Chef du service urgences des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, Pascal Bilbault décrit pour Rue89 Strasbourg la préparation de ses équipes à une deuxième vague de Covid-19. S’il espère une seconde séquence « plus longue, moins intense », le médecin craint malgré tout un manque de personnel pour faire face au retour des hospitalisations liées au coronavirus tout en maintenant l’activité « normale » du service, qui fera aussi face à l’épidémie saisonnière de grippe à partir d’octobre.
Rue89 Strasbourg : À Strasbourg, est-ce que nous faisons face à une seconde vague de coronavirus ?
Pascal Bilbault : Tout dépend de ce qu’on appelle seconde vague. Il y a bien un retour de patients infectés Covid, mais pas du tout dans la même configuration qu’en mars / avril. Cette fois, les équipes médicales s’y attendent. Nous avons une meilleure organisation : on peut faire mille tests par jour, contre une dizaine au tout début. Pour les équipements de protection individuels aussi, il n’y a plus de tension sur les masques, ni sur le gel hydroalcoolique.
Et puis la population se protège. On porte un masque dans les transports, au bureau, dans la rue… Il y a aussi le lavage des mains qui est un geste barrière majeur, il faut insister là-dessus. Tous ces réflexes permettent de réduire l’ampleur de cette seconde vague.
Mais on observe bien le début d’une seconde séquence. Elle reprend d’abord dans les appels au 15. Fin août, nous avions déjà entre deux et trois fois plus d’appels liés au Covid qu’en juin. Pour l’instant, les gens ne demandent que des conseils ou des indications pour aller se faire dépister. Ces dernières semaines, nous n’avons pas eu de patients à chercher en ambulance pour détresse respiratoire grave et qui se seraient révélés positifs une fois aux urgences.
La seconde vague est-elle déjà observable dans les unités d’hospitalisation ou de réanimation aux urgences de Strasbourg ?
Aux urgences, on teste tous les patients. Dans la semaine du 1er septembre, nous avons eu cinq patients positifs. La semaine suivante, nous avons eu deux patients contaminés. En trois semaines, cela fait une dizaine de patients diagnostiqués positifs aux urgences des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS). Une seule personne parmi cette dizaine de patients est allée en réanimation. Cela paraît peu, mais en juin et juillet, nous n’avons eu aucun cas positif.
Comment expliquer que le taux de transmission augmente sans que le nombre d’hospitalisés augmente?
Plus on teste, plus on trouve des cas positifs. Mais il y a des patients asymptomatiques qui n’ont pas besoin d’aller à l’hôpital, et c’est tant mieux. On ne va pas se plaindre d’une baisse continue des hospitalisations. L’avantage des tests PCR, c’est de pouvoir les isoler et trouver les cas contacts. L’idée, c’est de maintenir le taux de reproduction (R0) du virus le plus bas possible. Pour l’instant, le R0 est à 1,3 dans le Bas-Rhin (une personne positive contamine en moyenne 1,3 personne). C’est pas mal quand on sait qu’on était autour de 3-4 au mois d’avril. Tout ça vient du respect des gestes barrières.
Quel est votre état d’esprit face à cette seconde vague ?
Le nombre de cas hospitalisés va augmenter, c’est sûr. Depuis la semaine dernière, on a fait rebasculer une unité de 11 lits en mode Covid. Le plan B, si la seconde vague était plus importante que prévue, ce serait de transformer une unité de pneumologie et une unité de gériatrie pour accueillir le Covid.
« Il risque d’être impossible de gérer l’activité habituelle plus une nouvelle vague »
Le problème, c’est qu’il va falloir traiter ces patients tout en traitant tous les autres, qu’on n’avait plus pendant le confinement. Il y a toujours une tension sur le personnel paramédical (infirmières, aide-soignantes). Si le taux de contamination explose, il risque d’être impossible de gérer de front l’activité habituelle plus une nouvelle vague.
Les équipes médicales sont-elles prêtes à faire face à une deuxième vague ?
Tout ceux qui travaillaient dans des unités de médecine et de chirurgie ont bossé comme des fous ces derniers mois pour rattraper l’activité interrompue des mois de mars et avril. Les médecins, les infirmières, les aides-soignantes sont donc fatiguées. D’autres sortent aussi de la séquence coronavirus avec la fierté de s’être dépassés, mais ils craignent que ces situations deviennent la norme.
Avez-vous des inquiétudes particulières face à la prochaine vague ?
Aujourd’hui, la question qui se pose porte sur la gestion du coronavirus en même temps que la grippe, dont les symptômes sont similaires. On ne sait pas encore comment organiser les frottis pour les deux virus. Et il faudra s’organiser pour avoir des résultats rapides, deux ou trois fois par jour. Si nous obtenons des résultats 24 heures après le test, c’est déjà trop tard pour les urgences, qui doivent admettre les patients au plus vite. Ici aussi, le problème de la rapidité des résultats vient d’une tension sur le personnel…
« Cette seconde vague sera plus longue, mais moins intense »
Si la seconde vague de Covid atteint la moitié de la première, on ne pourra pas maintenir l’activité normale. Il faudra peut-être déprogrammer à nouveau… Je pense que cette seconde vague sera plus longue, mais moins intense.
Refaire des déprogrammations peut être lourd de conséquences. Imaginez tous ceux qui attendaient une chirurgie pour un cancer… Et même pour la simple pose d’une prothèse de hanche, cela ne semble pas urgent, mais un rendez-vous reporté de trois mois, ça peut pousser le patient à rester immobile plus longtemps. Il peut perdre en autonomie, perdre en musculation, voire chuter…
Quand en saura-t-on plus sur l’intensité de la seconde vague ?
On aura une bonne idée fin septembre, quand tout le monde sera rentré de vacances. La plupart de ces cas positifs sont des personnes qui reviennent du bassin méditerranéen. Nous n’avons pas identifié de cluster local pour l’instant.
Le Ségur de la Santé a-t-il déjà changé la donne pour le personnel soignant ?
Le Ségur de la Santé nous a donné de l’espoir mais pas de résultat pour l’instant. C’est difficile d’attendre la première augmentation pour les infirmières. Il faudrait que ces annonces soient suivies d’effets concrets immédiats sinon les gouvernants vont encore passer pour des gens qui promettent mais ne font rien.
Aux HUS, d’après la directrice des ressources humaines, on a pu embaucher 240 infirmières au mois d’août. Il y a toujours des manques, mais c’est une bonne nouvelle. Maintenant, il faut consolider le salaire de ces infirmières pour les garder.
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