L’UDR, le RPR, l’UDF, l’UMP, « Les Républicains »… Les partis de droite se sont succédés mais ils ont toujours contrôlé la quatrième circonscription du Bas-Rhin depuis le début de la Ve République. Yves Bur, actuel maire de Lingolsheim, a été élu quatre fois depuis 1997 dans ce périmètre qui va de Plobsheim au sud au jusqu’à Truchtersheim dans le Kochersberg à l’ouest.
Pour sa première candidature en 2012, Sophie Rohfritsch, maire de Lampertheim, a pris sa suite et l’avait emporté assez largement au second tour (65%) face au PS, malgré le contexte de « vague rose » après l’élection de François Hollande.
En 2017, Marcheurs et GCO dans le Kochersberg
Bref, la circonscription de « Strasbourg campagne » n’a d’habitude pas de quoi susciter un grand enthousiasme des candidats et des observateurs. Mais cette année, ça pourrait changer. Emmanuel Macron, fondateur de « En Marche » et désormais président de la République, était arrivé tout proche de François Fillon au premier tour de l’élection présidentielle (25,17% contre 25,46%) sur ce territoire.
Et au niveau local, la circonscription est sur le point d’être traversée par le Grand contournement ouest (GCO – voir tous nos articles). Ce projet d’autoroute payante de 24 kilomètres doit devenir un nouvel axe routier européen nord-sud , en particulier pour les poids-lourds. Les derniers travaux préparatoires sont prévus pour l’automne, avant les chantiers de gros oeuvre à l’hiver.
Un candidat porté par les anti-GCO, tentative avortée
L’occasion de proposer une candidature anti-GCO et d’envoyer un message clair dans les urnes ? « On y a pensé mais dans ces temps complexes , on avait peur d’être inaudibles sur cette seule question », déclare Maurice Wintz, vice-président d’Alsace Nature et opposant au GCO.
Plusieurs propositions avaient été formulées, mais parmi les blocages, les maires des communes sans étiquette, à sensibilité de droite ou du centre, n’avaient pas envie de se retrouver derrière une candidature soutenue par Europe Écologie Les Verts (EELV) ou d’autres formations marquées politiquement à gauche.
Maire de Kolbsheim et opposant de premier plan, Dany Karcher reconnait que dans ce contexte, un faible score aurait été un mauvais signal :
« Les législatives sont avant tout une élection nationale. Le GCO est un sujet parmi d’autres et si on avait notre propre candidat qui aurait fait un mauvais score on aurait dit “vous voyez, c’est de la connerie, c’est contre-productif d’être contre le GCO”. »
En 2012, Luc Huber, maire de Pfettisheim et pilier du collectif « GCO Non Merci » était le candidat EELV et incarnait en quelque sorte l’opposition au projet. Il avait fait 4,70%. Le contexte était différent puisque le projet était en passe d’être abandonné, finalement reporté, suite à la victoire de François Hollande et l’accord EELV-PS.
Sophie Rohfritsch, confrontée à son bilan
Les opposants, par l’intermédiaire de l’ADEVIE (Association pour la défense de l’environnement et de la qualité de vie – Secteur Dingsheim, Griesheim-sur-Souffel, Pfulgriesheim) interpellent tous les candidats sur le sujet. La première réponse est fournie par Sophie Rohfritsch :
« Ma position n’a pas varié. Le GCO est un projet pertinent au départ s’il s’accompagne d’infrastructures complémentaires comme la Voie de liaison intercommunale ouest (VLIO) ou la requalification de l’A35. Or, elles ne font plus partie d’un traitement prioritaire. »
Ainsi la députée sortante s’engage à ce que le dossier soit « rediscuté » si elle est réélue. En 2012, elle avait plaidé auprès du gouvernement pour sa relance. »C’est fou ce qu’on arrive à faire dire à des candidats en campagne », s’étonne Dany Karcher, qui estime que la députée a pourtant peu parlé de ses doutes pendant les 5 années de son mandat à l’Assemblée nationale, ni à l’Eurométropole où elle représente sa commune au sein de la majorité.
Soutien de François Fillon jusqu’au bout, Sophie Rohfritsch se présente avant tout comme une élue de terrain et prête à gouverner avec « En Marche », sur la base d’une coalition comme en Allemagne, au lendemain des législatives. Le sujet du GCO est absent de ses documents de campagne et la position du parti « Les Républicains » est favorable au projet.
La candidate En Marche opposée ne fera pas de promesses « électoralistes »
Côté « En Marche », Emmanuel Macron ne s’est jamais prononcé sur le sujet, pas plus que son mouvement au niveau local. Habitante de Truchtersheim et nouvelle en politique, Martine Wonner, 53 ans, fait notamment campagne sur le renouvellement en politique et le besoin d’une « majorité claire au nouveau président », dont « d’autres candidats se revendiquent désormais. »
Sur le GCO, elle se dit opposée, mais ne tiendra pas « de discours électoraliste » :
« Je ne vais pas faire croire qu’à moi toute seule je le ferai annuler. Le projet est très avancé, mais je m’engage à l’examiner avec objectivité, avec la préservation de nos terres et du territoire en ligne de mire. Il faudra que les collectivités locales acceptent d’en discuter. Le GCO ne règle en rien le problème des habitants enclavés du Kochersberg. Je défends plutôt l’écotaxe, le Transport en site propre (TSPO) vers Strasbourg, le développement de pistes cyclables en site propre ou la VLIO, très attendue dans les communes. Je porterai ce dossier, plus que la députée sortante. Parfois, des électeurs que je rencontre me disent que c’est Yves Bur leur député. »
Elle estime que la nomination de Nicolas Hulot en tant que ministre de la transition écologique est « un signal fort » et que l’on pourrait s’inspirer localement de la médiation prônée pour le cas de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes.
Martine Wonner fait aussi campagne sur la santé, domaine dans lequel elle a exercé, notamment en temps que directrice du Samu social de Paris. « Même si le Kochersberg n’est pas un désert médical, il faut anticiper le départ à la retraite de 50% des praticiens et développer la couverture à travers les maisons de santé et une augmentation raisonnée du numerus clausus ».
Finalement, ces deux candidates sont en phase avec la revendication actuelle du collectif contre le GCO, à savoir « un moratoire » pour réétudier la question et tester certaines de ses propositions alternatives comme le ferroutage, le transport fluvial, de meilleurs transports en commun ou la relance de l’écotaxe.
Accord PS et PRG pour un candidat favorable au GCO
Dans le paysage éclaté d’opposants au GCO, on relève une exception notable, le candidat du parti radical de gauche (PRG). Ironie du sort, il s’appelle Thibaut… Vinci, comme la société exécutante du GCO. Sur ses affiches, le jeune homme de 30 ans arbore la mention « majorité présidentielle ». « Deux nouveaux ministres, dont celui de l’Agriculture, sont membres du PRG » se justifie-t-il.
Il estime que le GCO est un projet « utile et désormais lancé » :
« Il fallait le faire depuis longtemps. Mon seul souhait, ce serait de faire payer moins cher à ceux qui sont obligés de le prendre tous les jours, peut-être sous la forme d’un abonnement et faire payer surtout les camions. Le contribuable paie déjà avec les aménagements autour du projet. Je prends l’autoroute tous les jours, je ne peux pas me permettre de payer 5 à 10 euros par passage comme annoncé. Je trouve que les autres candidats ne sont pas clairs sur ce sujet. »
Thibaut Vinci habite Strasbourg mais a grandi et vécu une vingtaine d’années à Blaesheim, au sud de la circonscription. Il veut se poser « en intermédiaire » entre les différents pouvoirs (État et locaux), ainsi qu’en « défenseur des langues régionales. »
Il est soutenu par le PS dans le cadre d’un accord national. Le choix de cette circonscription peut interroger dans la mesure où la position officielle du PS du Bas-Rhin est toujours issue d’une motion d’opposition au GCO. Mais la conversion des dirigeants socialistes les plus haut placés à Strasbourg, le maire Roland Ries et le président de l’Eurométropole Robert Herrmann, a eu pour effet d’atténuer sévèrement l’opposition de la fédération socialiste du Bas-Rhin.
« Lorsque nous avons entamé les discussions avec le PS, on nous a dit d’emblée qu’elle était réservée pour un accord avec le PRG. Peut-être n’avaient-ils aucun candidat pour s’opposer au GCO », regrette Patricia Guéguen, secrétaire régionale d’EELV, en pointe dans l’opposition au GCO.
Son parti a investi à la dernière minute Nathalie Palmier, strasbourgeoise de 25 ans qui vient de terminer ses études. Récente en politique, elle est moins connue que d’autres écologistes strasbourgeois, qui auraient bénéficié de davantage de notoriété dans cette circonscription.
Myriade d’oppositions
Parmi les autres formations opposées au GCO, on peut citer le Parti communiste, Unser Land ou le Front national, tous ont exprimé leur opposition, du moins dans la version actuelle du projet, à savoir avec un péage. Mais il ne s’agira par forcément de leurs thèmes de campagne principaux, souvent nationaux, comme la défense des services publics (pour le PC), l’immigration et une défiance vis-à-vis de l’Union européenne, sans qu’il soit clair désormais s’il faut sortir des traités et de l’euro (pour le FN).
Unser Land fait campagne sur l’identité régionale, pour la décentralisation et le retour d’une région administrative limitée aux contours de l’Alsace. Le parti régionaliste a quelque peu intensifié ses prises de position contre le GCO, au nom de l’écologie et de la démocratie directe.
Enfin, les Insoumis espèrent partir avec une longueur d’avance sur d’autres formations opposées, en espérant capitaliser sur les 13,3% de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle. Le Parti de gauche, devenu la France Insoumise, est aussi opposé depuis plusieurs années. Il sera représenté Albert Schwartz ancien syndicaliste à Octapharma et désormais retraité, qui a rejoint le Parti de gauche en 2014.
Habitant de Lingolsheim, il portera le programme national de l’Avenir en commun (plus de tranches d’impôts, une VIè République, lutte contre l’évasion fiscale, un plan de relance de 100 milliards d’euros, etc) « qui n’a pas varié depuis l’élection » :
« Je n’avais pas d’engagement politique avant car je ne mélangeais pas cela avec mon engagement syndical. Les aspects écologiques m’ont intéressé et c’était tout un pan du programme de Jean-Luc Mélenchon avec des efforts pour sortir des énergies fossiles. Le GCO est un exemple local des projets que l’on veut arrêter. On va le payer trois fois : par les très bonnes terres agricoles que l’on va perdre, par le péage et en cas de non-rentabilité, par de l’argent public. »
Le candidat relève que sur cette circonscription, il faut aussi s’adresser à des quartiers populaires de Lingolsheim ou d’Ostwald où « il existe encore beaucoup de misère urbaine. Il y a neuf millions de pauvres, dans les villes et les campagnes, même dans le Kochersberg. »
Non-marquée politiquement, se présentant comme « ni de droite, ni de gauche« , Michèle Trémolières, du mouvement écologiste indépendant (MEI) est aussi opposée au GCO.
Calendrier serré après les élections
Passée les élections législatives, le collectif GCO Non Merci a prévu d’interpeller le ministre de la transition énergétique, Nicolas Hulot, dont la nomination suscite un peu d’espoir chez les opposants. Le calendrier sera serré. La crainte des opposants est que les travaux soient engagés le plus vite possible, et qu’il sera alors facile d’expliquer qu’il s’agit d’un projet lancé, sur lequel il n’est plus possible de rouvrir le débat. Même si localement, tous les candidats ou presque s’y engagent… Sur ce sujet majeur, il sera en tout cas difficile de tirer une conclusion claire du vote des 11 et 18 juin.
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