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Dans les baskets de Larouci Didi, du Neuhof à Asphalte

À l’affiche d’ Asphalte, le nouveau film de Samuel Benchetrit, Larouci Didi n’en n’est pas à son premier coup d’essai. À 23 ans, le jeune homme, originaire du Neuhof, a tenu l’un des rôles principaux dans le film d’Abd Al Malik Qu’Allah bénisse la France sorti l’an dernier et a déjà une petite carrière dans le rap. Pour Rue89 Strasbourg il parle de cinéma, de musique mais aussi de chômage et de son quartier, le Neuhof.

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À 23 ans, Larouci Didi est à l’affiche d’Asphalte, sorti en salles le 7 octobre (Photo: Bartosch Salmanski/M4tik)

S’il y a une chose qui étonne Larouci Didi aujourd’hui, c’est d’être reconnu dans les rues de Strasbourg quand il se balade. Être arrêté par les passants qui lui demandent de poser pour une photo n’est pas vraiment son truc.

Pourtant le jeune homme n’est plus un inconnu depuis qu’il a participé en 2014 au film d’Abd Al Malik tourné dans le quartier du Neuhof, au sud de Strasbourg. Aujourd’hui, il figure au casting d’ Asphalte de Samuel Benchetrit, filmé dans une cité désaffectée de Colmar et sorti sur les écrans le 7 octobre.

Arrivé au cinéma par hasard

Dans Qu’Allah bénisse la France, Larouci Didi est Samir, l’ami de Régis, alias Abd Al Malik, avant sa conversion à l’islam. C’est par hasard que le cinéma a débarqué dans le vie du jeune homme, Abd Al Malik avait repéré ses clips de rap sur internet :

« Un pote est venu me voir en me disant qu’une équipe était venue faire un casting dans le quartier et que le responsable cherchait un rappeur du quartier. En fait, c’était moi qu’il cherchait. Je croyais qu’il se fichait de moi ! Abd Al Malik leur avait parlé de moi. On m’a dit d’apprendre le rôle et de repasser le lendemain pour faire des tests. J’ai appris mon rôle par coeur, j’y suis retourné le lendemain et deux jours plus tard, c’était plié ».

Une aisance devant la caméra qui étonne les professionnels

Son aisance et son jeu d’acteur étonne l’équipe qui lui demande s’il n’a pas déjà suivi des cours de théâtre. Lui, qui a d’abord fait ses armes dans des clips se dit être à l’aise devant la caméra :

« Ça ne me dérange pas. En même temps, on me demande de jouer un mec de la rue, c’est ce que je suis. Si on m’avait demandé d’incarner le rôle d’un petit bourgeois du XVIe arrondissement de Paris ça aurait été plus dur ! »

Avant le tournage du film, il n’avait jamais rencontré Abd Al Malik, lui-même originaire du Neuhof. Comme tout son quartier, Larouci Didi a été bercé aux sons des NAP, le groupe de rap dans lequel a débuté Abd Al Malik avant qu’il ne démarre une carrière solo :

«Quand je l’ai rencontré, j’ai eu du mal à réaliser qu’il avait gagné une Victoire de la musique. Il est humble et simple. Il était habillé comme moi, casquette américaine et Jordan aux pieds. Il discutait avec tout le monde de manière très ouverte ».

Dans Asphalte, Larouci est une « silhouette parlante »

Quand Samuel Benchetrit démarre le tournage d’Asphalte à Colmar en décembre, Larouci Didi postule pour un rôle. Une démarche bien accueillie par la production, qui avait remarqué sa précédente prestation.

Dans ce film tourné dans la cité Bel Air, Larouci Didi est une « silhouette parlante ». Autrement dit, un figurant, qui squatte le bitume, l’asphalte du quartier, au milieu des vies d’Isabelle Huppert, Gustave de Kerven et Valeria Bruni Tedeschi.

Loin d’être perçu comme une star dans son quartier, le jeune homme raconte que même ses parents n’ont pas vu ses films :

« Ils savent que je fais du cinéma mais ils sont loin de ce monde-là. Tant que tu mène ta vie normalement, ça leur va. »

« Quand tu vois ma tête, mon accent alsacien ça fait bizarre ! »

Lui qui vit toujours chez ses parents du côté de la rue Lyautey, à l’entrée nord du Neuhof, parle de son quartier avec une pointe d’accent alsacien. Une manière de s’exprimer qui l’a étonné lorsqu’il s’est découvert à l’écran :

« Quand j’ai vu le film (d’Abd Al Malik), j’étais choqué de m’entendre. Quand tu vois un Arabe comme moi, tu te dis que c’est bizarre cet accent ! Je me suis demandé d’où ça sortait et en fait… Ça vient typiquement du Neuhof.»

Avant le cinéma, Larouci Didi s’est fait connaître dans le rap sous le nom de L.A.R (Photo: Bartosch Salmanski/M4tik)

Au départ, c’est en tant que rappeur, sous le nom de L.A.R, que Larouci s’est fait connaître. Plus jeune, il fréquente les ateliers d’écriture du centre socio-culturel Ziegelwasser et forme un groupe de rap, Espoir de l’Est. De la bande, il est le seul à avoir continué la musique et a même sorti un album. Mais frustré par les refus de distribution, la difficulté de pouvoir faire des scènes à Strasbourg et le manque d’inspiration, il a décidé de mettre la musique entre parenthèses.

« Trop de quartier tue le quartier »

Surtout, il souhaitait se consacrer davantage à son travail de chauffeur routier, pour lequel il a eu quelques difficultés à trouver des contrats :

« Là ça va mieux, mais c’était pas gagné. C’est déjà arrivé que sur mon CV, je mette l’adresse de ma soeur parce que 67100 Neuhof, d’office, c’est mort, ça te bloque. T’es recalé direct. Le travail c’est aussi un bon moyen de s’évader du quartier : t’es dans un cocon, tu pars le matin, tu bosse, tu rentre le soir et basta. »

Pour changer de décor, il traîne souvent ses baskets du côté de l’Esplanade ou du Rivétoile, histoire de profiter d’une terrasse et voir « de beaux bâtiments ». Larouci Didi le répète à plusieurs reprises: « trop de quartier tue le quartier. »

Après dix ans de rénovation urbaine au Neuhof, il admet que le secteur a bien changé même s’il considère que derrière la peinture, rien n’a vraiment évolué. En montrant du doigt les appartements situés au dessus du Rivétoile, il explique :

« Chez nous à la Lyautey, de nouveaux immeubles ont été construits. Mais le loyer est plus élevé : entre 800 ou 900 euros. Mais qui va payer cette somme pour venir dans le quartier ? Faut vraiment être fou ! Moi, cet argent, je le prends et je vais vivre là-bas ! »

Larouci Didi se présentera samedi au casting d’une série pour France 3 (Photo: Bartosch Salmanski/M4tik)

« De l’avenue des Vosges au Neuhof, c’est passer de Londres à Sarajevo »

Au moment de la polémique née du clip d’Abdelos, dont il est proche, il est contacté par une journaliste d’iTélé qui le présente comme le réalisateur de la vidéo, ce qu’il n’est pas. Lui aurait préféré qu’on s’attarde davantage sur le chômage qui selon lui, tue les cités : au Neuhof, il atteint 40% des moins de 25 ans. Invité de l’émission « La Voix est libre »  sur France 3 Alsace, il avait d’ailleurs interpellé Roland Ries sur la question :

« T’a beau mettre quelqu’un dans un “building” mais s’il n’a pas de travail, ça va changer quoi à sa vie ? Je l’avais interrogé là-dessus, mais bon… Il y a deux mondes entre le centre-ville et le reste. Tu vas à l’avenue des Vosges, tu y reste une journée, je te bande les yeux et le lendemain je t’emmène au Neuhof, je t’y laisse une journée : t’as l’impression que t’es passé de Londres à Sarajevo ! »

Désormais, Larouci Didi continue son chemin : lui qui dit aimer jouer la comédie mais ne pas se voir sur l’écran se présentera quand même samedi à Strasbourg, au casting pour une série de France 3.


#Neuhof

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