminée, elle fait déjà parler d’elle dans le petit village de Lembach. Edith Gerst est la voisine la plus proche :
« Au début, des habitants venaient tous les jours sur le chantier pour voir. Il y avait beaucoup de curiosité. Ça s’est calmé. »
Surtout que, perchée sur sa petite colline, on ne peut pas louper la maison en pneus et sa baie vitrée de plus de 20 mètres de long. Malgré tout, personne ne s’est opposé au projet. Le maire de la commune est aussi allé dans le sens de la famille Azevedo. Paulo a su ajouter la petite touche qui intégrera sa maison au paysage :
« Avec le charpentier, on a vu pour avoir des colombages, on est en Alsace quand même ! »
En attendant de voir le résultat, chacun peut suivre l’avancée des travaux sur le blog et la page Facebook du projet. Si certains sont motivés pour participer quelques jours au chantier, Paulo les accueillera à bras ouverts.
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