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Le Neuhof à nouveau prioritaire, comme depuis quarante ans

Parmi les quinze zones identifiées en France comme « prioritaires » pour l’action de l’Etat contre la délinquance figure… le Neuhof. Pourtant, ce quartier de Strasbourg a bénéficié depuis plus d’une dizaine d’années d’un programme de rénovation sans précédent et ne souffre plus la comparaison avec les Tarterêts à Corbeil-Essonne ou les quartiers nord de Marseille. Mais le trafic de drogue continue d’alimenter l’économie souterraine du quartier et des bandes plus structurées ont fait leur apparition.

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Une vue du Neuhof (Usien / Wikimedia Commons / CC)

Les habitants du Neuhof à Strasbourg, ses acteurs de terrain et même les policiers n’ont pas été surpris de voir ce quartier listé parmi les quinze « zones de sécurité prioritaires » (ZSP), annoncées par le gouvernement le 4 août. Comme à chaque fois qu’il est question d’une action ciblée de l’Etat en matière de délinquance, le Neuhof se retrouve dans la liste. L’objectif des ZSP, une promesse de campagne de François Hollande, est d’instaurer « une action de sécurité renforcée sur des territoires bien ciblés, caractérisés par une délinquance enracinée et de fortes attentes de la population », selon le ministre de l’Intérieur Manuel Valls. Mais concrètement, il est bien difficile de savoir ce qu’il adviendra du Neuhof.

Khoutir Khechab, directeur du centre socio-culturel du Neuhof, avoue sa lassitude :

« Ce énième classement dans une liste négative ne va rien changer pour les habitants, on a l’habitude, ça fait des dizaines d’années que la notoriété du quartier est surfaite. Avoir le Neuhof dans ce genre de programme permet à la Ville de recevoir des subventions de l’Etat, c’est comme ça depuis les années 70. La dernière fois, c’était avec le plan Espoir Banlieue de Fadela Amara et rien n’a changé ici. Le seul programme qui a eu un réel impact, c’est celui de l’Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine) qui a transformé le quartier. »

Effectivement, depuis quelques années, le Neuhof s’est transformé à coups de millions d’euros (200 M€ dépensés à ce jour). Les barres d’immeubles insalubres s’effacent et des logements décents ont pris leur place. L’arrivée du tramway fin 2007 a désenclavé le quartier et la création de zones artisanales défiscalisées a permis d’implanter quelques entreprises. Alors, pourquoi le Neuhof est-il encore dans les listes noires ?

Pour Michel Hamm, chef du service éducatif de l’association OPI à Neuhof, c’est sa réputation qui continue de nuire au quartier :

« Depuis les rénovations, on sent un apaisement général. On est très loin ici des autres quartiers concernés par les ZSP, on ne peut pas parler de zone de non droit, comme dans les années 2000. Mais le Neuhof est connu dans tout le Bas-Rhin et même au-delà comme une plaque tournante du deal de drogue. Les gens viennent de loin pour se fournir. Cette activité parallèle gangrène tout : le trafic se fait au vu de tous, il n’y a qu’à tendre la main. La police est très présente, mais ses fouilles au corps systématiques sur les places ou dans le tram sont très violentes pour les particuliers, qu’on en soit le sujet ou un témoin. Tout ça participe à un sentiment d’insécurité général. Je doute qu’un plan localisé comme les ZSP y change quelque chose, mais on attend de voir. »

Robert Grossmann, ancien maire délégué de Strasbourg, n’attend pas lui, et pointe « un effet d’annonce » :

« L’urbanisme a transformé le quartier, qui va bien mieux aujourd’hui. Pourquoi stigmatiser à nouveau le Neuhof ? Il y a du trafic de drogue au Neuhof, certes mais comme dans tous les quartiers et également en zone rurale ! Pointer du doigt comme ça un quartier et ses habitants, ce n’est pas la bonne solution. Le ministre de l’Intérieur n’apporte aucune solution concrète. »

Mais pour Annick Neff, adjointe de quartier, ce nouveau classement n’est pas forcément négatif :

« Les gens demandent que le trafic de drogue cesse. La ZSP, c’est indiquer qu’un effort particulier sera mis sur la sécurité, mais ça n’empêche pas la poursuite du plan de rénovation. »

Les policiers attentistes

Selon une note du ministère de l’Intérieur, le Neuhof a été choisi à cause du trafic de drogue, des voitures brûlées et de l’apparition de phénomènes de bandes. La ZSP prévoit qu’une « cellule de coordination opérationnelle » soit mise en place, afin de coordonner les services de police, du Parquet et de la Ville. Les ZSP recevront également des renforts de policiers, mais pris à d’autres secteurs ou d’autres missions.

Il n’est pas question, à ce jour, de doter les ZSP de moyens spécifiques, ce qui fait craindre aux syndicats que ce nouveau plan ne soit qu’une coquille vide. Michel Bonnet, du syndicat d’officiers de police Synergie :

« Si la ZSP se fait à moyens constants, à effectifs constants, dans six mois, on se rendra compte que ça ne sert à rien et plus personne n’en parlera. Si la ZSP permet en revanche d’inclure la justice dans une stratégie ciblée, par exemple en écartant systématiquement les fauteurs de troubles, qui ne sont pas nombreux, alors ce sera un progrès.  Mais je suis inquiet, le gouvernement envoie des signaux contradictoires : d’un côté il supprime les peines planchers, de l’autre il lance cette initiative… »

La police nationale, qui a refusé de répondre à nos questions, est très présente au Neuhof. Un commissariat de quartier y est implanté et des patrouilles ont régulièrement lieu la nuit. Rien que pour le mois de juillet, au moins trois descentes de police ont eu lieu dans la cité, soit pour amener des suspects, soit pour trouver des produits stupéfiants. Pour certains policiers, le trafic de drogue s’est enraciné dans le quartier, sa permanence a créé plus qu’une économie souterraine, une petite société parallèle. Pour Franck Stéphan, du syndicat d’officiers de police SCSI, cibler un quartier est une erreur :

« Un quartier comme le Neuhof, son problème, c’est les flux. Des gens viennent pour se fournir, d’autres apportent de la drogue… Il faut une stratégie globale d’emploi des forces disponibles, dont la gendarmerie, pour venir à bout du problème. Un traitement en profondeur de lutte contre l’économie souterraine. Si on ne fait que rajouter une strate de coordination supplémentaire, c’est encore des rapports et des multi-réunions avec des multi-partenaires… Je crains qu’on perde en réactivité et en efficacité. »

En attendant, le trafic continue. La barrette de shit au Neuhof se négocie entre 10 et 20 euros.


#Annick Neff

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