Nouvellement débarqué à la Crim’ le surnommé « Charlie » passe ses journées à ressasser les causes et les effets de ce drame à rallonge dont les rebondissements prévisibles se répètent de façon quasiment identique à chaque fois.
Le film met en résonance l’enquête qui se fait sur des années, en parallèle avec le jugement du criminel qui a lieu sur plusieurs séances. Les premières images nous assènent l’audience de Guy Georges qui comparait aux assises pour au moins 7 viols suivis de meurtres. On est atterrés et profondément choqués par l’insupportable, l’insurmontable, l’impensable que représente cet homme qui incarne le mal absolu.
Monstre, psychopathe ou psychotique ? Malgré la radicalité de l’horreur qui motive son jugement, le scénario se joue tout en nuances car la procédure qui le condamne est d’emblée présentée comme discutable. Une avocate a même accepté de prendre la défense du « monstre du 11ème arrondissement ».
Force et faiblesses de la police et de la justice
Les audiences se succèdent tandis que les images remontent le temps pour reconstituer avec beaucoup de réalisme l’ambiance des années 80. Frédéric Tellier met en scène avec minutie et précision la manière dont l’enquête a progressé, puis piétiné ou tourné en rond. L’acharnement et la persévérance de toute l’équipe de la Crim’ hantée par le Serial Killer N°1 (SK1) contribue à nous faire participer de cette aventure tantôt passionnante, horrifiante ou tout simplement décourageante.
La Bande-Annonce
Associés à Charlie et ses acolytes, dont les espoirs s’amenuisent proportionnellement à la colère qui augmente, nous nous impliquons dans cette terrible chasse au « monstre ». Il s’agit de traquer un être à figure humaine qui a pourtant perdu toutes les caractéristiques de ce qui nous obligerait à le respecter, à imaginer en lui la moindre dignité.
Malgré toutes les précautions et la méfiance que les enquêteurs conservent à l’égard de leur propre démarche, elle reste susceptible de négligences voire même d’erreurs. Il y a dans le déroulement du procès quelque chose qui reflète cette difficulté, cette hésitation inhérente à notre incapacité à être objectifs et impartiaux, fondamentalement limités à comprendre les intentions et les motifs réels d’un criminel.
C’est par ce questionnement même -et malgré l’horreur que nous ressentons devant Guy Georges- que la progression du récit nous mène peu à peu dans l’obligation d’une certaine réserve. Le déroulement de l’enquête et toutes les difficultés rencontrées, nous contraignent par delà de nos réactions premières, à penser qu’aucune condamnation ne peut décemment se poser comme absolue.
« Je cherche l’homme derrière le criminel »
Si la police cherche à révéler et à démasquer le psychopathe qui circule à visage découvert sans autre signes distinctif que ceux de Monsieur-tout-le-monde, l’avocat ou l’institution qui font son procès, ont le but contraire. Faire justice, c’est rétablir la balance des peines causées et subies, mais c’est également chercher à reconnaitre la part résiduelle d’humanité qui subsiste même dans le pire des meurtriers.
Il ne s’agit en aucun cas de pardonner, mais de transformer la soif individuelle de vengeance en un comportement collectif régulé et géré par le Droit. Le criminel qui comparait à la barre est avant tout un homme sur lequel on applique une peine qui a été fixée par la société toute entière.
C’est complètement terrassés mais aussi dans un grand soulagement que l’on entend le verdict tomber sur celui qui brisa plusieurs familles par la perte d’une fille, d’une fiancée, d’une sœur ou d’une proche dans des circonstances tout droit produites en enfer. Mais le film n’est pas construit sur le déchainement des passions négatives que le mal « qui existe en l’autre » peut entrainer comme déferlante. Il canalise la douleur en renvoyant le spectateur à une réflexion bien plus vaste que le fait divers dont il question. Il invite à une interrogation fondamentale sur les origines et les causes de la perversion en général et de la criminalité en particulier.
Un film pédagogique, d’une force exemplaire
L’arrestation et la garde à vue constituent les moments les plus intenses de l’intrigue. La confession que Guy Georges accepte de faire au policier qui consacra une partie de sa vie et toute son âme à cette enquête, donne beaucoup à repenser sur la façon dont la détention peut se transformer en École du Crime. En effet, on apprend avec stupéfaction que le Sérial Killer le plus redouté de France, a inauguré cette sinistre série de meurtres le soir de sa sortie de prison pour une remise en liberté conditionnelle.
Enfant de la Ddass, abandonné par sa mère, placé en famille d’accueil depuis sa tendre enfance, il n’en était pas à son premier crime et finissait tout juste de purger une peine de plusieurs années. C’est alors que les portes de la prison s’ouvraient enfin vers l’extérieur qu’il avait déjà « décidé » que Paris deviendrait la scène d’un rôle que l’on ne retrouve que dans les films d’épouvante.
L’utilité et le bienfait de l’incarcération, la pertinence avec laquelle les détenus (de longue peine surtout) sont accompagnés afin de se réintégrer dans la société une fois qu’ils ont « payé » pour leur crime, restent toujours et encore à interroger. Combien de temps faut-il enfermer un criminel ? Quels sont les fondements de notre Justice et quels sont les moyens qu’elle se donne pour être effective ? Les procès et les exécutions ne guérissent pas de toutes les douleurs dont souffrent à jamais les familles des victimes. Mais les mots de la sentence, et les aveux du coupable ont pouvoir d’effacer quelques maux.
Quels pouvoirs exécutif et législatifs imaginer pour demain ?
Le film est fort tout en limitant les scènes violentes ou justement grace à cela. Il percute avec justesse et profondeur car il est sensible et intelligent sur chaque détail. À aucun moment, il ne fait de la chasse à l’homme une rage motivée par la vengeance, bien au contraire. En soulignant toutes les difficultés que cette enquête a rencontrées, il exacerbe les failles de notre système et met également « la faute » du coté des limites de nos pouvoirs d’investigation.
Sans réseaux informatiques, sans recherche (centralisée) à partir de l’ADN, les moyens de la police étaient limités et les résultats souvent décevants pour énormément d’efforts. C’est d’ailleurs cette affaire qui a légalisé l’utilisation des fichiers ADN dans les enquêtes criminelles, et nous savons tous à quel point la question des libertés individuelles est encore de nature à freiner la Justice.
Aujourd’hui, les filets semblent être tendus de partout, la toile tisse des liens serrés autour de chacun et nous suit à la trace. Est-ce suffisant ? Cela a-t-il rendu nos enquêtes plus efficaces, ou cela a-t-il produit des criminels plus rusés pour échapper à la vigilance de ceux qui les poursuivent ? La question est délicate, douloureuse, et malheureusement brulante d’actualité.
À voir à Strasbourg aux cinémas UGC Ciné-Cité et au Star Saint-Éxupéry.
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