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Le plan hivernal sera insuffisant, comme tous les ans

Depuis le 15 novembre, les associations engagées dans l’accueil et l’hébergement d’urgence bénéficient du renfort du plan hivernal. Quelque 700 000 euros supplémentaires à un dispositif annuel qui avoisine les 22 millions d’euros. Dans le Bas-Rhin, 330 places ont été ajoutées, elles sont déjà occupées. Ce plan hivernal sera sans doute insuffisant, les associations caritatives font état d’un surcroît d’activité historique.

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Les associations caritatives alertent sur l’augmentation du nombre de personnes prises en charge (Photo I C U / FlickR / CC)

Le plan hivernal est chaque année un grand moment de communication gouvernementale, où sont mis en regard des millions d’euros (50 cette année) et des nombres de lits supplémentaires pour que des personnes sans-abri puissent passer l’hiver. Mais la réalité de l’hébergement d’urgence est infiniment plus habituelle et complexe. Les structures d’accueil sont réparties par missions : celles pour les demandeurs d’asile, celles pour les personnes orientées par le service d’appel du 115, celles pour les familles, les lits pour quelques nuits, ceux pour quelques semaines, les places en hébergement temporaire, ceux réservés pour la loi Droit au logement (Dalo), etc. Et à chaque mission, correspond un financement, en provenance des ministères du logement, de la santé, ou même de l’intérieur…

Du coup, les associations se sont adaptées et remplissent consciencieusement les critères des appels d’offres émis par l’Etat. L’ennui est qu’il devient de plus en plus difficile de faire coïncider les programmes avec les besoins. Au sein de mêmes structures se côtoient des lits attachés à des missions différentes. Pour les responsables de structures, cet exercice de jonglage est parfois plus usant que les difficultés liées à l’accueil de situations personnelles critiques.

Un enchevêtrement de missions distinctes

Jean-Michel Hitter est secrétaire général de L’Étage et président du Service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO), qui coordonne les associations impliquées dans l’hébergement d’urgence :

« Les nouvelles règles imposées par l’État forcent les structures à être plus malines, à mieux cibler leurs publics. Les grands dortoirs, c’est terminé. L’objectif est d’apporter à chaque public une réponse sociale adaptée et de s’assurer du caractère temporaire de son hébergement. Alors évidemment, ça crée une tension sur les petites structures, qui doivent par exemple se mettre à plusieurs pour répondre à certains appels d’offres… ou reclasser une partie de leur personnel. Et puis il y a un risque de concurrence entre les associations, même si l’enveloppe globale des financements reste stable. »

Dans le Bas-Rhin, l’État dépense chaque année environ 21 millions d’euros pour l’hébergement temporaire et d’urgence, pour environ 3 000 places. Sur cette somme, 7 M€ sont consacrés à l’accueil des demandeurs d’asile et 15 M€ pour les autres personnes en difficulté de logement. Cette année, le plan hivernal ajoute 770 000€ et 290 places d’hébergement et 40 places de « mise à l’abri », des dortoirs où les personnes ne peuvent rester que trois nuits.

Selon le préfet du Bas-Rhin, Stéphane Bouillon, le dispositif hivernal permet au système d’accueil de respirer un peu et même d’avoir de la marge. Mais selon les intervenants, à peine mis en place, le dispositif est déjà surchargé, comme l’explique un responsable de structure :

« Ça fait deux mois qu’on est plein, on est tout le temps plein même avec les lits supplémentaires du plan hivernal. Chez nous, ce dispositif revient à rajouter des lits dans des chambres, mais la promiscuité s’accroît d’autant. Il y a beaucoup de personnes dehors de toutes façons, notamment beaucoup de personnes isolées, en cours de demande d’asile ou déboutées… Le système est engorgé à tous les étages et du coup, il est difficile d’assurer une rotation de l’hébergement d’urgence. »

Des structures déjà pleines

Alors que les grands froids ne sont pas encore là, il faut appeler une dizaine de fois le soir avant que le 115 n’ait une ligne de libre pour décrocher. Amina Bouchra est directrice-adjointe d’Horizon Amitié. Elle s’occupe notamment de l’Espace Bayard, rue des Remparts, un accueil de jour qui se transforme en dortoir pour 30 personnes la nuit venue, uniquement pendant l’hiver :

« On installe des matelas gonflables avec des sacs de couchage. Les personnes mettent leurs affaires dans des sacs plastiques pendant trois jours et ensuite, ils doivent trouver un autre endroit où dormir. Depuis qu’on a ouvert le 15 novembre, c’est plein tous les jours, que ce soit nos places dédiées au 115 ou celles dédiées à la Maraude. »

Même son de cloche chez l’association Regain, qui cogère dans le cadre du plan hivernal une trentaine d’appartements pour les familles. Colette Brodhag est la directrice de Regain :

« Au vu de l’expérience des autres années, on sait très bien que tous les appartements vont être rapidement occupés par des familles. L’ennui est qu’on a peu de temps pour leur trouver des solutions de logement pérennes puisque le dispositif se termine en mars. On a averti les personnes recrutées pour cette mission que la sortie du plan hivernal allait être un moment très difficile à vivre… Ce plan hivernal est bienvenu, mais ce travail d’accompagnement devrait pouvoir être mené toute l’année. »

Car ce plan hivernal produit des effets pervers, dus à sa saisonnalité, outre l’abandon de personnes difficilement mises à l’abri pendant quelques semaines. Les employés sont embauchés en CDD, une précarité institutionnalisée dans un domaine où l’expérience, la patience et l’apprentissage de l’écoute sont des valeurs cardinales. Dans les missions du plan 2012, le gouvernement a intégré des « projets territoriaux de sortie de l’hiver ». Les préfets sont chargés de trouver des solutions pour les personnes hébergées avec les collectivités locales et les bailleurs sociaux… Mais tout ce petit monde se connait déjà, notamment dans le cadre du droit au logement et on voit mal quels projets nouveaux pourraient naître sans crédits supplémentaires.

Tous les signaux d’alerte activés

Mais surtout, les travailleurs sociaux sont très inquiets. Ils ont reçu de la part des associations caritatives, en amont d’eux-mêmes dans la lutte contre la précarité, des signaux d’alerte inquiétants. Les aléas économiques ont envoyé sur les routes de nouvelles personnes : des travailleurs migrants d’Afrique du nord devenus indésirables dans les pays d’Europe du sud, d’autres en provenance de l’est et les demandeurs d’asile toujours aussi nombreux…

André Clavert, délégué régional de Médecins du monde, confirme :

« On a constaté une hausse de 20 à 30% de notre activité… C’est un mouvement qu’on n’avait pas vu depuis des décennies et ce, alors qu’avec l’ouverture de La Boussole par l’Hôpital civil, nous aurions dû voir le nombre de nos consultations baisser. »

L’an dernier, le plan hivernal avait dû être rallongé de 120 000€ et des chambres d’hôtels avaient dû être réquisitionnées.


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