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Comment le port de Strasbourg s’adapte à l’irruption de la ville

Le Port Autonome de Strasbourg se transforme pour rester dans la course des grandes plate-formes logistiques européennes. Mais pas de chance, la ville arrive à ses portes plus vite que prévu. Du coup, aux contraintes économiques vont s’ajouter les problèmes de voisinage dus au bruit, à la pollution… Un sacré défi pour cette entité qui a évolué seule dans son coin jusqu’à présent.

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Le terminal à conteneurs et ses nuisances sonores survivront-ils à l’arrivée d’habitants ? (Photo Pascal Bastien)

Au Port-du-Rhin, finie la tranquillité d’un finistère urbain à l’est pour les entreprises de Strasbourg. Avec le développement de l’axe Deux-Rives, la ville s’est rapprochée du fleuve et de nouveaux quartiers jouxtent les entrepôts et les silos. Bruit, odeurs, circulation des camions et autres pollutions, de farouches bagarres de voisinage sont à craindre entre les nouveaux résidents et les industries installées. Ce mouvement de recul du port n’est pas nouveau, il dure depuis quinze années au moins : une époque où le Port administrait le bassin Austerlitz, dont les entrepôts Seegmuller faisaient partie.

La ville a grignoté peu à peu du terrain mais avec l’urbanisation des zones de la Coopérative et de Starlette, côté est du bassin Vauban, c’est un peu comme si la ville avait franchi le Rubicon. Pour certaines entreprises implantées au Port-du-Rhin, il faut dire stop.

Porte-voix de ces entreprises, Régine Aloird, présidente du Groupement des Usagers du Port (GUP) :

« Le GUP veut réserver la vocation économique de la zone portuaire strasbourgeoise. Certaines entreprises sont installées au port depuis de nombreuses années et espèrent y rester encore. C’est dans la zone centrale et la zone nord du port que se concentrent une grande partie du trafic route, fer et barge de la CUS. Et puis il y a toujours des groupes de résidents qui veulent déplacer le port aux pétroles sans réellement connaître l’importance stratégique de cette partie du Port… »

La transformation des entrepôts Seegmuller, un signal

Lors d’une consultation en 2009, appelée « cahier d’espérances des entreprises du Port-du-Rhin« , elles avaient expliqué leur malaise : voir les entrepôts Seegmuller abandonnés puis être récupérés par la ville, est-ce là leur destin à toutes ? La prochaine cession du siège de Coop Alsace pour en faire un temple des technologies numériques n’est pas non plus de nature à les rassurer. Quant aux frictions inévitables qui existent déjà mais vont aller en s’accroissant entre les résidents et les entreprises, ces dernières craignent de systématiquement perdre les arbitrages qui seront rendus.

Les entreprises les plus inquiètes sont évidemment celles qui présentent des risques technologiques (Seveso), telles les dépôts de pétrole, Prodair, Tredi, etc. Le gérant de l’une d’elles s’est exprimé ainsi dans le cahier d’espérances :

« Nous sommes un établissement classé et nous avons donc un certain nombre de normes. Avec le rapprochement des habitations, on nous impose de plus en plus de contraintes alors que nous respectons les normes que l’on a exigées de nous lors de notre installation. On nous demande d’actualiser de plus en plus fréquemment l’étude danger, toujours du fait de la progression de l’urbanisation. Et l’année prochaine, nous devrons multiplier par dix le poste “protection et environnement”, un poste de plus en plus important à cause d’une population qui n’était pas là quand nous nous sommes implantés ! »

Le départ des entreprises ? Une question toujours en suspens

La question du départ est donc mis sur la table. Le message, fortement appuyé par la Chambre de commerce et d’industrie, a été envoyé à la CUS. En février 2011, la CUS et le Port Autonome de Strasbourg (PAS) ont signé un contrat dans lequel ils ont couché leurs objectifs de développements croisés (PDF). Les zones du port ont été découpées. À l’urbanisation : Austerlitz / Heyritz, Starlette, Citadelle, la Coop… Restent à l’industrie : l’île aux Épis, le port aux pétroles au nord et le port sud. En clair, le port est coupé en deux et il y aura des résident au sud des pôles logistiques… On espère que les habitants auront le sommeil lourd et ne seront pas dérangés par les convois nocturnes de fret ferroviaire. Et si le PAS veut s’étendre, il pourra le faire… à Fegersheim au sein de la très controversée future ZAC de la CUS.

Ces négociations ont permis à la CUS d’adopter en avril 2011 le schéma directeur des Deux Rives et de lancer le chantier de l’extension de la ligne D du tram vers Kehl. Mais de nombreux points de friction subsistent. Ainsi il est prévu que la rue du Péage soit étendue pour permettre aux camions de rejoindre le sud du port en évitant la route du Petit-Rhin, devenue résidentielle. Le GUP prie pour que cette extension soit réalisée avant la réalisation des logements sur Starlette et surtout, que les logements ne débordent pas sur la nouvelle rue du Péage.

Le port s’est récemment doté de nouvelles grues pour améliorer ses services. (Photo Pascal Bastien)

De la zone aux rues agréables, un sacré challenge

Quant à la route du Port-du-Rhin, qui passe devant le siège de la Coop, elle bénéficiera de l’attention toute particulière du port, comme l’explique Nicolas Teinturier, directeur de la valorisation du domaine au PAS :

« Typiquement, la rue du Port-du-Rhin sera l’endroit, à mon sens, où les Strasbourgeois, si on arrive à faire de beaux projets dans ce secteur, pourront voir leur port. »

Le port paie aujourd’hui son développement dos à la ville depuis des décennies. Quand on traverse la zone portuaire, la perception première est celle d’un lieu triste voire sinistre, délaissé, en certains endroits inoccupé et peu sûr, en tout cas anxiogène. Des wagons rouillés stationnant depuis des années sur des voies ferrées, recouvertes d’herbes hautes, complètent le tableau. Désormais, le port doit plaire aux Strasbourgeois et les accueillir, tout en continuant à exercer son rôle. Un casse-tête.

Des commerces et un système de garde d’enfants

Le port commencera par installer le long du môle Citadelle, derrière les Cafés Sati, une nouvelle gare fluviale afin de permettre la mise à quai de bateaux de croisières. Ce nouveau quai permettra la création d’une liaison fluviale entre le port et le centre-ville, et pourra servir aux touristes avec un accès au tramway. Puis le port va désormais s’intéresser à l’esthétique. Terminées les longues routes urbaines crasseuses bordées de bâtiments rouillés, place aux espaces verts, aux massifs, aux pistes cyclables, à un éclairage public plus chaleureux et… aux vitrines ! Les premiers aménagements devraient sortir de terre au second semestre. Autres aménagements prévus : une restauration collective, un système de garde d’enfants, des commerces et des services de proximité, une gestion collective des déchets !

Le Port Autonome n’a pas le choix : pour que les nouveaux voisins des industries acceptent le port, ils doivent l’aimer. Et pour ça, les rues du port ont besoin d’un sérieux lifting. Faute de quoi, les entreprises considéreront le port comme un territoire en perte de vitesse, comme l’explique Nicolas Teinturier :

« Quand vous regardez l’histoire des industries et leur localisation, progressivement elles se sont éloignées des villes, ensuite la ville les a rejoint. Maintenant on est dans une situation où quand elles partent, elles ne partent pas 30 km plus loin. Elles partent définitivement. Il faut travailler avec la collectivité, les urbanistes, pour trouver une imbrication ville-port la plus équilibrée possible. La première qualité d’une zone d’activité est la qualité de ses infrastructures. »

L’un des défis le plus important du port sera de trouver un moyen pour que ses rues ne soient plus systématiquement utilisées par les réseaux de prostitution. Avoir des filles en tenues légères sur le bord d’une route uniquement fréquentée par des routiers est une chose, les mêmes filles côtoyant des familles avec leurs poussettes en serait une autre. Pourtant sollicités à de nombreuses reprises par le Port Autonome, les pouvoirs publics sont restés bien passifs jusqu’à présent face à la présence de réseaux de prostitution sur le port. Avec l’arrivée des résidents, la police aura du mal à rester sur cette ligne.

1,1 millions d’euros publics pour les mobilités

Puisque les mobilités et l’accès du Port font partie des principales doléances des entreprises, la CUS a initié un plan de déplacement inter-entreprises (PDIE) appelé PEPS (plan de déplacement des entreprise du port de Strasbourg). Il a vu le jour en mai 2012 mais ce n’est qu’en février 2014 que la CUS a pris une délibération (n° 68 de ce recueil, PDF) votant 1,1 million d’euros de subventions pour améliorer les accès et la circulation au sein du port (amélioration des lignes CTS 14 et 27, cheminements piétons, pistes cyclables rue du Rhin-Napoléon et rue du Havre, etc).

Il était temps ! Se balader en vélo au port-du-Rhin relève toujours de l’exploit, ce qui explique que 75% des salariés du port, même s’ils habitent à Strasbourg, viennent en voiture.

Réduire les flux, créer des zones tampons

Le port va aussi devoir sérieusement réduire le flux de camions traversant son domaine. Pour cela, l’autorité incite 16 entreprises à s’échanger leurs flux d’énergie, plutôt qu’à en faire venir d’ailleurs. Ensuite, le PAS a doté le terminal nord d’un 3e portique pour améliorer le chargement des conteneurs des trains vers des barges. L’idée est de proposer une alternative fluviale crédible et compétitive à la route.

Quant aux voisinages délicats, Nicolas Teinturier prévoit de créer des « zones tampon » entre les industries et les habitations :

« On ne va pas mettre en contact une malterie (Soufflet, rue du Port-du-Rhin, ndlr) avec des habitants. Ce serait programmer des conflits. Même chose avec le terminal à conteneurs, il y a de la manutention, du bruit… Donc on va aménager des zones de transition, où les bâtiments seront vides la nuit et bloqueront les nuisances. »

Est-ce que ça suffira ? Nicolas Teinturier croise les doigts et rappelle :

« À l’époque de Stracel et de la cellulose de Strasbourg, vous pouviez avoir de la neige, un micro-climat. Tout ça n’existe plus. Par contre, dans l’imaginaire collectif, c’est encore présent. Les entreprises aujourd’hui font beaucoup d’efforts, mais les gens ont toujours une vision de l’industrie des années 60, lorsqu’elle avait tous les droits. Ça va demander beaucoup d’explications et de communication. »

Et peut-être même un peu plus. En 1991, l’Association des résidents de Neudorf (Aran) avait organisé une campagne de « renifleurs », invitant les habitants de la Musau à recenser les odeurs et à en faire part aux élus et aux autorités suite à des nuisances olfactives venant de Stracel. On en est plus là aujourd’hui, mais la suspicion est toujours de mise.

L’architecte strasbourgeois Gérard Altorffer avait rêvé pour le port d’une « ville mixte », apaisée et répondant à toutes les fonctions urbaines. Il faudra encore quelques années pour y parvenir, en rappelant que les ambitions de la ville ne sont pas éteintes avec l’appropriation de l’axe Deux-Rives et que de son côté, le port doit faire face à une rude concurrence dans la vallée du Rhin et doit, lui aussi, continuer à se développer.

Pierre France
Fabien Gattelet


#Les Deux-Rives

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