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Le harcèlement scolaire devient un délit, une loi insuffisante selon Céline Huet, psychologue pour enfant

Depuis la loi du 2 mars 2022, le harcèlement scolaire est reconnu comme un délit pénal. Psychologue clinicienne au Centre Médico-Psycho Pédagogique (CMPP) de Colmar, Céline Huet considère que cette loi est insuffisante et souhaite que d’autres mesures soient mises en place.

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Intimidations, moqueries, insultes, menaces, agressions physiques… Le harcèlement scolaire prend diverses formes et pousse au suicide, même chez les plus jeunes. Rue89 Strasbourg a relaté en décembre 2021 l’histoire de Dinah qui s’est suicidée à seulement 14 ans en raison du harcèlement qu’elle subissait dans son collège mulhousien.

Depuis le 2 mars 2022, le harcèlement scolaire est reconnu comme un délit pénal. Auparavant, les cas de harcèlement scolaire étaient jugés sous la loi du 4 août 2014 concernant le délit de harcèlement. Les peines encourues variaient d’un à trois ans d’emprisonnement et de 15 000 à 45 000 euros d’amende.

Les personnes jugées comme responsables de harcèlement scolaire encourent aujourd’hui jusqu’à 10 ans de prison et 150 000 euros d’amende en cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime. Les téléphones et les ordinateurs utilisés pour harceler un élève pourront être confisqués et les acteurs d’internet auront l’obligation de modérer les contenus de harcèlement scolaire sur les réseaux sociaux. Enfin, les établissement devront eux-mêmes fixer les lignes directrices et les procédures destinées à la prévention, à la détection et au traitement des faits de harcèlement.

Céline Huet est psychologue clinicienne au centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) de Colmar. Dans ce cadre, elle accompagne notamment des victimes de harcèlement scolaire. Entretien.

Céline Huet, psychologue au CMPP de Colmar. Photo : Evan Lemoine / Rue89 Strasbourg / cc

Rue89 Strasbourg : Selon vous, cette nouvelle loi promulguée va-t-elle changer les choses ?

Céline Huet : Elle permet davantage la reconnaissance du harcèlement scolaire, sensibilise d’autant plus les établissements scolaires et responsabilise toutes les parties face à ce fléau. Mais dans les faits, cette loi semble peu applicable. Qui peut être considéré comme responsable ? Il n’y a jamais qu’une seule personne coupable dans le cadre du harcèlement scolaire. Il y a des effets de groupes. Certains sont harceleurs et harcelés. Les enfants reproduisent souvent une violence qu’ils ont eux-mêmes vécue, à la maison par exemple.

De plus, des stéréotypes touchant les personnes désignées comme « harceleurs » pourraient amener à des sanctions injustes. On va souvent pointer du doigt des personnes racisées en les percevant comme étant des « racailles », alors qu’elles ne sont même pas à l’origine du phénomène. On va également accuser à tort les enfants ayant des Troubles de Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH) en raison de la méconnaissance de cette pathologie. Dans la pratique, cela arrive.

Globalement, ces mesures sont insuffisantes car le phénomène de harcèlement scolaire est un phénomène de société. Ce n’est pas une simple sanction pénale qui l’arrêtera, mais davantage la prévention, un travail de fond dans la société. Les enfants sont très cruels entre eux car ils sont dans l’innocence et la spontanéité. Les adultes sont les premiers responsables du harcèlement scolaire car les enfants agissent beaucoup par mimétisme. C’est aux adultes de leur inculquer des valeurs de respect et de tolérance. La nouvelle loi ne fixe pas de cadre précis pour un plan de prévention intense avec les moyens nécessaires.

En tenant compte de cela, que préconisez-vous dans le prolongement de cette loi pour lutter de manière efficace contre le harcèlement scolaire ?

Des choses ont déjà été faites. La Maison de l’Adolescent (MDA) organise des interventions en milieu scolaire pour prévenir le harcèlement et des formations sont proposées au corps enseignant. Un travail de prévention est également réalisé depuis le collège, notamment sur le sujet du cyberharcèlement. Néanmoins, les formations sautent souvent en raison du peu de professeurs présents, et quand la MDA intervient, c’est toujours parce qu’un enseignant en a fait la demande. Ces interventions devraient avoir lieu systématiquement.

Il faudrait aussi que l’Éducation Nationale engage de vrais formateurs qui interviendraient régulièrement dans les classes, que ce soit au collège ou au lycée. Il est primordial de former tout le personnel scolaire afin qu’il puisse reconnaître les signes du harcèlement, faire un travail de prévention et savoir quels sont les outils pour faire face à une situation de harcèlement.

Il faudrait également faire de la prévention par le biais de cours de vie de classe dès la crèche ou la maternelle afin de faire comprendre aux enfants qu’on ne doit pas rejeter autrui sous prétexte de différence. Il y a enfin un véritable travail de sémantique à faire car tous les mots ont un impact sur la personne à qui on les prononce. Un coup fait mal de manière instantanée tandis que les mots font mal de manière permanente. On ne peut pas tout dire, notamment si l’on représente une figure d’autorité.

Par exemple, que doit-on faire si l’on est témoin d’une situation de harcèlement scolaire ?

En tant qu’enfant, si l’on est témoin d’harcèlement scolaire, il faut le dire à un adulte. En tant que parent, il faut en parler au corps enseignant. Si rien n’est fait, il est possible de porter plainte. En tant qu’adulte de manière générale, si un enfant nous dit quelque chose, il faut qu’on fasse quelque chose. Même si la victime craint des représailles ou ne souhaite pas qu’on en parle, il est important d’agir car c’est aux adultes de protéger les enfants. En cas d’inaction, la situation a plus de chances d’empirer.


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