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Le thermomètre grimpe, le nombre d’expulsions aussi

Beaucoup ont attendu l’arrivée de l’été avec impatience. Les personnes menacées d’expulsion beaucoup moins. Car avec la fin de la trêve hivernale, les expulsions locatives reprennent, au moment où ferment des centres d’hébergement d’urgence.

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A Strasbourg, les expulsions locatives ont repris depuis le mois d'avril (Photo François Schnell / FlickR / cc )

Certaines associations strasbourgeoises observent une recrudescence du nombre de personnes sans domicile fixe depuis quelques semaines. La fin de la trêve hivernale en est la cause principale. Ce dispositif, prolongé jusqu’au 31 mai, empêche toute renvoi à la rue d’une personne qui risquait de se retrouver sans logement. Mais à partir de cette date, les centres d’hébergement d’urgence ferment progressivement. Une situation paradoxale puisque la saison des expulsions locatives commence alors.

Monique Maitte, porte-parole de l’association SDF Alsace, donne le ton :

« La situation à Strasbourg est catastrophique. On voit de plus en plus de jeunes de 20-25 ans dans la rue. Les personnes plus âgées sont aussi concernées.  Nous avons récemment eu le cas d’Amélie, une femme seule avec trois gosses : une demande d’expulsion a été faite par son bailleur pour un impayé à hauteur de 840€. C’est dérisoire. Son chômage est en fin de course, elle n’a pas de boulot, et elle est dépendante des aides. Elle a déjà eu des problèmes de loyers impayés, tous réglés, mais qui l’ont cataloguée comme « mauvaise payeuse ». On a été très surpris par son expulsion. Maintenant, notre but est de la soutenir pour l’aider à payer sa dette, et à démarcher auprès du bailleur par le biais d’un avocat. »

L’association Entraide – Le relais constate quant à elle le triplement en trois ans des demandes de « domiciliation », c’est à dire la fourniture d’une adresse postale pour les personnes qui n’en ont pas. Chez Caritas Alsace, on déplore l’importante précarité des personnes accueillies par l’organisme. Selon le rapport d’activité 2011 :

« Le chômage et l’absence de revenus sociaux complémentaires amènent 73% des personnes accueillies en situation d’impayés (20 % d’entre elles ont engagé une procédure de surendettement). […] Le fait que dans 52 % des cas, le montant global des impayés est inférieur à 1 000 € parle de lui-même.»

Pour les personnes expulsées, la galère se poursuit avec le quête d’un hébergement d’urgence. Si la saison estivale peut sembler plus clémente en raison du redoux des températures, elle n’est pas moins meurtrière. Le rapport du collectif « Les Morts de la rue »  tend à prouver que les conditions météorologiques ne sont pas les premières responsables. Bien souvent, les personnes sans domicile succombent d’une « mort violente » survenue sur la voie publique.

La concomitance des expulsions locatives avec les fermetures des centres d’accueil pénalise doublement les personnes soumises à la précarité. L’Association d’Accueil et d’Hébergement pour les Jeunes à Strasbourg évoque le sort que beaucoup d’autres organismes connaissent :

« On accueille davantage de personnes en hiver du fait de la trêve hivernale et c’est vrai qu’on ferme un certain nombre de places quand le dispositif prend fin. Tout simplement parce que le financement, qui permet d’embaucher du personnel, vient des fonds publics et qu’il n’est pas prolongé au-delà de cette date. »

Même chose pour la municipalité. Ainsi, la Ville et la Communauté urbaine avaient ouvert 80 places dans l’ancienne auberge de jeunesse René-Cassin. Ces places ne sont plus disponibles depuis le 31 mars et le centre est à nouveau inutilisé.

La prévention, meilleur rempart contre les expulsions locatives

Le Conseil général du Bas-Rhin a recensé 225 expulsions locatives en 2011 dans le département, sur un total de 1 738 procédures. Mais selon les agences immobilières privées, les expulsions sont rares. Comme en témoigne Christian Weibel, directeur d’une agence Century 21, ancrée dans le marché locatif de Strasbourg:

« Nous n’avons plus connu ce type de procédure depuis deux ans. Tout est fait pour anticiper les problèmes. D’entrée de jeu, on examine les dossiers et on calcule les différentes charges et garanties. Si les gens honnêtes sont vraiment en difficulté, ils viennent nous voir et on procède alors à des plans d’apurement.»

Les bailleurs sociaux avouent que le sujet est épineux mais tâchent de gérer au mieux les procédures. Philippe Bies, président de CUS Habitat, souligne « l’effort mené dans la politique de prévention depuis l’année dernière avec la mise en place de nouvelles actions ». L’enjeu est de régler les problèmes en amont de l’accord du concours de la force publique donné par la préfecture. CUS Habitat dispose d’un parc de plus de 20 000 logements situés à 75% en Zone urbaine sensible (Z.U.S.) et les expulsions n’ont représenté que 0,13% de son patrimoine l’année dernière. Cette année, depuis juin, 40 concours de la force publique ont été accordés mais seules trois expulsions ont été effectives. Habitation Moderne a déclaré avoir exécuté cinq procédures d’expulsion depuis le 1er avril (un chiffre contesté par SDF Alsace). Ce bailleur, dont le capital est détenu à 55% par la ville de Strasbourg, gère un parc immobilier de 7 000 logements.

Le squat du 69 visé par une procédure

La « maison du 69 » rue de la Carpe-haute (voir  notre article à ce sujet) en fait partie et le dossier a pris une nouvelle tournure. Les occupants, qui s’étaient vus accorder un délai exceptionnel jusqu’au 15 juin pour préparer leurs examens, n’ont pas quitté le local depuis. « L’emploi de la force publique sera sollicitée » a indiqué le directeur d’Habitation Moderne qui « va veiller à ce que la décision de justice soit respectée. »

Les procédures d’expulsion sont longues et doivent respecter un protocole strict. Malgré la complexité des procédures, les litiges sont rares au Tribunal administratif de Strasbourg, sept en 2011, un faible nombre en comparaison à d’autres (voir le point 1-4 du rapport DALO). Cette faible proportion s’explique aussi par le travail de prévention que mènent sans relâche les différentes associations telle que l’Agence départementale d’information sur le logement (ADIL 67).

Anne-Sophie Bouchoucha, la directrice, constate une consultation régulière de ses juristes qui délivrent des conseils de prévention. Dans le secteur CUS, la moitié de ces conseils porte sur les problèmes d’impayés. Environ un quart des consultants étaient « au stade déjà très avancé de l’expulsion locative ». La prévention joue donc un rôle prépondérant. En atteste l’importante charte départementale de prévention des expulsions locatives dans le Bas-Rhin adoptée pour la période 2011-2014. Le Conseil général a pour sa part mis en ligne, depuis le 21 mai dernier, des tests d’éligibilité pour l’obtention d’aides par le Fonds de solidarité pour le logement (FSL).

 

article modifié à 13h24 pour ajouter la déclaration de M. Philippe Bies


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