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Le Nozze di Figaro, ou la revanche des femmes face à la domination masculine

L’Opéra National du Rhin présente Le Nozze di Figaro, un opéra bouffe de Mozart particulièrement d’actualité puisqu’il aborde le système patriarcal, la domination des hommes et le harcèlement sexuel. Alors que l’affaire Weinstein libère la parole des femmes, cet opéra montre la revanche de certaines d’entre elles.

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C’est l’un des plus grands classiques de Mozart. Si Le Nozze di Figaro, opéra bouffe créé à Vienne en 1786, peut nous paraître éloigné – du moins sur le plan chronologique, il aborde pourtant des thèmes tout à fait actuels comme la condition des femmes, la pression exercée par la hiérarchie sociale et professionnelle, ou encore l’ambivalence des sexes. Cette folle journée présente une palette de personnages : le libertin, l’amoureux, le passionné, la rusée… dans un opéra à la fois léger par le ton et violent par les aspects qu’il aborde.

Acte II: Susanne et Figaro (à gauche), et le comte et la comtesse d’Almaviva (à droite) se retrouvent dans la chambre de cette dernière (Photo: Klara Beck)

Et si les noces de Figaro et Susanne se préparaient en maison de couture ?

Pour sa mise en scène des Nozze, Ludovic Lagarde a pris le parti de placer l’intrigue dans l’univers de la mode, se servant ainsi de sa propre expérience des défilés de Christian Lacroix, avec lequel il avait également collaboré en 2008 pour les costumes de son Roméo et Juliette. Il explique notamment à ce sujet :

« J’ai la confirmation, depuis que nous sommes sur scène, que d’avoir placé Le Nozze di Figaro dans une maison de couture me permet de jouer avec les idées de tradition et de modernité. Les grandes maisons de couture parisiennes sont à la fois héritières de cette tradition française de la mode et de la couture, et le lieu de la création contemporaine, de toutes les audaces et de l’avant-garde. »

Le poids pris par la hiérarchie ainsi que l’importance des figures masculines en font par ailleurs un théâtre tout à fait adéquat pour traiter de la domination qu’exercent des hommes de pouvoir, comme le comte Almaviva (Davide Luciano), sur les femmes. Ces dernières sont réduites à être objets de désir et de fascination. Le comte, sous les traits d’un grand couturier tyrannique, installe ainsi Susanna (Lauryna Bendžiūnaité) dans un divan à la manière d’un mannequin dès l’ouverture. Au cours du troisième acte, il maltraite un modèle en déchirant sa robe avant de badigeonner, de force, ses lèvres de rouge.

Acte II: Dans une scène digne d’un vaudeville, la comtesse tente de dissuader son mari d’ouvrir son cabinet de toilettes dans lequel elle a caché Chérubin (Photo: Klara Beck)

Le déguisement pour faire tomber les masques

Chez Beaumarchais, comme chez Marivaux, l’apparence et le déguisement prennent une place de premier plan. Ainsi, la Haute-Couture trouve sa raison d’être dans le jeu de costumes, notamment au troisième acte où Chérubin, interprété par la mezzo-soprano Catherine Trottmann, est travesti en femme afin de se rendre à la célébration donnée en l’honneur de la comtesse.

L’interprète de ce personnage sait mettre en exergue les intérêts qu’il présente par son ambivalence sexuelle (adolescent, interprété par une femme, passant d’un sexe à l’autre), ainsi que par son rapport aux femmes chez qui il provoque le désir et au milieu desquelles il peut se fondre. Il est le personnage le plus subversif de la pièce, celui qui bouleverse les règles et est en même temps un révélateur des désirs cachés.

Le décor sait lui aussi mettre en valeur les jeux de dissimulation et d’espionnage qui font des Nozze un vaudeville avant l’heure ! Les grands rouleaux de feutrine qui évoluent tout au long du spectacle permettent aux différents protagonistes d’essayer de garder un coup d’avance dans leurs différents plans, ou de dévoiler ceux des autres.

Femme trompée, femmes trompeuses

Les véritables stratèges de l’oeuvre, ce sont les femmes : elles savent utiliser les déguisements à bon escient afin de démasquer les filouteries du comte. Le plan initial de Figaro (Andreas Wolf) ne sera pas exécuté, et à partir du troisième acte, ce sont elles qui prennent la main, en s’alliant par-delà les classes sociales. Le plan échafaudé par la comtesse et Suzanne pour permettre à cette dernière d’épouser Figaro est ignoré de tous les protagonistes masculins, y compris le futur mari.

Lorsque Figaro aperçoit la comtesse, déguisée sous les traits de Susanna, il se croit trompé avant de comprendre qu’il a simplement été roulé dans la farine avec audace et finesse, comme le comte ! Grâce à l’aide de ses camarades, la comtesse Almaviva (Vannina Santoni) transforme son statut de femme trompée par les agissements de son mari, à trompeuse. À la fin de la pièce, elle accorde finalement son pardon au comte, agenouillé à cette occasion. La solidarité dont font preuve les femmes leur permet de se défendre et de gagner une part de liberté.

Acte IV: La comtesse s’est déguisée en Susanna, portant ici sa robe de mariée, à sa droite Chérubin vient lui faire la cour (Photo: Klara Beck)

Une mise en scène rattrapée par l’actualité

Le hasard de l’actualité confère à l’oeuvre un écho tout à fait retentissant. Ludovic Lagarde met ici en parallèle les Nozze et les scandales liés au harcèlement qui éclatent au grand jour depuis quelques semaines. Le comte s’arroge un droit de cuissage, privilège absurde dû à son rang social et appartenant au vieux monde d’avant la Révolution. Aujourd’hui, ces abus renvoient à ceux qui ont toujours cours dans des milieux très hiérarchisés comme – entre autres ! – celui de la mode :

« En soulignant l’importance des femmes dans cet opéra, je crois que nous contribuons à en faire non pas une oeuvre moderne, mais je dirais plutôt présente. C’est une lecture à la fois fidèle à Mozart et Da Ponte et qui dit quelque chose d’essentiel de notre époque. C’est assez étrange d’ailleurs de préparer cette mise en scène au moment où surgit l’affaire Harvey Weinstein. (…) Ce que révèle cette affaire, c’est l’extraordinaire système mis en place, avec des complicités parmi certains collaborateurs, qui ont permis que ces pratiques de domination sexuelle se déploient pendant plusieurs décennies. »

Acte IV: Susanna apparait sous les traits de la comtesse dans un jeu de dupes que Figaro peinera à débusquer (Photo: Klara Beck)

Le Nozze di Figaro parvient à trouver un équilibre subtil entre distanciation et aspects plus contemporains, entre légèreté de ton et gravité des enjeux, le tout sous la direction musicale de Patrick Davin. Les costumes, signés Marie la Rocca, révisent notamment robes à panier, tenues de couturières et même haute-couture – l’arrivée d’un mannequin à la fin de la représentation vient accentuer l’atmosphère « défilé de mode ».

Les décors, minimalistes mais efficaces, d’Antoine Vasseur sont métamorphosés par le travail des lumières de Sébastien Michaud. Les Nozze se jouent encore à l’opéra de Strasbourg jusqu’au 31 octobre, et à la Filature de Mulhouse jusqu’au 12 novembre. On conseille d’y faire un tour !


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