Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

L’Amazonisation de l’Alsace jette le trouble jusque dans les réseaux économiques

Deux projets d’entrepôt géants pour le commerce en ligne se trament en Alsace. Des implantations qui interrogent y compris les défenseurs de la libre-entreprise.

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Quelques cyclistes avec un carton sur le dos tournent sur un rond point à l’entrée de Dambach-La-Ville. Les automobilistes alternent entre message de soutien, prise de tract et exaspération. Une camionnette de Labonal, dont l’usine se situe sur les collines voisines, patiente derrière les deux roues. Bienvenue à la première manifestation contre l’implantation d’Amazon dans le Bas-Rhin.

« Les vélos schématisent le nombre de camions qui passeront tous les jours ici. L’objectif est d’interpeller les habitants sur la base des quelques informations obtenues auprès de la communauté de commune. Beaucoup de gens ne connaissent pas encore le projet », explique Yeliz Gencer du collectif séléstadien « Le Chaudron des alternatives », qui fédère plusieurs dizaines d’associations environnementales.

Manifestation à vélo sur un rond point. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Après environ 30 minutes, la gendarmerie arrive. La discussion est courtoise en dépit de l’action non-déclarée. Les vélos doivent se mettre sur le côté de la chaussée et pas au centre pour ne pas ralentir la circulation. L’action doit se terminer dans la demi-heure.

À entendre les opposants, la partie n’est pas jouée d’avance. Surtout, l’existence du projet a fuité plus en amont que les projets d’Ensisheim près de Mulhouse ou Augny près de Metz. Les militants capitalisent aussi sur le soutien de nombreux commerçants, au niveau national ou local, qui se sont greffés à leur mobilisation contre Amazon.

Tractation anonymes

Dans un courrier au Chaudron, le président actuel de la communauté de communes du pays de Barr, Gilbert Solly (LR), a donné quelques informations supplémentaires sur le déroulé des tractations. Son agglomération a été saisie « sous couvert d’anonymat » par Amazon à l’automne 2019. Puis, en novembre, une audience s’est tenue à la Préfecture du Bas-Rhin. Les services de l’État restent « à la disposition » de l’opérateur et de la « com’com » pour les « accompagner dans les démarches ».

Puis le 17 décembre, une autre réunion des élus du pays de Barr a eu lieu, à huis clos. Les représentants des 20 communes ont confié la suite des discussions uniquement à Gilbert Scholly, qui ne s’est pas représenté en mars. L’ancien maire de Barr conclue sa réponse en appelant à « un débat transparent, démocratique et contradictoire » dans les prochains mois.

La nouvelle équipe qui sera installée le vendredi 10 juillet décidera lors de son mandat. Il lui suffit de voter ou non une modification de Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi). Pour l’instant, une hauteur maximale de 18 mètres est autorisée, mais Amazon exploite des bâtiments de 24 mètres. Le jour de la mise en place des nouveaux élus, et l’élection du président ou de la présidente, les associations et habitants opposés comptent sensibiliser leurs représentants.

À Ensisheim, l’enquête publique « Eurovia 16 Project » s’est terminée avec des centaines de messages défavorables dans les derniers jours. Les avis du commissaire enquêteur puis du préfet seront rendus pendant l’été.

Des emplois mais aussi des destructions

Ces projets promettent des emplois, mais selon une étude du député LREM et ancien secrétaire d’État au numérique, Mounir Mahjoubi (LREM), ils en détruisent deux fois plus (2,2) dans le commerce.

Le président du conseil départemental du Bas-Rhin, qui annonce un plan de relance à 200 millions d’euros, ne sait pas s’il s’agit d’une bonne ou mauvaise nouvelle. Frédéric Bierry (LR) aimerait rencontrer Amazon pour mieux connaitre le projet pour se positionner.

« J’en ai discuté avec le président de l’Essonne où un entrepôt Amazon s’est implanté. L’entreprise a rempli une partie de ses engagements avec 1500 emplois et en prenant 10% de bénéficiaires du RSA. Mais les engagements de la deuxième tranche n’ont pas été tenus. Des commerçants disent que c’est catastrophique, mais d’autres qu’ils travaillent avec… »

L’élu de la vallée de Schirmeck pointe d’autres sujets d’interrogation comme la « question de la desserte de Strasbourg », l’augmentation de « l’empreinte carbone des poids-lourds » ou encore l’effet sur la santé des salariés bas-rhinois.

L’emprise où peut s’installer Amazon, sur 17 hectares. Dans le fond, Dambach-La-Ville et son usine Labonal. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Garder les terrains pour de la production

D’habitude favorable aux projets d’implantations, le président de la Chambre de commerce et de l’Industrie (CCI), Jean-Luc Heimburger aimerait aussi en savoir plus :

« L’Alsace est déjà très pourvue de grandes plateformes logistiques, nous sommes proches de la saturation. Il vaut mieux garder les futurs terrains pour des sites de production. Mais il y a aussi de nouveaux commerçants qui ne veulent plus s’embêter avec des baux commerciaux. Ils veulent vendre sur internet, des biens produits localement ou non d’ailleurs. »

Le président de la Chambre des Métiers d’Alsace (CMA), Jean-Luc Hoffmann souhaite pour sa part « les mêmes droits, mais aussi les mêmes devoirs pour pouvoir se battre à armes égales ». En clair, que les entrepôts logistiques soient imposés comme une boutique.

Les Vitrines « farouchement opposées »

La position est encore plus tranchée pour Pierre Bardet, le directeur de l’association de commerçants des Vitrines de Strasbourg :

« Nous sommes farouchement opposés aux projets d’Amazon en Alsace. Ce sont des constructions inesthétiques qui détruisent la nature et détruisent le commerce de proximité, cela a été prouvé dans une étude. Il faudra que l’on s’empare davantage du sujet après les élections. »

Tractage auprès des automobilistes près de Dambach-La-Ville. (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Uni à Alain Fontanel (LREM) pour le second tour des élections municipales à Strasbourg, Jean-Philippe Vetter (LR), qui s’occupe du soutien aux commerçants dans la campagne (c’est lui qui est allé répondre aux questions des Vitrines), estime que s’il devait prendre la présidence de l’Eurométropole, sa collectivité n’aura pas à s’y opposer :

« Que l’entrepôt soit en Alsace ou non cela ne changera rien aux habitudes. Il n’y aura pas plus de commandes parce que l’entrepôt logistique est ici. Ce qui changera l’attitude des consommateurs, c’est la propreté du centre-ville, l’accessibilité du centre-ville, la communication sur la qualité. Si un entrepôt Amazon doit exister, je préfère tout de même qu’il s’installe à proximité dans notre région pour créer des emplois locaux. »

Pour le géographe alsacien Raymond Woessner, spécialiste des transports, l’Alsace a fait des choix différents de ses voisins :

« En Suisse, le transport de marchandises par train est privilégié, c’est depuis peu écrit dans sa Constitution. Dans le Bade-Wurtemberg, les Verts sont au pouvoir depuis 2011 et le taux de chômage de 3,2%. Ce ne sont pas des terrains propices pour Amazon ou ses concurrents. En plus du GCO de Strasbourg qui connecte au nord de l’Europe, d’autres élargissements routiers au sud, à Mulhouse et en Franche-Comté permettent de contourner facilement la Suisse, où les poids-lourds sont fortement taxés. Les déplacements en poids-lourds y seront plus fluides pour une quinzaine d’années, mais les routes appelant plus de véhicules, on risque d’avoir le même problème à terme. Ces entrepôts apportent de la croissance, mais pas vraiment du développement économique local. »


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